Eglises d'Asie – Philippines
Les évêques catholiques approuvent la priorité donnée par Noynoy Aquino à la lutte contre la corruption et appellent le président à réformer le pays
Publié le 17/06/2010
… particulièrement dans les domaines de la foi et de la morale. »
Elu le 10 mai dernier avec 15,2 millions de voix (42 % des suffrages), Benigno ‘Noynoy’ Aquino III, 50 ans, a été proclamé le 10 juin dernier 15ème président de la République des Philippines. Lui et le vice-président, Jejomar Binay, prendront leurs fonctions le 30 juin prochain. Dans un pays où près d’un habitant sur trois vit avec moins d’un dollar par jour, Noynoy Aquino a fait de la lutte contre la corruption et la pauvreté les priorités de son mandat.
Le 10 juin, l’ancien président de la Conférence des évêques des Philippines, Mgr Angel Lagdameo, a insisté : « Nous espérons qu’ils [Aquino et Binay] seront fidèles à leurs promesses de campagne, notamment dans la lutte contre la corruption et la pauvreté. » L’évêque a immédiatement ajouté : « Nous espérons qu’ils seront en mesure de nommer des responsables honnêtes qui ne chercheront pas simplement à toucher des pots-de-vin », allusion à peine voilée au fait que, si le nouveau président est bel et bien populaire, ses réalisations en politique sont, à ce jour, ténues et ses liens avec l’oligarchie qui contrôle l’économie philippine avérés.
Quelques jours plus tard, plusieurs évêques ont saisi les festivités de l’Independence Day, jour où les Philippines commémorent la déclaration d’indépendance de 1898, pour faire passer leur message. « La vraie indépendance signifie se libérer de ses péchés, a déclaré l’évêque de Tuguegarao, Mgr Diosdado Talamayan. Par conséquent, l’essence profonde de l’indépendance est la libération de la concussion et de la corruption. » Le 14 juin, le cardinal Gaudencio Rosales, archevêque de Manille, ajoutait : « A l’heure où nous célébrons notre indépendance, prions que nous parvenions à la vraie liberté, exempts de tout esprit de division. (…). J’espère que la nouvelle équipe à la tête du pays saura reconnaître ce qu’elle doit au peuple, non pour le bien de tel ou tel parti (politique), de telle ou telle religion, ou même de l’Etat, mais pour le bien de la nation. »
Sans attendre, des évêques ont appelé le président à prendre des mesures concrètes. Le 15 juin, à la tête de diocèses situés au centre de l’île de Luzon, sept d’entre eux ont signé une lettre intitulée : « Restoring Integrity, Alleviating Poverty ». Ils dénoncent la récente décision prise par les municipalités d’Urdaneta City (province de Pangasinan) et de San Leornardo (province de Nueva Ecija) d’approuver la construction de deux casinos. Les promoteurs de ces projets mettent en avant les emplois et la richesse créés par les futurs casinos. Les évêques craignent un appel d’air pour la corruption et l’appauvrissement des familles des joueurs impénitents. « Nous ne faisons pas que protester, écrivent les évêques. Nous offrons des alternatives morales viables. » Mgr Socrates Villegas, archevêque de Lingayen-Dagupan, a mis en avant les programmes de microcrédit développés dans certains diocèses qui pourraient être étendus à de plus nombreux bénéficiaires pourvu que l’Eglise coordonne ses initiatives avec le gouvernement. « S’il n’est pas légalement possible de fermer tous les casinos immédiatement, nous plaidons pour que le gouvernement n’autorise pas l’ouverture de nouveaux établissements », concluent les évêques (1).
Le 8 juin, c’était la branche pour l’action sociale de la Conférence épiscopale des Philippines qui prenait position en appelant Noynoy Aquino à imposer un moratoire sur la mise en œuvre de nouvelles exploitations minières. Lors d’une rencontre avec les médias, le P. Edwin Gariquez, secrétaire exécutif du Nassa (National Secretariat for Social Action), a demandé « des changements dans la politique minière » du gouvernement. Selon lui, l’administration sortante, celle de Gloria Arroyo, s’est montrée très favorable aux investissements étrangers dans le secteur minier et peu soucieuse de protection de l’environnement ou du bien-être des communautés affectées par les opérations minières. Dans tout le pays, plus de 500 000 hectares de terre ont ainsi été concédés par les autorités à des compagnies privées. Pour l’Eglise, a précisé le prêtre, la lutte contre l’expansion incontrôlée des mines aux Philippines est une priorité car les richesses exploitées ne contrebalancent ni les dommages à l’environnement ni les pertes subies par les agriculteurs et les pêcheurs.
Enfin, sur le point très sensible de la réforme agraire, un dossier récurrent de la vie politique philippine, Mgr Broderick Pabillo, évêque auxiliaire de Manille, a, le 8 juin, interpellé Noynoy Aquino afin qu’il nomme un ministre de la Réforme agraire dont la feuille de route sera « la justice sociale ». « Aquino devra choisir un ministre qui connaît et comprend la loi (sur la réforme agraire) et qui se montre prêt à l’appliquer réellement afin de favoriser la justice sociale », a déclaré le prélat, qui figure au nombre des évêques parmi les plus engagés auprès du monde paysan en faveur d’une véritable réforme agraire (2).
Sur l’avenir de la réforme agraire, Noynoy Aquino est très attendu, certains aux Philippines estimant que ce sera là un test de la volonté politique du nouveau président. Qu’il arrive à des résultats sur ce terrain-là, soulignent ces observateurs philippins, et cela indiquera qu’il est capable d’initier un vrai changement dans le pays, en tournant la page de la montée de la corruption et de la déliquescence des institutions. Qu’il échoue et cela montrera qu’il n’est que l’héritier d’un système, le fils d’une élite riche et puissante. Le test pourrait être l’avenir de l’Hacienda Luisita, le fief de 4 000 hectares des Aquino-Cojuangco, propriété de la famille depuis 1958. Située à une centaine de kilomètres au nord de Manille, dans la province de Tarlac, la plantation a, jusqu’à ce jour, échappé à la réforme agraire, pourtant votée en 1988 sous la présidence de Cory Aquino, la mère de Noynoy Aquino (3).