Eglises d'Asie

Le président Aquino et l’épiscopat catholique renouent le dialogue

Publié le 04/11/2010




Après l’agitation médiatique créée au début du mois d’octobre dernier par l’opposition résolue des évêques philippins à un projet de loi relatif à « la santé reproductive » (1), les conditions d’un dialogue serein entre l’administration dirigée par Noynoy Aquino et l’Eglise catholique se mettent peu à peu en place. On se souvient que, le 29 septembre dernier, une interview du président de la Conférence des évêques catholiques…

… des Philippines à Radio Veritas avait mis le feu aux poudres : Mgr Nereo Odchimar y aurait déclaré que le président Noynoy Aquino s’exposait au risque de se voir excommunié au cas où il persistait à vouloir faire voter en l’état un projet de loi sur la santé reproductive prévoyant un financement public généralisé des moyens de contraceptions, au nombre desquels figuraient des produits abortifs. Durant trois jours, les médias philippins avaient fait leurs titres sur cet affrontement entre l’administration Aquino, désireuse de contenir l’essor démographique du pays, et l’épiscopat philippin, gardien des valeurs fondamentales du respect de la vie. Finalement, la polémique était retombée, les évêques comme le président faisant état publiquement d’une volonté commune de dialogue sur ces sujets.

 

La première manifestation concrète de ce dialogue renoué a été donnée par une rencontre le 11 octobre au palais présidentiel de Malacanang. Noynoy Aquino y recevait quatre évêques : le cardinal Vidal, archevêque de Cebu (dont le départ à la retraite, à presque 80 ans, a été annoncé quatre jours plus tard), Mgr Luis Antonio Tagle, d’Imus, Mgr Antonio Ledesma, de Cagayan, et Mgr Odchimar, de Tandag. Un porte-parole de la présidence a qualifié la rencontre de « dialogue », tandis qu’un membre de la Conférence épiscopale précisait de son côté que « le dialogue restait à mettre en place ». Selon le porte-parole présidentiel, Noynoy Aquino a expliqué sa conception en matière de « parentalité responsable », assurant les évêques de sa non-préférence pour telle ou telle méthode de planning familial. De leur côté, les évêques ont assuré le président qu’il n’était pas menacé d’excommunication.

 

Selon un officiel de la Conférence épiscopale, la rencontre ne pouvait aller au-delà d’une prise de contact formelle. En effet, à la date du 11 octobre, le Conseil permanent de la Conférence des évêques ne s’était pas réuni pour discuter d’une position commune à l’ensemble de l’épiscopat philippin. Une telle réunion a eu lieu depuis eu lieu mais ses conclusions n’ont pas été rendues publiques.

 

Quelques jours plus tard, trois jésuites, les PP. Eric Genilo, John Carroll et Joaquin Bernas, ont fait paraître un texte appelant à « un engagement constructif et critique » de l’Eglise dans le débat sur le vote au Congrès du projet de loi relatif à la santé reproductive. Selon eux, les deux parties en présence, l’Administration Aquino et l’Eglise catholique, doivent se garder de positions extrêmes et entrer en négociation pour le bien de tous les Philippins. Le projet de loi, tel qu’il se présente aujourd’hui, comporte de graves imperfections qui peuvent mener à une violation des droits de la personne et de la liberté de conscience, mais, avant tout, l’Eglise comme le gouvernement doivent s’entendre sur la définition des termes utilisés, argumentent les trois prêtres attachés à la Faculté de théologie Loyola et à l’Institut J. Carroll sur l’Eglise et les questions sociales.

 

A titre d’exemple, ils citent le problème posé par la définition de la « conception ». Certains contraceptifs empêchent la nidification (dans l’utérus) de l’embryon, écrivent-ils. Pour l’Eglise, il s’agit là de produits abortifs – et dont l’usage est donc condamné. L’Etat doit se prononcer et dire si, selon lui, empêcher la nidification de l’embryon équivaut à un avortement. Si c’est le cas, préconisent les trois prêtres, les moyens de contraception que la loi prévoit de financer doivent être évalués un par un.

 

Par ailleurs, la Constitution stipule qu’une instruction religieuse dans les écoles publiques ne peut être dispensée aux élèves que si les parents y ont consenti par écrit. Les trois prêtres s’interrogent sur l’opportunité d’inscrire une disposition similaire dans la loi fondamentale à propos de l’éducation sexuelle à l’école. Dans le même ordre d’idée, le projet de loi prévoit que les employeurs, dans le cadre des accords collectifs d’entreprise ou de branche, devront fournir des services à leurs employés dans le domaine de la santé reproductive. Selon les trois prêtres, une telle disposition ne peut être votée que si elle prévoit une clause de conscience permettant aux employeurs catholiques qui le souhaitent de ne pas l’appliquer.

 

« Ces propositions visent à poser les conditions d’un dialogue constructif et respectueux afin d’ouvrir la voie à des actions concrètes pour corriger » le texte du projet de loi, font valoir les prêtres jésuites.

 

Le 24 octobre, l’archevêque de Caceres, Mgr Leonardo Legaspi, a repris l’essentiel des propositions des trois jésuites dans une Lettre pastorale intitulée : « Ne vivons pas comme des fous mais comportons-nous comme des sages ». Au-delà de la définition des termes employés dans le texte du projet de loi, l’évêque réaffirme une position exprimée dès 1973 par l’épiscopat philippin, à savoir que l’infléchissement de la croissance démographique n’est pas la clef qui ouvrira la porte de la croissance économique. Le problème auquel fait face le pays réside plutôt dans une conjonction de facteurs tels qu’une médiocre gouvernance et des politiques économiques faiblement mises en œuvre, écrit l’évêque.

 

L’archevêque émérite de Lingayen-Dagupan, Mgr Oscar Cruz, s’est quant à lui plaint de l’apathie des fidèles catholiques face aux enjeux de civilisation portés par le projet de loi. Regrettant le silence de nombre d’organisations catholiques laïques, il s’est exclamé : « Oui, les églises sont pleines le dimanche, les gens répondent présents aux neuvaines et aux processions en l’honneur de leurs saints favoris, mais la foi qu’ils manifestent semble à la fois éclectique et superficielle, tandis que les critères moraux qui devraient diriger chacun et chacune restent incertains. »

 

Pour le cardinal Vidal, si l’Eglise évoque l’excommunication ou le refus des sacrements, c’est uniquement pour rappeler aux fidèles que l’avortement est un péché grave.