Eglises d'Asie

Polémique autour de la demande de révision de la loi anti-blasphème

Publié le 25/03/2010




Suite à une requête déposée par plusieurs ONG ainsi que des membres des minorités religieuses, dont des chrétiens, la Cour constitutionnelle juge actuellement de l’opportunité d’amender la loi anti-blasphème punissant toute infraction ou « déviance » envers l’une des six religions officiellement autorisées en Indonésie. Les débats, virulents, ont commencé le 4 février dernier, opposant les détracteurs… 

… de la loi aux organisations musulmanes qui soutiennent très majoritairement la législation actuelle et dénoncent une tentative de destruction de l’islam.

La Cour constitutionnelle (1) avait été saisie en novembre dernier par plusieurs organisations de défense des droits de l’homme, dont l’association Alliance for Freedom of Religion, des représentants des Eglises chrétiennes, des minorités religieuses et certaines personnalités de l’islam modéré. Après un premier rejet de la requête, la Cour avait fait part de sa décision de d’étudier la proposition d’amendement, notamment en raison du soutien de la démarche par l’ancien président indonésien Abdurrahman Wahid (2) et d’autres grandes figures comme Siti Musdah Mulia, professeur d’études islamiques, également à la tête de la Conférence indonésienne sur la religion et la paix (ICRP). Celle-ci a expliqué les raisons de son engagement à l’agence Ucanews (3) : « Nous ne pouvons que constater que cette loi est détournée par certains groupes afin de commettre des actes de violence envers d’autres communautés », citant notamment de récentes attaques récentes contre des églises chrétiennes ou encore la persécution des Ahmadi, considérés comme hérétiques par l’islam dominant en Indonésie (4).

La loi anti-blasphème, promulguée par le président Sukarno en 1965, punit d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq années de prison ceux qui « manifestent des sentiments d’hostilité ou de haine, volontairement et en public, vis-à-vis de la religion, (…), dénigrent la religion (…) ou la déshonorent (…) ainsi que ceux qui enseignent des ‘interprétations déviantes’ » (5). Progressivement, la loi a été étendue à toutes les religions reconnues officiellement par l’Indonésie : islam, protestantisme, catholicisme, hindouisme, bouddhisme et, plus récemment, confucianisme.

Les organisations qui ont déposé la requête devant la Cour soulignent particulièrement ce dernier point comme étant anticonstitutionnel, l’Etat indonésien garantissant à chaque citoyen la liberté de culte et de religion, une liberté inscrite dans la Constitution de 1945. En ne reconnaissant officiellement que six religions et en s’arrogeant le droit d’interdire toutes les religions et enseignements « déviants », l’Etat porte atteinte aux droits de l’homme et pratique une politique discriminatoire envers les minorités religieuses, s’indignent-elles.

Le P. Antonius Benny Susetyo, secrétaire exécutif de la Commission pour l’œcuménisme et le dialogue interreligieux de la Conférence des évêques catholiques d’Indonésie (KWI), explique que « la loi anti-blasphème, contraire à la Constitution de 1945 (…), ne garantit aucunement la liberté de religion ».

Cependant, la décision de la Cour constitutionnelle d’examiner la demande de révision de la loi anti-blasphème a déclanché un tollé au sein des organisations musulmanes d’Indonésie, y compris parmi les plus modérées. « Nous ne pouvons être d’accord avec une abolition de la loi, parce que cela créera des conflits communautaristes », a immédiatement déclaré le puissant Conseil indonésien des oulémas. Quant aux deux plus importants mouvements musulmans du pays, la Nahdlatul Ulama (NU) et la Muhammadiyah, ils ont déclaré officiellement leur totale opposition à toute modification législative.

Les organisations islamiques radicales de leur côté ont multiplié les manifestations de soutien au gouvernement, lequel ne fait pas mystère de son opposition à une révision de la loi anti-blasphème. « Si cette loi n’existait pas, a déclaré le ministre des Affaires religieuses, Suryadharma Ali, il n’y aurait aucune protection contre ceux qui voudraient entraver les activités religieuses ou ne respecteraient pas la religion. » Même écho du côté du ministre de la Justice et des Droits de l’homme, Patrialis Akbar, qui affirme que « les frictions sociales augmenteront si les gens se sentent autorisés à faire leurs propres interprétations de la religion », ajoutant que l’émergence de sectes religieuses est une forme de blasphème contre les religions existantes.

Lors de l’ouverture des discussions sur la demande d’amendement, le 4 février dernier, plus de 200 manifestants du Front des défenseurs de l’islam (FPI), du Forum pour la fraternité islamique (FUI) et du Parti de la Libération (Hizbut Tahrir Indonesia, HTI) s’étaient rassemblés devant la Cour constitutionnelle, scandant que « la religion devait rester pure de toute dérive [ou] acte blasphématoire ».

Afin de les représenter lors des audiences, des organisations musulmanes comme Peace Alliance Against Blasphemy of Islam (ADA API), ont requis les services de la Muslim Lawyers Team (TPM). L’argumentation principale de la défense sera de démontrer que les détracteurs de la loi utilisent la liberté de religion pour discréditer la religion, a expliqué au Jakarta Post, Me Mahendradatta, du TPM, qui a été l’avocat des auteurs des attentats meurtriers de 2002 à Bali. « Ils sont en train de demander ‘la liberté d’insulter les religions’ », a dénoncé l’avocat. En tout, plus d’une trentaine d’experts devraient venir soutenir la défense, dont Yusril Ihza Mahendra, ancien ministre de la Justice, Alwi Shihab, ex-ministre des Affaires étrangères, et de nombreux membres de la Chambre des représentants.

De leur côté, les partisans d’une révision de la loi envisageraient de présenter une dizaine d’experts dont le P. Franz Magnis-Suseno, jésuite et universitaire reconnu, Arswendo Atmowiloto, écrivain et journaliste catholique, qui fut naguère emprisonné pour blasphème (6), ou encore Ahmad Syafi’i Maarif, ancien dirigeant de la Muhammadiyah, aujourd’hui l’une des figures incontestées du pluralisme et de l’islam modéré.

Les organisations bouddhiques et hindoues, comme le Conseil des bouddhistes indonésiens (Walubi) ou encore la Parisada Hindu Dharma Indonesia (PHDI), se sont déclarées dans l’ensemble favorables au maintien de la loi actuelle, craignant les conséquences pour leurs communautés de « nouvelles autorisations accordées à d’autres religions » (7).