Eglises d'Asie

Assassinat d’un prêtre catholique : l’Eglise et les organisations de défense des droits de l’homme accusent le gouvernement

Publié le 25/03/2010




Le 8 septembre dernier, une grande manifestation a rassemblé des sympathisants de l’organisation œcuménique de défense des droits de l’homme, Promotion of the Church People’s Response (PCPR), à laquelle avait appartenu le P. Cecilio Lucero, tué par balles au volant de sa voiture dans la province de Samar-Nord, le dimanche 6 septembre, dans des circonstances encore mal définies.

Pour les manifestants dénonçant l’assassinat du prêtre, il n’y a aucun doute : « le défenseur des pauvres et des opprimés » est une nouvelle victime des « exécutions extrajudiciaires » en augmentation dans la région, assassinats non élucidés par la police et sur lesquels enquêtait justement le P. Lucero.

Selon les rapports de police, le P. Cecilio Lucero, 48 ans, curé de l’église Saint-Joseph Ouvrier à Catubig, dans le diocèse de Catarman, de la province Samar-Nord (Région des Visayas Orientales), a été abattu lors d’une embuscade au village de Layuhan, le dimanche 6 septembre, vers 8 h 30 du matin, alors qu’il rejoignait San Jose en camionnette par la route nationale. Pour le moment, seuls ces faits restent avérés. Les rumeurs et les rapports les plus contradictoires circulent depuis la mort du prêtre et témoignent de la confusion qui règne à l’heure actuelle, concernant les circonstances de l’attaque (1). Selon les premiers rapports de police, une trentaine d’hommes ont fait feu sur le prêtre, avant que l’un des attaquants ne lui tire une balle dans la tête à bout portant, entraînant la mort sur le champ. Mais par la suite, des « témoins dignes de foi » ont parlé d’un groupe de 5 à 6 hommes seulement, portant des lunettes de ski (une caractéristique des « exécutions extrajudiciaires » aux Philippines) et, selon les rapports, ayant les visages camouflés sous un bonnet, un masque, étant vêtus d’uniformes de la police, ou encore de l’armée… Peu de certitudes également concernant les passagers qui accompagnaient le P. Lucero. Un laïc, Isidro Miras, blessé pendant l’attaque, aurait été transporté dans un état grave à l’hôpital à Catarman. Il est parfois fait mention d’un autre passager, Jose Aguda, 17 ans, blessé au pied, qui serait également à l’hôpital.

De larges zones d’ombre subsistent également au sujet du policier Eugene Bation, assigné comme garde du corps au P. Lucero après que celui-ci eut reçu de nombreuses menaces de mort. Les premiers rapports de police l’avait déclaré touché par les tirs des assaillants et transporté à l’hôpital, avant de rapporter récemment qu’il n’aurait en réalité pas été blessé. Eugene Bation aurait déclaré à la police avoir fait feu à son tour contre les assassins, les forçant à se disperser et s’enfuir (2).

« Nous pensons que le P. Lucero était surveillé et suivi. Lorsqu’il est arrivé à San Jose, ses assassins l’attendaient », a déclaré Mgr Emmanuel Trance, évêque de Catarman, qui s’est déclaré « anéanti » par la nouvelle et a condamné fermement le meurtre du prêtre dans une déclaration diffusée sur le site de la CBCP (Catholic Bishops’ Conference of Philippines). Selon lui, le prêtre catholique était attendu à San Jose la nuit précédente, mais avait reculé son départ à la dernière minute, depuis l’île où il assistait à un mariage familial. La mer étant agitée, il avait décidé de prendre le premier bateau du matin (3). Mgr Trance a également rapporté que le prêtre, qui dirigeait le Bureau des droits de l’homme et le Centre d’action sociale (SAC) du diocèse, avait reçu de nombreuses menaces de mort depuis l’assassinat du maire de Catubig en février dernier. « Depuis qu’il travaillait pour les droits de l’homme et allait partout enquêter sur les crimes qui avaient été commis, il s’était mis à dos les militaires comme les rebelles armés. »

L’engagement en politique des deux frères aînés du prêtre assassiné renforce, selon le prélat, la thèse selon laquelle l’assassinat du P. Lucera serait une exécution politique. Wilmar Lucero, ancien membre du Congrès (4), est actuellement en lice pour les présidentielles de 2010. Quant à Antonio Lucero, il est gouverneur adjoint de la province de Samar-Nord. «Les assassinats politiques sont très nombreux dans la région », déplore Mgr Trance. Le Centre d’action sociale que dirigeait le P. Lucero avait diligenté dans le diocèse dix-huit enquêtes pour meurtres non résolus ces six derniers mois. Mais, selon le prélat, il s’agissait jusqu’à présent d’hommes politiques ou de journalistes. « Le fait qu’une exécution extrajudiciaire puisse aujourd’hui viser un prêtre [risque] de répandre la peur au sein de toute la population », a-t-il déclaré.

L’Eglise catholique des Philippines a condamné unanimement « l’odieux assassinat » du P. Lucero, comme en témoigne les déclarations du P. Alvero, porte-parole de l’archidiocèse de Palo, ou encore Mgr Deogracias Iniges, de la CBCP. Les organisations de défense des droits de l’homme pour lesquelles militait le prêtre catholique accusent, quant à elles, plus ouvertement le gouvernement de Gloria Arroyo. On peut ainsi lire sur le site de CBCP News les propos de Flor Chantal Eco, secrétaire générale de Katungod-Sinirangang Bisaya : « Il a été tué pour son action en faveur des droits de l’homme. Beaucoup de paysans lui demandaient de l’aide à chaque fois que les militaires commettaient des violations de leurs droits. » Elle affirme également que les menaces de mort qu’avait reçues le P. Lucero venaient « de militaires » et qu’il avait été « mis sous surveillance ». « Dans le cadre de l’OBL (Oplan Bantay Laya) (5), poursuit Flor Eco, les militaires se sont attaqués aux civils suspectés de soutenir la NPA (New People’s Army), mais aussi à des leaders d’organisations démocratiques légales ou à toute personne critiquant le gouvernement ».

De son côté, le bureau national du PCPR (Promotion of the Church People’s Response), dont le P. Lucero avait été président pour Samar-Nord de 2001 à 2003, précise que le prêtre est la 26e victime sur la liste des assassinats commis contre des membres de l’Eglise, et ce, depuis la mise en place de l’Oplan Bantay Laya 2 par la présidente Gloria Arroyo.

Quant au National Democratic Front-Eastern Visayas, branche régionale du puissant parti communiste rebelle, il va encore plus loin : le 7 septembre, le P. Santiago Salas, porte-parole du NDF-EV, a accusé le gouvernement Arroyo « d’avoir planifié et mis à exécution le meurtre du P. Lucero ». Le P. Salas affirme que des témoins ont entendu la présidente des Philippines lors de l’inauguration du pont de Catubig, le 16 juin dernier, dénoncer publiquement le P. Lucero comme « prêtre communiste » devant de nombreux militaires hauts gradés. « C’est comme si Gloria Macapagal-Arroyo avait signé elle-même l’arrêt de mort du P. Lucero (…). Elle donnait à l’armée l’ordre d’exécuter le prêtre selon l’objectif du Oplan Bantay Laya qui supprime les opposants au gouvernement. »

Dès le lendemain de l’assassinat du prêtre catholique, la police des Visayas orientales en charge de l’enquête a affirmé mettre tous les moyens en œuvre pour retrouver les coupables. Mario R. San Diego, directeur de la police régionale, a annoncé avoir mis en place un groupe de forces spéciales, baptisé « SITG Lucero », lequel coordonnera les différents corps de police d’investigation.

Le corps du prêtre assassiné a été transporté à la cathédrale Notre-Dame de l’Annonciation à Catarman pour la veillée mortuaire qui s’est tenue le 8 septembre au soir.