Eglises d'Asie – Inde
Les chrétiens du Nagaland viennent au secours des réfugiés naga qui fuient les violences de l’Etat voisin du Manipur
Publié le 28/05/2010
« Heureusement, de nombreux chrétiens se sont présentés spontanément et ont donné avec générosité », se réjouit Susan Mao, paroissienne de la cathédrale Sainte-Marie à Kohima. « Ce n’est pas rien de préparer tous les jours des repas pour 500 personnes dans un camp ! », ajoute-t-elle (2).
Les déplacés, en majorité des femmes et des enfants, ont été répartis dans plusieurs camps de secours. D’après leurs témoignages, ils ont subi des attaques de la police et de groupes paramilitaires, la vague de violence ayant atteint son paroxysme au cours des dernières semaines.
L’Etat du Manipur fait partie des territoires dits « tribaux » (aborigènes) du Nord-Est de l’Inde, considérés comme des zones de conflit endémique et soumis à des restrictions d’entrée sur le territoire. Les Naga (3), l’une des principales ethnies du pays, vivent dans la partie montagneuse de l’Etat et sont l’objet de discriminations de la part du gouvernement en raison d’un long passé de revendications indépendantistes.
Les tensions ont commencé début avril lorsque les autorités du Manipur ont annoncé la tenue prochaine d’élections pour les conseils de six districts autonomes des Hills Areas, selon une loi récemment adoptée par le gouvernement mais particulièrement controversée au sein des communautés aborigènes (4). Ces dernières dénoncent les nouvelles dispositions comme étant « anti-tribales », réduisant leurs droits et les empêchant de suivre leurs coutumes et traditions locales comme cela leur a été accordé constitutionnellement. Des organisations de Naga, dont la All Naga Students Association Manipur (ANSAM), d’autres regroupements aborigènes, tel le Manipur Tribal Joint Action Committee, ont alors demandé alors au gouvernement de revoir la loi et d’annuler les élections, menaçant de mettre en place un blocus, isolant l’Etat du Manipur, si leurs revendications n’étaient pas entendues.
Le 11 avril, sous la coordination de l’ANSAM, les Naga établissaient des barrages sur les voies d’accès principales au Manipur pour un « blocus illimité ». Le bras de fer se poursuivait depuis trois semaines lorsque « l’incident de Mao Gate » achevait de mettre le feu aux poudres. Le 6 mai dernier, le ministre-président de l’Etat, Okram Ibobi Singh, refusait l’entrée sur le territoire du leader indépendantiste du Nagaland, Thuingaleng Muivah, qui devait se rendre dans son village natal du Manipur. Les Naga se préparaient à recevoir avec faste le chef du National Socialist Council of Nagalim (NSCN-Isak Muivah), qui avait renoncé au combat armé avec le gouvernement central indien depuis le cessez-le-feu de 1997 (5).
Bien que Thuingaleng Muivah avait reçu du ministère fédéral de l’Intérieur l’assurance que « [sa] visite au Manipur serait facilitée », les autorités du Manipur avaient déployé, dès le 1er mai, des centaines de policiers et de militaires à Mao, ville frontière et passage obligé entre le Nagaland et le Manipur. Les jours suivants, les populations naga venues accueillir leur leader étaient dispersées par les troupes gouvernementales et les manifestations pacifiques (comme la marche de 5 000 femmes naga le 4 mai), réprimées avec violence.
Le 6 mai, une grande manifestation pacifique naga s’était tenue à Mao Gate, en faveur de Thuingaleng Muivah. Selon des sources locales, les forces de l’ordre auraient tiré sans sommation sur la foule et tué deux jeunes étudiants, blessant grièvement plus de 80 personnes, essentiellement des femmes. Puis la police de l’Etat et les militaires auraient ensuite pourchassé les Naga et menacé ceux qui persistaient à rester dans les villages des environs, les obligeant à fuir au Nagaland tout proche.
Le jour même, les organisations naga envoyaient un mémorandum au gouvernement central indien, l’informant de « l’état de guerre prévalant dans la région de Mao », demandant une enquête sur « l’incident de Mao Gate », le retrait des troupes, ainsi que l’autorisation de pénétrer au Manipur pour Thuingaleng Muivah. Mais malgré les protestations des mouvements aborigènes, des organisations de défense des droits de l’homme ou encore de chrétiens comme la All Manipur Christian Organisation (AMCO), qui réunit différentes dénominations chrétiennes (6), la situation est restée depuis dans l’impasse, le gouvernement du Manipur refusant de revenir sur sa décision, les Nagas d’arrêter leur blocus, le gouvernement central d’intervenir de façon décisive.
A l’heure actuelle, le blocus perdure et menace le Manipur d’une grave crise alimentaire. Les prix du riz, de l’essence et des médicaments ont flambé et ne sont disponibles qu’au marché noir pour trois fois leur prix habituel. L’armée de l’air fédérale a dû acheminer à Imphal, la capitale de l’Etat, des colis alimentaires et médicaux d’urgence.
Très investies dans le dialogue interreligieux et ethnique, les Eglises chrétiennes des deux Etats ont proposé leur médiation, restée sans effet pour le moment. « Le Manipur est à feu et à sang, presque tous les jours, et depuis tellement d’années, explique Madhu Chandra, secrétaire régional du All Christian Council pour le nord de l’Inde. Mais cette fois, c’est bien plus grave. Les gens ne se respectent plus, qu’ils soient de la vallée ou des montagnes, tout le monde souffre maintenant. » Le 22 mai dernier, l’organisation œcuménique a organisé un rassemblement de prière sur le thème de « la paix au Manipur ». Parallèlement, The Mao Naga Women Welfare Association, réunissant différentes Eglises chrétiennes, continue de tenir, depuis l’incident du 6 mai, des réunions de prières dans les villages de la région de Mao.
Les élections controversées dans les Hills Areas se sont finalement tenues comme prévu le 26 mai dernier, sous haute surveillance policière et militaire.