Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Au Bangladesh, l’enfer des refugiés rohingya

Publié le 08/04/2010




Les Rohingya, minorité ethnique musulmane de Birmanie, fuient depuis des dizaines d’années les violentes persécutions et discriminations exercées à leur encontre par la junte de Rangoun. Le statut de citoyen birman leur étant refusé, ils sont de fait, considérés comme apatrides dans leur propre pays.

Aujourd’hui, bon nombre d’entre eux continuent de risquer leur vie pour se réfugier au Bangladesh, le pays voisin le plus proche. Mais le sort qui les y attend n’est guère plus enviable, comme le dénonce l’article ci-dessous, paru le 20 février 2010 dans l’International Herald Tribune et signé de Seth Mydans.
La situation des réfugiés rohingya au Bangladesh s’étant considérablement dégradée ces derniers mois, du fait d’une campagne de répression d’une grande violence menée par les autorités bangladaises ainsi que de l’aggravation des conditions sanitaires des camps, les Nations Unies, l’Union européenne ainsi que différentes ONG alertent, les unes après les autres, la communauté internationale (1).
La traduction est de la rédaction d’Eglises d’Asie.

Au Bangladesh, rapportent les humanitaires et défenseurs des droits de l’homme, les réfugiés apatrides de Birmanie sont maltraités, déplacés ; des milliers d’entre eux, entassés dans un camp sordide, font face à une grave « crise humanitaire », due à la famine et à la maladie.

Les ONG dénoncent une campagne de répression, laquelle semble s’être accélérée depuis octobre dernier, qui vise les réfugiés de l’ethnie rohingya vivant depuis des années au Bangladesh. Ceux-ci sont arrêtés, frappés et expulsés de force en Birmanie d’où ils ont fui les discriminations et les persécutions, et où l’on ne veut pas d’eux non plus. « Ces derniers mois, nous avons soigné des victimes de violences, des personnes qui ont dit avoir été frappées par la police, par des habitants du pays qui les avaient accueillis, par des gens à côté desquels ils avaient vécu pendant des années », rapporte Paul Critchley, responsable de la mission de Médecins Sans Frontières (MSF) au Bangladesh (2). « Nous avons soigné des patients pour coups, blessures à la machette ou encore pour viols », poursuit-il dans un rapport publié le 18 février 2010. Certains d’entre eux se sont enfuis en traversant la rivière qui sert de frontière avec la Birmanie et « cela continue ».

Depuis octobre, dit-il, le camp de fortune de Kutupalong, aux conditions de vie déjà misérables et insalubres, a vu sa population augmenter jusqu’à atteindre le chiffre de 30 000 personnes, suite à l’afflux de plus de 6 000 nouveaux arrivants, dont 2 000 pour le seul mois de janvier.

Il y a environ 250 000 Rohingya au Bangladesh, une minorité musulmane de la Birmanie voisine, qui n’y sont pas considérés comme citoyens, sont victimes d’abus et de travail forcé, n’ont pas le droit de se déplacer, de se marier ou de pratiquer leur religion librement (3). Selon différentes sources, ces réfugiés continuent de fuir la terreur et la répression en Birmanie, et lorsqu’ils y sont rapatriés de force, ils sont nombreux à revenir [au Bangladesh – NdT].

Environ 28 000 d’entre eux se sont vus accorder le statut de réfugié par Dacca. Ils ont reçu une aide alimentaire et les soins nécessaires dans un camp administré par l’UNHCR (Haut Commissariat aux réfugiés des Nations Unies) et n’ont pas subi les abus ou les rapatriements forcés décrits par les autres Rohingya, explique Kitty McKinsey, porte-parole de l’agence onusienne à Bangkok. Mais, depuis 1993, le gouvernement n’a pas autorisé l’UNHCR à enregistrer de nouveaux arrivants.

La plupart des Rohingya au Bangladesh n’ont donc pas de papiers et luttent pour survivre, évitant les autorités et travaillant surtout comme journaliers, domestiques ou encore conducteurs de rickshaws. Ils n’ont aucun accès à l’éducation ni aux autres services d’Etat. « Ils ne peuvent recevoir d’aide alimentaire, s’indigne Paul Critchley. Il leur est interdit de travailler. Tout ce qu’ils ont le droit de faire légalement au Bangladesh, c’est de mourir de faim. » De l’aveu des réfugiés eux-mêmes comme des humanitaires, les conditions actuelles sont les pires qu’ils aient jamais connues.

« Le mois dernier et pour le seul district de Cox’s Bazaar [près de la frontière entre les deux pays – NdT], des centaines de Rohingya ‘non enregistrés’ ont été arrêtés, certains ont été reconduits à la frontière birmane, d’autres jetés en prison sous l’inculpation d’immigration clandestine », rapporte Chris Lewa, qui utilise l’appellation de Birmanie au lieu du nom officiel de Myanmar (4). Chris Lewa suit de très près le sort des Rohingya, en tant que directrice de The Arakan Project, qui a également publié un rapport cette semaine. « Dans plusieurs parties du district, des centaines d’entre eux sont expulsés sous la menace de violences. Les vols, les attaques et les viols contre les Rohingya ont considérablement augmenté », ajoute-t-elle.

La voie pleine de dangers qui, par la mer, menait à une vie meilleure, jusqu’en Thaïlande puis en Malaisie pour y travailler, a été définitivement fermée après que la marine thaïlandaise a repoussé à la mer environ 1 000 Rohingya, il y a plus d’un an, les abandonnant à la dérive et probablement à une mort certaine. Plus de 300 d’entre eux ont été portés disparus et 30 morts ont été confirmées, poursuit Chris Lewa. Aucun bateau n’a été vu aborder la Thaïlande en cette saison de pêche qui suit la mousson [saison navigable qui s’étend de fin octobre à mars environ – NdT]. « Le rejet brutal à la mer et l’incarcération des survivants semble avoir fait renoncer les Rohingya à renouveler leurs tentatives, conclut la directrice de l’ONG. Cet acte horrible a eu pour conséquence d’empêcher tous ces gens de fuir » (5).

Au Bangladesh, la situation dans le camp non officiel est devenue désespérée, confirment aussi bien les réfugiés que les membres des organisations humanitaires. « Nous ne pouvons même pas sortir pour trouver du travail », rapporte Hasan, 40 ans, journalier, qui vit avec sa femme et ses trois enfants dans un taudis sordide fait d’un assemblage de bouts de bois et de plastiques. Il explique qu’il n’a aucun moyen de nourrir sa famille. « Il y a un poste de contrôle tout près d’ici où ils arrêtent les gens », a-t-il récemment confié à un photographe de passage. Comme les autres réfugiés, il demande à ce que son nom ne soit pas cité, par peur des représailles. « Nous ne recevons aucune aide, ajoute-t-il. Personne ne peut emprunter d’argent, tout le monde est dans la misère maintenant. »

La population fait ce qu’elle peut pour survivre. « Quand je vais dans le camp, raconte Paul Critchley, je vois des fillettes aller dans la forêt ramasser du bois pour le feu… Nous avons dû soigner des petites filles et des femmes qui ont été violées comme ça. »

Dans son rapport du 18 février, MSF souligne qu’il y a un an, 90 % de la population du camp de fortune [de Kutupalong] étaient déjà « en situation d’insécurité alimentaire sévère », en d’autres termes, qu’ils étaient en train de mourir de faim. « Les taux de malnutrition et de mortalité ont dépassé le seuil d’urgence et la population a un accès très limité à l’eau potable. Il n’y a pas de système d’évacuation des eaux usées, aucune assistance, aucun soins », relevait le rapport d’évaluation.

Le camp surpeuplé est devenu un incubateur pour les maladies, explique encore Paul Critchley, et avec la mousson qui culminera fin mars-début avril, le personnel médical craint une augmentation de la mortalité par des épidémies de diarrhée aigüe. « Les normes internationales ont fixé un nombre maximum de 20 personnes par latrines, explique le chef de mission de MSF. Avec le nombre de latrines dans ce camp, plus de 70 personnes utilisent les mêmes sanitaires. J’ai vu des bébés jouer avec des excréments humains. »

Les Rohingya savent qu’ils ont été relégués au dernier échelon de la société des hommes, qu’ils ne sont acceptés nulle part, qu’ils sont des exclus sans aucun statut légal et sans aucune protection. Abdul, 69 ans, qui vit au Bangladesh depuis plus de quinze ans, dit que ces pensées lui donnent des cauchemars : « Dans mes rêves, je me dis que si des personnes tuent un animal dans la forêt, elles transgressent la loi. Elles sont arrêtées et punies. Mais pour nous qui sommes des êtres humains, ce n’est pas la même chose. Où sont nos droits ? Je me dis en moi-même que nos vies valent moins que celle d’un animal. »