Eglises d'Asie

Les secours apportés aux 100 000 personnes déplacées par l’éruption du volcan Merapi sont l’occasion, pour des islamistes, de recruter des partisans

Publié le 11/11/2010




Entré en éruption le 26 octobre dernier, le volcan Merapi, situé dans la province de Java-Centre, non loin de Yogyakarta, continue de rester menaçant. Le bilan, provisoire, de cette catastrophe volcanique s’élève à 191 morts et près de 600 blessés graves, tandis que l’agence de vulcanologie a étendu la zone de risque à un périmètre de 20 km autour du volcan. Pour les quelque 100 000 personnes qui ont été évacuées de la zone, …

… la vie se réorganise vaille que vaille dans des camps de personnes déplacées ou auprès de différentes structures d’accueil mises en place par les autorités et la société civile. Des témoignages laissent entrevoir que des organisations islamistes cherchent à se positionner auprès des déplacés, avec le souhait, pour certaines d’entre elles, de recruter de nouveaux partisans.

 

Dans un premier temps, un camp de déplacés a été installé à Umbulharjo, sur les flancs du volcan. Le 4 novembre, Elisabeth D. Inandiak, journaliste et écrivain française, installée à Yogyakarta depuis plusieurs années, donnait le témoignage suivant au Monde.fr : « Le camp est installé dans des bureaux du canton. Des réfugiés dans toutes les pièces sur des nattes. Deux mille cinq cents. La pagaille. Beaucoup de volontaires généreux, gais, dont des étudiantes voilées d’une université islamique cuisinant bénévolement aux côtés de religieuses catholiques, tout aussi voilées » (1). Le lendemain, elle écrivait, dans les colonnes du Monde, les lignes suivantes : « Dans la débâcle, ils (les déplacés) abandonnent le peu de biens qu’ils possédaient encore. Deux jours plus tard, sachant que, à la différence des autres réfugiés, leur exil allait durer longtemps, Masrur, le chef de la pesantren Al-Qodir (un pensionnat musulman de tradition soufie qui accueille depuis toujours des filles et des garçons de paysans pauvres, des jeunes dépressifs ou drogués), leur offre l’hospitalité dans les bâtiments de son école maternelle enfouie sous une petite forêt à 15 km du sommet. Voilà les 300 survivants de Kinahrejo regroupés dans ce lieu enfin paisible, avec de l’eau et des toilettes. Masrur leur fait construire un toit en zinc sur une charpente en bambous pour la cuisine communautaire, il congédie les bénévoles de tous bords et invite les femmes réfugiées à cuisiner elles-mêmes. Rien de pire que l’inactivité pour des victimes. La vie de village semble soudain se réorganiser sous l’impulsion généreuse de Masrur, qui fait monter la garde devant l’école maternelle, car, depuis une semaine, des groupuscules islamistes s’introduisent dans les camps et cherchent à faire de nouvelles recrues pour des attentats-suicides : « Le temps des catastrophes est la meilleure saison pour eux, et les adolescents oisifs, déstabilisés, sont des proies de choix. » » (2).

 

D’un côté, le témoignage d’une organisation ‘bon enfant’ des secours, où agissent côte à côte des étudiantes musulmanes voilées et des religieuses catholiques, et, d’un autre côté, l’action de « groupuscules islamistes » en maraude à la recherche de jeunes âmes à enrôler. Pour certains observateurs sur place dont le témoignage est parvenu à Eglises d’Asie, cette situation est caractéristique de ce qui se passe dans l’organisation des secours aux victimes de cette catastrophe naturelle.

 

Située au sud de Yogyakarta, la paroisse catholique de Ganjuran s’est mobilisée pour accueillir des déplacés. « L’agitation est grande. Tous s’affairent à s’occuper des réfugiés. Au cœur de cette agitation, le complexe religieux (mis à disposition pour héberger les réfugiés sans distinction de religion) a été visité par un groupe du Front des défenseurs de l’islam (FPI) qui a demandé à ce que les musulmans quittent le lieu car ils estiment que l’Eglise va ‘catholiciser’ les réfugiés musulmans. La tension a alors été forte entre le FPI menaçant et les volontaires qui étaient là pour s’occuper des réfugiés. La police et le chef du district ont été appelés. Et, après que la police et le chef du district eurent discutés avec les gens du FPI, ceux-ci se sont excusés », nous apprend un courriel reçu de la paroisse. Son auteur précise qu’habituellement, « ce n’est pas le style du FPI de s’excuser », mais que, cette fois-ci, le geste des islamistes a permis « à la tension de s’apaiser ». « Nous ne savons pas si des réfugiés musulmans ont été emmenés par les gens du FPI ou non », conclut toutefois le courriel.

 

Groupe radical, le FPI (Front Pembela Islam) est connu depuis des années pour ses exactions à l’encontre des minorités, plus particulièrement des chrétiens, ainsi que pour ses actions spectaculaires visant à imposer une acception rigoriste de l’islam. Il y a peu, il a lancé une vaste campagne « pour l’application de la charia » et « la déchristianisation du pays ». A la fin du mois de juin 2010, le FPI avait organisé à Bekasi, ville de la banlieue de Djakarta et quartier général du mouvement, un rassemblement de groupes islamiques radicaux. Selon les organisateurs, environ 2 000 militants avaient assisté à l’événement au cours duquel plusieurs « résolutions » avaient été prises afin d’enrayer l’expansion des chrétiens en Indonésie et faire adopter la charia (3).

 

L’activisme dont fait montre le FPI ainsi que d’autres groupuscules extrémistes à l’occasion de l’éruption du Merapi fait écho à d’autres événements, comme ceux qui suivirent le tremblement de terre de Bantul le 26 mai 2006. Dans cette région, qui se trouve, là aussi, à proximité immédiate de Yogyakarta, des rumeurs furent colportées à l’encontre des chrétiens, ceux-ci étant soupçonnés de vouloir convertir au christianisme les musulmans soignés dans les hôpitaux catholiques et protestants. Le 1er juin 2006, dans les colonnes de Republika, quotidien musulman de tendance radicale, paraissait un article qui mettait en garde contre les tentatives de conversion. On pouvait y lire le passage suivant : « Le secrétaire général du Conseil des oulémas d’Indonésie (MUI), le Professeur Din Samsuddin, met en garde les fidèles musulmans, à travers les organisations de masse et institutions musulmanes, contre les tentatives de conversion à l’égard des victimes du tremblement de terre du 26 mai. Il signale que certains milieux religieux ont déjà commencé leurs activités de propagande en dressant des « postes de commandement » [dont le but est la centralisation des secours] sur les zones de la catastrophe ». « J’ai vu de mes propres yeux deux tentes spéciales qui regroupaient des enfants [de moins de 5 ans], et je ne sais pas s’il y a une raison à cela ou non, mais nous devons faire attention car je suis sûr que ce ne sont pas des organisations musulmanes. Je demande à toutes les organisations de masse musulmanes et aux institutions musulmanes d’accompagner les victimes de la catastrophe par une annonce de la foi musulmane », a expliqué Din Samsuddin devant les participants à la réunion de coordination des « Activités d’islamisation et d’aide aux victimes du tremblement de terre », qui s’est tenue dans le hall du centre de la Muhammadiyah à Yogyakarta, hier en fin d’après-midi. (…) D’après Din, les mouvements de christianisation à Yogyakarta sont importants, c’est pourquoi, afin de prévenir toute possibilité de conversion parmi les victimes du tremblement de terre, il est demandé à toutes les organisations de masse et institutions musulmanes d’accompagner leurs aides logistiques et en nourriture d’une annonce de la foi musulmane. Y compris un soutien spirituel pour les enfants. « Elles [les organisations chrétiennes] disposent de la logistique et des fonds suffisants ; c’est pourquoi nous aussi devons faire de même en annonçant la foi. Bien que nous soyons en retard, nous demandons aux organisations de masse et aux institutions musulmanes d’envoyer des prédicateurs (da’i) sur les lieux de la catastrophe », a clairement et fermement affirmé Din Samsuddin.

 

Pour Din Samsuddin (Din Syamsuddin), qui, outre ses fonctions au MUI (4), est le principal responsable de la Muhammadiyah, la deuxième plus importante organisation musulmane de masse après le Nahdlatul Ulama, les catastrophes naturelles, notamment à Java-Centre où les musulmans javanais sont jugés insuffisamment musulmans, sont autant d’occasion d’une islamisation de la société par l’envoi de prédicateurs (da’i).

 

Ainsi que l’explique un observateur attentif de l’islam indonésien, s’il y a bien eu, ponctuellement, en 2006, des Eglises protestantes qui proposaient des « paket » pour la reconstruction, lesquels incluaient une « salle de prière protestante » (rumah ibadat protestan), le fantasme de la « conversion » (pemurtadan) ou de la « christianisation » (kristianisasi) montre que les groupes islamistes projettent sur les autres les mécanismes même qui les habitent : le rêve d’une religion globalisante et exclusive, qui ne laisse pas place à « l’autre », à celui qui est différent.

 

Peuplé de 238 millions d’habitants, l’Indonésie compte un peu moins de 90 % de musulmans et 10 % de chrétiens (3,5 % de catholiques et 6,5 % de protestants).