Eglises d'Asie – Inde
Pour la première fois, le Parlement fédéral va être amené à se prononcer au sujet de l’accès des dalit chrétiens et musulmans aux mesures de discrimination positive ouvertes aux autres dalit
Publié le 25/03/2010
… bouddhistes et sikhs. La nouvelle a été très favorablement accueillie par les responsables des communautés chrétiennes, qui voient là la satisfaction d’une revendication ancienne.
Selon la Constitution de l’Union indienne de 1947, tous les Indiens sont égaux devant la loi (art. 15) et toute discrimination fondée sur la caste, le sexe, le lieu de naissance ou la religion est interdite. L’intouchabilité a été abolie par l’article 16. Afin de lutter contre les effets de l’intouchabilité, une politique de discrimination positive, notamment par des quotas (24,5 % des postes dans la fonction publique, les lycées et les universités sont réservés aux ex-intouchables) a été mise en place, mais, dès 1950, les dalit musulmans et les chrétiens ont été exclus de cette politique, au motif que l’islam comme le christianisme ne connaissent pas le système des castes. Depuis cette date, les défenseurs de la cause dalit n’ont eu de cesse d’obtenir la réintégration des dalit chrétiens et musulmans dans le système de discrimination positive. A cette fin, la Cour Suprême avait été saisie et les juges s’étaient prononcés pour une révision de la loi. En 2000, dans les Etats du Bihar, de l’Uttar Pradesh et de l’Andhra Pradesh, des lois ont été votées pour une égalité de traitement entre tous les dalit. Toutefois, jamais le Parlement fédéral n’a eu à se prononcer sur cette question.
Présidée par Ranganath Mishra, un ancien président de la Cour Suprême, la Commission nationale pour les minorités religieuses et linguistiques a fait valoir, dans son rapport, la nécessité pour le pays de « découpler » l’appartenance religieuse de l’accès aux mesures de discrimination positive prévues pour les dalit et d’autres segments défavorisés de la société. Ainsi, le rapport « suggère que le paragraphe 3 de l’amendement de 1950 relatif aux castes répertoriées (scheduled castes) – qui a réservé les mesures de discrimination positive aux dalit hindous, dans un premier temps, avant de les étendre aux dalit bouddhistes et sikhs, mais en en excluant les dalit musulmans, chrétiens, jaïns, parsis, etc. – soit entièrement supprimé, afin de découpler totalement le statut des dalit de leur appartenance religieuse. L’appartenance à la catégorie des scheduled castes et des scheduled tribes doit être rendue parfaitement neutre quant à l’appartenance religieuse ». Plus concrètement, le rapport recommande que les dalit musulmans se voient allouer un quota de 10 % dans l’éducation nationale et la fonction publique ; pour les autres dalit, dont les chrétiens, jusqu’à présents exclus du système de discrimination positive, le quota demandé est de 5 %. Il est aussi recommandé que les dalit chrétiens et musulmans se voient accordés le droit de se présenter devant les électeurs au titre des quotas déjà alloués aux dalit hindous, bouddhistes et sikhs.
Pour les responsables des Eglises chrétiennes, le rapport de la Commission nationale pour les minorités religieuses et linguistiques marque une étape considérable dans une lutte de près de 60 ans. « Nous voulons que la loi soit désormais votée sans délai », a déclaré le P. Cosmon Arokiaraj, secrétaire de la Commission pour les dalit et les groupes aborigènes (tribals) de la Conférence des évêques catholiques de l’Inde. Le P. A.X.J. Bosco, coordinateur du Front uni pour les droits des dalit chrétiens, a ajouté que c’est le travail des législateurs musulmans au Parlement fédéral qui avait notamment permis au rapport de la Commission d’être présenté au Parlement. « Cela nous donne bon espoir » quant à la suite du processus législatif, a expliqué le prêtre catholique. Pour le P. Anthoniraj Thumma, président d’un forum œcuménique dans l’Etat de l’Andhra Pradesh, l’enthousiasme des défenseurs de la cause dalit doit toutefois être mesuré. L’avenir dira si le rapport est suivi d’effet ; il importe notamment de voir si le gouvernement se saisit du rapport et propose concrètement comment l’appliquer, a-t-il expliqué.
Du côté des dirigeants du mouvement hindouiste, les réformes envisagées ont été froidement accueillies. Pour le Conseil mondial hindou (VHP, Vishwa Hindu Parishad), une des vitrines de l’extrémisme hindou, toute mesure de discrimination positive « fondée sur la religion » est « inconstitutionnelle ». Selon une dépêche du 18 décembre de l’agence Press Trust India, le VHP a menacé d’organiser des manifestations de protestation à travers tout le pays au cas où le rapport de la Commission était appliqué. Praveen Togadia, secrétaire international du VHP, a dénoncé « ceux des scheduled castes qui se sont convertis au christianisme et à l’islam et qui aujourd’hui demandent à bénéficier des mesures prévues dans le cadre de la politique de discrimination positive ».
Sur une population de 1,2 milliard d’habitants, il est estimé que les ex-intouchables forment un groupe d’environ 170 millions de personnes. S’agissant des chrétiens, dont le nombre est estimé à environ 25 millions, huit sur dix appartiendraient à ce groupe, par ailleurs très divers.