Eglises d'Asie – Philippines
Attribuées au groupe Abu Sayyaf, les attentats menés à Isabela City témoignent de la réalité de la menace exercée par les rebelles islamistes du sud philippin
Publié le 13/04/2010
… dont trois des assaillants, un policier, trois soldats et sept civils. Les bombes ont explosé au stade municipal d’Isabela City ainsi qu’à proximité immédiate de la cathédrale Santa Isabel de la prélature territoriale d’Isabela, dont le territoire couvre la totalité de l’île de Basilan.
Absent de l’île au moment de l’action terroriste, Mgr Martin Jumoad, évêque-prélat d’Isabela, est arrivé sur les lieux peu après les événements. Accompagné de six prêtres, il s’est rendu sur l’île avec le lieutenant général Ben Dolorfino, commandant des forces armées pour la région occidentale de Mindanao, tandis que l’armée bouclait les issues d’Isabela City. Immédiatement, il s’est rendu à la cathédrale pour constater les dégâts causés par l’engin explosif, qui avait été placé sur une motocyclette. La cathédrale, un bâtiment en béton de style Art Déco, a été très sérieusement endommagée ainsi que le presbytère adjacent. Deux prêtres étaient dans les locaux au moment de la détonation mais ils n’ont pas été blessés, a fait savoir Mgr Jumoad, qui a ajouté avoir immédiatement contacté ses prêtres par SMS pour leur demander de se joindre, s’ils le pouvaient, à la messe qui allait être célébrée le soir même, à 17 h, à la cathédrale. « Une messe à la mémoire des victimes (de l’attaque), qui sera suivie d’une veillée à la bougie sur la place de la cathédrale, où, à 18h, nos amis musulmans nous rejoindront afin que nous témoignions ensemble de notre condamnation collective et de notre désir commun que cette violence prenne fin », a déclaré l’évêque à l’agence Ucanews (1).
A la presse philippine, le général Dolorfino a précisé que la première explosion s’était produite vers 10h 00, l’engin explosif étant placé dans un taxi collectif, vide, semble-t-il. La seconde, celle visant la cathédrale, avait eu lieu quelques minutes plus tard, alors que les forces de sécurité pourchassaient les assaillants. Une troisième bombe, placée tout près du Claret College of Isabela, n’a pas explosé. Ce matin-là, des enseignants étaient réunis en séminaire dans cette école catholique. Enfin, une quatrième bombe a été désamorcée devant la résidence du juge Leo Principe. Ce magistrat du tribunal pénal de Basilan avait ordonné l’arrestation, en 2007, de 130 membres du Front moro de libération islamique (MILF) et du groupe Abu Sayyaf. Se refusant à incriminer nommément ce dernier groupe, le général Dolorfino a toutefois déclaré que ses services ne suspectaient pas le MILF d’être impliqué dans l’action du 13 avril, ses dirigeants menant ces temps-ci des négociations avec Manille en vue d’un accord de paix.
Si Abu Sayyaf n’a donc pas été, pour l’heure, désigné comme étant l’auteur de l’attaque, il n’en demeure pas moins que cette action témoigne du maintien de la capacité d’action des rebelles islamistes de Basilan. L’attaque semble en effet avoir été bien préparée et les assaillants avaient revêtus des uniformes de la police pour la mener à bien. L’armée philippine, épaulée par de nombreux conseillers militaires américains depuis 2002, ne semble pas en mesure d’éradiquer définitivement les groupes rebelles qui se réclament d’Abu Sayyaf ou s’inspirent de son mode d’action.
Située dans le sud philippin, la prélature d’Isabela compte un peu plus de 90 000 catholiques, qui représentent 28 % d’une population totale de 333 000 habitants, par ailleurs presque exclusivement musulmans. L’île de Basilan fait partie de la Région autonome musulmane de Mindanao (ARMM), créée à la suite du référendum de 1989, à l’exception de la ville d’Isabela, dont les habitants ont voté contre leur rattachement à l’ARMM. (Sur 87 000 habitants, Isabela City compte 61 000 catholiques). Le groupe Abu Sayyaf s’est formé autour d’un extrémiste musulman, Abdurajak Janjalani, natif de Basilan, qui s’est illustré par des tueries et des enlèvements de chrétiens dans la région à partir de 1991. Abdurajak Janjalani ayant été tué en 1998, la relève a été assurée par son frère cadet, Khaddafy Janjalani, et un certain Jainal Antel Sali, alias Abu Solaiman, qui, tous deux, ont été tués début 2007. Lors des élections de mai 2007, la présidente Gloria Macapagal-Arroyo déclarait que la lutte contre les différentes insurrections armées était une priorité et elle citait à cet égard le groupe Abu Sayyaf et la Nouvelle armée du peuple (communiste). Nul doute qu’à l’approche des élections générales (législatives et présidentielles) du 10 mai prochain, le sujet va à nouveau être au centre de la campagne électorale.