Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Un entretien avec Mgr Joseph Nguyên Chi Linh, évêque de Thanh Hoa et vice-président de la Conférence épiscopale du Vietnam

Publié le 25/03/2010




Mgr Joseph Nguyên Chi Linh, évêque de Thanh Hoa, vice-président de la Conférence des évêques catholiques du Vietnam, a accordé une interview à notre revue en novembre dernier (voir EDA 495). De retour de Rome où les évêques du Vietnam ont effectué leur visite ad limina à la fin du mois de juin 2009, il s’est arrêté quelques jours à Paris.

Mgr Linh a bien voulu donner une suite à l’entretien du mois de novembre dernier. Ses propos concernent aussi bien son propre diocèse que l’Eglise du Vietnam.

Mgr Linh est né en 1949 dans la paroisse de Ba Lang, du diocèse de Thanh Hoa, dont il est aujourd’hui l’évêque. Il est très jeune lors de l’exode général de 1954, au cours duquel sa famille rejoint le diocèse Nha Trang au Sud-Vietnam. C’est là qu’il entamera et poursuivra sa formation au sacerdoce, une formation qui s’achèvera en en 1978. Mais, à cause des circonstances politiques, il lui faudra attendre l’année 1992 pour être ordonné prêtre. Il est ensuite envoyé en France où il obtient un doctorat de philosophie à l’Institut catholique de Paris. Peu de temps après son retour au Vietnam, il est nommé et consacré évêque de son diocèse d’origine, le 4 août 2004.

 

Eglises d’Asie : Dans l’interview que vous avez bien voulu nous accorder l’année passée, vous nous aviez présenté un tableau peu optimiste de la situation économique sur le territoire de votre diocèse. Vous aviez en particulier insisté sur les difficultés rencontrées par les agriculteurs, difficultés aggravées par les multiples intempéries qui sévissent en cette région du Vietnam. Depuis cette date, la situation a-t-elle évolué ?

Mgr Joseph Nguyên Chi Linh : Par rapport à l’an passé, la situation économique dans la province de Thanh Hoa n’a finalement que très peu changé. La majorité de la population continue de vivre de la culture du riz en rizières inondées, une culture qui ne leur procure que de très maigres revenus. De plus, avec la croissance démographique, la superficie des terres cultivables s’avère chaque jour plus insuffisante pour le nombre de travailleurs disponibles. C’est la raison pour laquelle de plus en plus de jeunes, à la recherche d’un emploi, abandonnent les campagnes pour les villes, en particulier celles du Sud. En réalité, ce n’est pas là une situation propre à notre province. Toutes les régions agricoles du Vietnam sont touchées par le même phénomène. Il faudra sans doute attendre longtemps avant que ce mouvement de migration ne s’interrompe. Actuellement, on parle beaucoup de la zone industrielle située au sud de Thanh Hoa. Elle semble extrêmement prometteuse. Nous espérons que ces promesses deviendront des réalités et qu’ainsi la population de la province trouvera des emplois sur son propre sol.

Vous aviez également évoqué les divers projets mis en œuvre dans votre diocèse, concernant la formation sacerdotale dès avant l’entrée au grand séminaire, l’implantation de communautés religieuses, la création et le renforcement de mouvements pour l’animation des laïcs, etc. Ces projets aboutissent-ils ? Y en a-t-il de nouveaux ?

Votre question concerne en réalité trois domaines : la formation dans les séminaires, la mise en place de communautés religieuses et les activités des associations apostoliques des laïcs dans le diocèse. Je traiterai successivement et sommairement de ces trois problèmes.

Tout d’abord, la formation sacerdotale : vous savez sans doute qu’après les nombreuses décennies pendant lesquelles les séminaires sont restés fermés, les effectifs du personnel enseignant et accompagnateur s’étaient progressivement épuisés et la formation des candidats au sacerdoce rencontrait de très nombreuses difficultés. Il était impossible de remédier à ces déficiences en quelques jours. Pour notre diocèse, la façon la plus opportune d’y parvenir consiste d’abord à prendre conscience de l’importance de cette formation et, ensuite, à réaliser cette œuvre avec persévérance et méthode, étape par étape. Chaque année enrichit notre expérience en ce domaine. Chaque année, de nouveaux éléments viennent participer à ce travail de formation, ce qui nous permet, aujourd’hui, de regarder l’avenir avec un certain optimisme.

Pour ce qui concerne la création de communautés religieuses, nous rencontrons deux sortes de difficultés. La première est la suivante : à l’heure actuelle, le climat religieux, moins tendu qu’autrefois, permet aux congrégations de donner une certaine ampleur à leurs activités. Mais, si « la moisson est abondante, les ouvriers sont peu nombreux ». Chaque fois que je vais frapper à la porte d’une congrégation religieuse pour demander de l’aide, les responsables me répondent qu’ils manquent de personnel. La seconde difficulté vient de l’absence des établissements prêts à accueillir ces communautés religieuses. Les congrégations n’ont pas les ressources financières suffisantes pour créer des établissements nouveaux. Si l’on veut qu’elles viennent travailler dans le diocèse, il faut préparer pour elles des constructions, ce qui m’a été impossible jusqu’à présent.

Pour ce qui est de la formation des responsables laïcs dans les paroisses, une attention toute particulière lui a été donnée. Les activités pastorales seront inefficaces si les membres des conseils paroissiaux et des conseils pastoraux n’ont pas une conscience claire de leur mission et du rôle qu’ils doivent jouer dans la communauté ecclésiale. Parallèlement, nous nous préoccupons de l’éducation à la foi de la jeunesse. Chaque été, nous organisons des sessions de formation pour 1 000 à 1 500 catéchistes. Sans cette attention portée à la jeunesse, le diocèse ne pourra progresser dans l’avenir. Pour parler de projets récents, il nous faut mentionner la réforme de la méthode de travail de nos commissions diocésaines. Je viens de nommer une série de nouveaux responsables de commissions. Ceux-ci vont se regrouper pour former un « conseil pastoral », qui aura pour mission de se concerter pour tracer ensemble les orientations pastorales du diocèse.

Dans deux mois, l’Eglise du Vietnam va entamer une année sainte, commémorant, avec le 50e anniversaire de l’établissement de la hiérarchie catholique, le 350e anniversaire de la création des deux premiers vicariats apostoliques du Tonkin et de la Cochinchine. Le diocèse de Thanh Hoa possède des sites datant de la première évangélisation du Vietnam, antérieurs à la période commémorée. Pourriez-vous les évoquer pour nous ? Comment va-t-on préparer la grande assemblée qui doit constituer le sommet de l’année sainte 2010 ?

Effectivement, comme vous l’avez dit, le diocèse de Thanh Hoa abrite un lieu d’une grande importance dans l’histoire religieuse du Vietnam. Il s’agit de Cua Bang, endroit où aborda le premier missionnaire venu au Tonkin. Le 12 mars 1627, conformément à l’ordre de ses supérieurs, le P. Alexandre de Rhodes (P. Dac Lô en vietnamien) avait quitté Macao pour se rendre au Tonkin et y annoncer l’Evangile. En chemin, le bateau fut pris par une tempête qui le déporta vers le sud de Thanh Hoa. Le 19 mars 1627, le jour de la fête de saint Joseph, la tempête s’apaisa et le P. de Rhodes put aborder à l’embouchure d’un fleuve, le port de Cua Bang. (aujourd’hui, ce lieu est situé sur la paroisse de Ba Làng). En souvenir de la protection mystérieuse de saint Joseph, le P. de Rhodes appela cet endroit, le port Saint-Joseph. Le premier missionnaire du Tonkin baptisa de nombreuses personnes en ce lieu et remonta le fleuve Bang pour continuer son œuvre missionnaire au Tonkin.

Cette histoire sera très certainement commentée de nombreuses fois dans le diocèse au cours de l’année sainte 2010, qui commémore aussi les 50 ans d’établissement de la hiérarchie locale au Vietnam. Les trois thèmes choisis par le comité d’organisation pour servir de fil rouge à cette année sainte, à savoir le mystère, la communion et la mission, seront adaptés d’une façon concrète à la situation de notre diocèse. Ainsi le thème du mystère pourra être illustré par le fait que l’Eglise du Vietnam au Nord a débuté, d’une façon inattendue, à Cua Bang. Depuis Avignon, patrie du premier missionnaire, le Nord-Vietnam s’est trouvé relié au Centre-Vietnam et placé en communion avec l’Eglise universelle. A partir de Thanh Hoa, l’Eglise s’est étendue, au rythme des pas du missionnaire et est devenue la mission de référence pour les nombreuses générations qui ont suivi. Telles seront les orientations principales qui guideront les diverses célébrations et sessions d’études de la communauté du peuple de Dieu dans le diocèse de Thanh Hoa. Ces thèmes orienteront également la préparation des contributions et des interventions de notre diocèse durant la grande assemblée du peuple de Dieu, qui constituera le sommet de l’année sainte 2010.

Ce retour aux sources que va effectuer l’Eglise du Vietnam en 2010 est une occasion de s’interroger sur le présent. On peut se demander où en est l’élan missionnaire qui, sous l’impulsion de l’Esprit Saint, a donné naissance à l’une des Eglises les plus dynamiques de l’Asie. Il existe aujourd’hui de nombreux signes de ce dynamisme. Pourtant, les statistiques montrent que la croissance de la population catholique correspond assez exactement au taux de croissance démographique de la population en général. C’est un fait qui intrigue les observateurs. Y aurait-il des réponses à cette anomalie, pour votre diocèse, pour l’ensemble du pays ?

Pour répondre à cette question, il est nécessaire de faire la distinction entre deux concepts proches l’un de l’autre, mais pourtant différents : le dynamisme et la croissance. Le mot dynamisme sert à désigner une qualité, un trait saillant de l’Eglise catholique du Vietnam, à savoir une participation très importante et active aux activités liturgiques et pastorales. Lorsqu’on parle de croissance, on évoque le nombre, le développement démographique. Comme vous l’avez fait remarquer, selon les statisticiens, le taux de croissance démographique de la population catholique n’est pas plus élevé que celui de la population du Vietnam tout entière. Ce phénomène est relativement facile à comprendre. Dans leur histoire récente, à cause de la situation difficile où ils ont été placés, les catholiques vietnamiens n’ont bénéficié que du droit de « garder leur religion » et non pas de celui de la « propager ». Les catholiques n’ont pas eu le droit d’utiliser certains moyens pour faire connaître leur religion, comme, par exemple, ils pouvaient le faire avant 1975, avec les écoles, les activités caritatives, etc. La population catholique se développe peu rapidement par manque de conditions favorables à l’évangélisation.

Excellence, bien que vous soyez originaire du diocèse dont vous êtes le responsable religieux actuel, vous avez reçu votre formation humaine et religieuse dans le Sud, plus précisément dans le diocèse de Nha Trang. Lors de l’unification du Nord et du Sud en 1975, des différences assez importantes distinguaient les catholiques, prêtres et laïcs, du Nord et du Sud. En vous reportant à votre expérience dans le diocèse de Thanh Hoa, pourriez-vous nous dire si ces différences se sont estompées aujourd’hui ?

Le contexte historique est extrêmement différent dans les deux parties du Vietnam, le Nord et le Sud. En conséquence, les chrétiens des deux régions se distinguent les uns des autres par certaines caractéristiques. Moi-même, je suis né à Thanh Hoa, mais j’ai été formé dans le Sud. De fait, sans doute, sous certains aspects, je suis différent des chrétiens du Nord et plus précisément de Thanh Hoa. Immédiatement après 1975, on a pu remarquer un certain nombre de points négatifs distinguant les catholiques des deux parties du Vietnam. Mais cette situation a très rapidement changé car, par bonheur, les catholiques vietnamiens ont voulu former une Eglise en communion. En ce qui me concerne, je ne me suis jamais senti étranger dans mon ministère à Thanh Hoa. Par ailleurs je pense que les différences constituent une richesse et que la disparité est une occasion de se soutenir et de s’entraider les uns les autres. Les meilleurs côtés de l’Eglise du Nord peuvent servir à l’instruction des chrétiens du Sud. Et l’inverse est également vrai. Mais, de plus en plus, les deux régions ressentent le besoin de s’harmoniser dans un esprit de communion ecclésiale. Ainsi, les différences ont tendance à s’estomper de plus en plus. De nombreux enseignants du Sud sont venus dispenser leur enseignement au Nord, compensant ainsi les désavantages causés par plusieurs dizaines d’années de fermeture de l’Eglise au Nord. Par contre, de très nombreux catholiques du Nord sont venus s’agréger aux communautés religieuses du Sud, apportant ainsi de nouvelles vocations religieuses dans cette région où elles diminuent légèrement. En un mot, le Nord et le Sud composent une même famille. C’est en tout cas le but visé par les deux parties de l’Eglise du Vietnam et c’est aussi ma propre conviction.