Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Interview du cardinal-archevêque de Saigon à son retour de Rome

Publié le 07/07/2010




A l’issue de son récent séjour à Rome, du 30 mai au 3 juin 2010, le cardinal-archevêque de Saigon, Mgr Jean-Baptiste Pham Minh Mân, avait déjà fait connaître dans un premier communiqué (1), l’essentiel de la teneur de ses entretiens avec trois hauts responsables romains au sujet de la situation de l’Eglise du Vietnam après l’acceptation de la démission de l’archevêque de Hanoi par le Souverain pontife.

Revenu au Vietnam le 8 juin dernier, après un court séjour aux Etats-Unis, à deux reprises et dans des termes à peu près identiques, il a précisé et complété le premier compte rendu à l’intention de l’Eglise du Vietnam, dans un communiqué mis en ligne sur le site Internet de la Conférence épiscopale (2), et dans une interview publiée sur le site de l’archidiocèse de Saigon (3). Nous traduisons ci-dessous l’essentiel de ce dernier texte.

(…) Eminence, pouvez-vous nous dire quel était le but de votre voyage ?

Card. J.-B. Pham Minh Mân : Un certain nombre d’opinions diffusées sur le réseau Internet ou transmis de bouche à oreille ont semé bouleversement et trouble à l’intérieur de la communauté catholique et dans la société. Ainsi, certains attribuent la responsabilité [de l’affaire de la démission de l’archevêque de Hanoi – NdT] à la Congrégation pour l’évangélisation des peuples. On a parlé de l’existence d’un accord passé avec la Secrétairerie d’État, de connivence avec quelques personnalités d’Eglise pour des raisons d’intérêt personnel, de la naïveté du Vatican… Un groupe d’évêques m’a donc proposé d’aller à la recherche de la « vraie » vérité face aux rumeurs et aux pseudo-vérités afin de ramener le calme au sein de la communauté ecclésiale comme de la société.

Pourriez-vous nous informer du déroulement de votre visite ?

J’ai quitté Saigon dans l’après-midi du 30 mai 2010 et suis arrivé à Rome dans la matinée du 31 mai. Ce jour même, je me suis entretenu avec les prêtres, religieux et fidèles vietnamiens envoyés par moi poursuivre des études à Rome. Dans la matinée du lendemain, je me suis entretenu pendant près d’une heure avec Mgr Dominique Mamberti, secrétaire pour les relations avec les Etats à la Secrétairerie d’Etat, puis avec Mgr Ettore Ballestrero, son adjoint, également pendant une heure. Dans l’après-midi du même jour, je suis allé rendre visite au cardinal Roger Etchegaray, toujours en traitement après sa fracture du fémur. Le 2 juin, j’ai rencontré le cardinal Ivan Dias, préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples. Notre rencontre a duré une heure et demie. L’après-midi a été consacrée à des entrevues avec des prêtres et religieux vietnamiens travaillant au Vatican.

Pourrions-nous connaître la teneur de vos entretiens au cours de ce voyage ?

Lors de mon entrevue à la Secrétairerie d’Etat, après avoir entendu mon exposé sur la situation créée par les rumeurs en question, Mgr Mamberti m’a parlé de la mission de la section chargée des relations avec les Etats, qui est de servir au mieux les intérêts de l’Eglise locale et universelle dans le respect de la volonté des personnes. Mgr Ballestrero m’a expliqué que, dans la mise en œuvre de cette orientation, son service écoutait attentivement et respectait le point de vue de la personne concernée ainsi que son rôle dans la société. Il tenait compte de sa fonction comme de son rôle dans la société. Le prélat m’a informé que lorsque son service avait communiqué au gouvernement vietnamien, comme il en avait la mission, la décision du Saint-Père d’accepter la demande de démission de Mgr Ngô Quang Kiêt, archevêque de Hanoi pour raison de santé, il avait clairement fait savoir à ses interlocuteurs que le Saint-Père avait pris cette décision afin de respecter la volonté intrinsèque de celui qui avait dicté cette demande.

(…) Le cardinal Roger Etchegaray a déclaré être au courant du trouble causé par les rumeurs au sujet de l’archevêque de Hanoi. « Nous nous sommes accordés sur le fait qu’il fallait écouter attentivement la voix du peuple de Dieu », a-t-il dit. J’ai répondu pour ma part que, de plus, ceux qui conduisaient le peuple de Dieu devaient aussi prêter attention à ce que le Saint Esprit voulait leur dire à travers la voix du peuple de Dieu. C’est ainsi que l’on réalise fidèlement la volonté de Dieu et que l’on peut accompagner et guider les fidèles sur le chemin de Dieu. Au cardinal Etchegaray qui me demandait si je rencontrerai le pape, j’ai répondu que la Secrétairerie d’Etat et la Congrégation pour l’évangélisation des peuples m’avaient déjà suffisamment aidé à connaître la vérité. Je ne voulais pas déranger le Saint-Père déjà suffisamment occupé par tant d’autres affaires et problèmes.

Lors de ma visite à la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, après m’avoir écouté, le cardinal Ivan Dias m’a expliqué le rôle de sa Congrégation et les orientations de son travail. Tout en servant les intérêts de l’Eglise, la Congrégation s’efforce d’écouter attentivement et de respecter la volonté et la personnalité de l’intéressé. Lui-même rend compte de la situation et de son évolution en permanence au Saint-Père et échange avec lui afin que celui-ci puisse réfléchir, prier et décider. Avant de prendre sa décision, le Saint-Père a écouté attentivement l’archevêque de Hanoi. C’est par respect pour la volonté intrinsèque de Mgr Ngô Quang Kiêt qu’il a accepté sa demande de démission. De plus, une expérience de plus de trente ans d’action diplomatique en de nombreux pays comme le Vietnam, a appris au cardinal Dias à prendre en considération la mission des évêques. Au Vietnam aujourd’hui, elle consiste à annoncer l’Evangile, à conduire les fidèles dans la lumière de la foi, et à édifier une Eglise unie dans la charité fraternelle. Il a conseillé aux catholiques vietnamiens répandus à travers le monde entier de prier avec assiduité la Vierge de La Vang, reine de la paix. Le 29 mai 2010, le cardinal avait rencontré le Saint-Père, lui avait exposé la situation de l’Eglise au Vietnam et lui avait même annoncé ma prochaine arrivée à Rome pour y rencontrer les responsables de deux congrégations.

Pouvons-nous connaître les conclusions que vous tirez de ce voyage ?

Ce voyage m’a permis d’élargir mon expérience pastorale sur les points suivants :

1.) Face aux problèmes qui peuvent surgir, la tâche du pasteur est d’écouter attentivement, de chercher à comprendre, d’accompagner et de guider le peuple de Dieu à la suite de Jésus, maître de l’Histoire, sur le chemin d’amour qui conduit à l’abondance de vie du Ressuscité. Le pasteur doit garder en lui la certitude que seule la foi, l’espérance et la charité, et surtout la grâce de Dieu par la sagesse, la force et la communion, lui permettront de conduire d’une main ferme le vaisseau de l’Eglise, traversant toutes les tempêtes, quelles que soient les époques.
2.) En toutes circonstances, dans la paix ou dans l’épreuve, il faut, avec persévérance, se tenir sous la lumière et l’amour salutaire du Seigneur. Seule la parole de Dieu est lumière véritable. Ce que pensent les hommes passera. Mais la sagesse de Dieu s’élève au-dessus de celle des hommes, de même que le Ciel est éloigné de la Terre.
3.) La personnalité humaine est composée de trois éléments : l’hérédité, l’environnement (famille, école, communauté sociale, Eglise), et la conscience ou libre volonté. Selon ce principe, lorsque la communauté des croyants se trouve dans une situation telle que l’entente et l’unité lui font défaut, qu’un certain nombre de fidèles se laissent entraîner par les usages du monde ou qu’ils laissent leur ferveur se refroidir, leurs pasteurs ont une part de responsabilité… Ils auraient dû éduquer, former et épauler leurs fidèles de telle sorte qu’ils sachent prendre la Parole de Dieu comme fondement pour édifier chaque jour davantage leurs familles, leurs communautés ecclésiales et sociales.
4.) Enfin, ces rencontres et ces entretiens m’ont aidé à retrouver la paix et m’ont convaincu encore davantage de la justesse de la pastorale adoptée par notre diocèse. Plus concrètement, comme je l’ai dit dans les « Propos du passeur » (4) que j’ai adressés à la famille diocésaine pour le mois de juin ; en nous conformant à la voie indiquée par le Seigneur et par l’Eglise, nous ne nous écartons pas de notre religion, nous ne la trahissons pas, même si certains se l’imaginent (…).