Eglises d'Asie

La déclaration de la loi martiale à Maguindanao indispose une partie de l’épiscopat catholique

Publié le 25/03/2010




Le 4 décembre dernier, la province de Maguindanao a été placée sous le régime de la loi martiale, justifié, selon le gouvernement philippin, par le risque d’une rébellion dans cette province après l’arrestation d’Andal Ampatuan Sr, le chef du clan qui tient la plupart des postes électifs de la région. Immédiatement, la décision a été largement commentée dans l’archipel et, …

… au sein de l’Eglise catholique, des évêques ont exprimé leurs doutes quant à son opportunité, tandis que d’autres l’approuvaient tout en émettant des « réserves ».

Le massacre commis le 23 novembre dernier à Maguindanao est dans tous les esprits aux Philippines (1). Ce jour-là, 57 personnes, des civils, étaient abattues dans cette province du sud philippin où les clans politiques rivaux sont à la tête de petites armées privées et n’hésitent pas à résoudre leurs différends à l’arme à feu. Le clan à la solde du gouverneur Ampatuan, qui dirige la province de Maguindanao depuis 2001, est fortement soupçonné du massacre des membres du convoi constitué de parents d’un rival politique, la famille Mangudadatu, et d’un groupe de journalistes. Rapidement après le massacre, l’état d’urgence et l’application de la loi martiale avait été décrété dans la région et Andal Ampatuan Jr, l’un des fils du gouverneur, avait été arrêté et inculpé de 25 meurtres. Plusieurs milliers de soldats étaient déployés dans la province de Maguindanao, alors que de nouvelles arrestations avaient lieu, dont celles du patriarche du clan, Andal Ampatuan Sr, et d’un autre de ses fils, Zaldy Ampatuan, le gouverneur de la Région autonome musulmane de Mindanao, entité regroupant cinq provinces dont celle de Maguindanao. Des stocks d’armes étaient également saisis et des échanges de coups de feu s’étaient produits entre la police et des groupes armés privés.

Aux Philippines, pays qui au temps de la dictature de Ferdinand Marcos a vécu sous la loi martiale de 1972 à 1981, ce régime d’exception est une question politique sensible. Le 5 décembre, un porte-parole de la présidence a déclaré que la loi martiale, qui peut être imposée au maximum durant deux mois, serait levée dès que possible. L’opposition à la présidente Gloria Macapagal-Arroyo a réagi en affirmant que ce régime d’exception était injustifié et n’avait été promulgué que pour servir, à l’approche de l’élection présidentielle de mai 2010, les intérêts de la présidente. Jusqu’au massacre du 23 novembre, le clan Ampatuan était un proche allié de la présidente à Mindanao, notamment dans sa lutte contre les indépendantistes musulmans.

Selon Mgr Jose Colin Bagaforo, évêque auxiliaire de Cotabato, grande ville proche de la province de Maguindanao, la loi martiale est justifiée dans la mesure où « les éléments qui concourent à une violence largement répandue » sont bien présents à Maguindanao. « Il est clair que l’ordre public est menacé, que des vies humaines sont en jeu et il faudrait ajouter à cela des éléments liés au terrorisme », explique l’évêque sur le site Internet de la Conférence épiscopale. Il ajoute que les conditions pour voir le fonctionnement normal des pouvoirs publics et de la justice ne sont pas réunies. Toutefois, il note qu’on ne peut qu’espérer que la proclamation de la loi martiale n’obéisse pas à des motifs cachés.

Le 6 décembre, l’archevêque de Cotabato, Mgr Orlando Quevedo, a publié un communiqué, intitulé : « La loi martiale à Maguindanao : une perspective pastorale ». Le prélat y plaide pour le respect des droits de l’homme. « Nous savons que même ceux qui sont suspectés du massacre ont des droits. Par conséquent, de même que justice doit être faite aux victimes, il n’est pas envisageable que les inculpés soient l’objet d’une injustice. » Plus la loi martiale restera en place, « plus est élevé le risque de voir commis des violations des droits de l’homme », écrit encore l’archevêque.

Pour Mgr Emmanuel Trance, évêque de Catarman, la présidente agit dans les limites de ses prérogatives constitutionnelles et la gravité de la situation à Maguindanao légitime son choix. Il remarque cependant : « Nous qui avons connu la loi martiale sous Marcos ne pouvons qu’être très méfiants face à une telle décision (…). Nous espérons seulement que ce régime exceptionnel restera cantonné à Maguindanao et dans le temps. »

Parmi les évêques les plus réticents, voire carrément opposés à la décision de la présidente Arroyo, Mgr Oscar Cruz, archevêque émérite de Lingayen-Dagupan, pense que placer la province de Maguindanao sous un régime de loi martiale « est une honte, rendue possible parce que l’administration Arroyo a permis à ses alliés sur place de se transformer en seigneurs de la guerre, lourdement équipés et dotés de véritables armées privées ». La présidente a « sur-réagi » en proclament la loi martiale, a-t-il ajouté. Pour Mgr Ramon Arguelles, archevêque de Lipa et ancien évêque aux armées, il est faux de dire que Maguindanao connaît une situation de rébellion. « La situation criminelle est certainement très grave, mais elle ne justifie pas la loi martiale », a-t-il déclaré.

Selon Mgr Vicente Navarra, évêque de Bacolod, l’une des difficultés de l’affaire réside dans le fait que « la perception commune est que le clan Ampatuan fait partie des protégés du gouvernement Arroyo ». Dans le même ordre d’idées, le commandant des forces armées de Maguindanao, le général Raymundo Ferrer, a admis une part de responsabilité dans la situation actuelle. Il a notamment reconnu que les autorités avaient utilisé la milice du clan Ampatuan pour contenir l’insurrection séparatiste musulmane dans la partie méridionale de l’île. « Le problème, c’est qu’ils sont devenus incontrôlables », a-t-il déclaré.