Eglises d'Asie

Arrestation médiatisée de Cu Huy Ha Vu, défenseur des six inculpés de Côn Dâu

Publié le 12/11/2010




Le 5 novembre dernier, dans un grand hôtel de Saigon, la Sécurité publique a arrêté Cu Huy Ha Vu, célèbre opposant à la tête d’un cabinet d’avocats et dont les services avaient été demandés pour la défense des six paroissiens de Côn Dâu. Cette arrestation a été accompagnée d’un grand déploiement …

… de publicité contrastant avec la discrétion adoptée par les autorités au sujet du procès.

L’affaire paraît complexe. Liée au procès des six paroissiens mais aussi à bien d’autres affaires, elle comporte en outre un arrière-plan politique tout à fait inattendu. A la une des journaux officiels mais également présentée dans les sites et les blogs indépendants, elle a pris peu à peu des proportions hors du commun et quelque peu inquiétantes.

Avant et après le procès du 27 octobre, Cu Huy Ha Vu, 53 ans, docteur en droit, avait vivement protesté contre le refus du tribunal d’autoriser les avocats de son cabinet à assurer la défense des accusés. Il avait ensuite aidé ces derniers à se pourvoir en appel. Le 5 novembre, la presse officielle annonçait son arrestation, la nuit précédente. Elle rapportait, photo à l’appui, qu’une équipe de la Sécurité publique, procédant à une opération de contrôle, avait surpris l’avocat en compagnie d’une prostituée dans un grand hôtel de Hô Chi Minh-Ville. Dans l’après-midi, des perquisitions étaient entreprises à son domicile de Hanoi.

Cependant, cette première version des faits va rapidement être mise à mal. Un journal révèle que la prétendue prostituée est, en fait, membre du barreau de Hô Chi Minh-Ville. Un site dissident démontre, après analyse, que la photo destinée à compromettre Cu Huy Ha Vu date, en réalité, du mois de février précédent et qu’elle a été retouchée grâce à photoshop. Dans l’après-midi du 6 novembre, la présentation officielle de l’affaire va changer du tout au tout. Au nom de la Sécurité publique, le général Hoang Kông Tu tient une conférence de presse (1). Cu Huy Hai Vu est désormais accusé d’avoir violé l’article 88 du Code pénal en se livrant à des activités oppositionnelles contre l’Etat vietnamien. Les preuves alléguées sont une série de textes signés du juriste parus ces dernières années et largement diffusés sur Internet. Certains d’entre eux demandent l’amnistie pour les militaires et fonctionnaires de l’ancien régime (avant 1975). D’autres réclament le pluralisme politique. Les plus connus de ces textes sont deux mises en accusation directe du Premier ministre, dont l’une lui reprochant d’avoir signé le décret autorisant l’exploitation de la bauxite sur les Hauts Plateaux du centre du Vietnam. C’est donc tout un passé d’opposant politique qui est soudainement mis en relief par ces nouveaux chefs d’accusation.

Les commentaires de cette affaire ont été nombreux. Un des plus intéressants émane d’un célèbre blogueur « le colporteur de vent » (Nguoi buôn gio) (2), qui, bien que non catholique, s’est beaucoup intéressé aux divers conflits qui, depuis la fin de 2007, ont opposé certaines communautés catholiques au pouvoir civil. Il fait remarquer en particulier que l’auteur de la liste des écrits et des activités censées démontrer la culpabilité Cu Huy Ha Vu a soigneusement passé sous silence, avec une intention précise, certaines affaires et en particulier l’implication de l’opposant dans le procès de Côn Dâu. Selon le blogueur, en compromettant Cu Huy Ha Vu dans une affaire de mœurs, on cherchait à le déconsidérer aux yeux des milieux catholiques vietnamiens, qui ont la réputation d’être particulièrement sourcilleux en matière de morale conjugale. Quant à la mise en relief du passé politique de Cu Huy Ha Vu, elle était destinée à détourner l’attention de l’opinion du procès des catholiques et à faire croire que l’arrestation était due à de toutes autres causes.

Pour être complet, il faut ajouter que, selon certains autres commentaires, l’interpellation de l’opposant aurait été le fruit d’une décision du Bureau politique dont certains de ses membres, les plus élevés dans la hiérarchie, entretenaient officiellement de bonnes relations avec Cu Huy Ha Vu.

La demande d’asile en Thaïlande d’une quarantaine de paroissiens et le soutien international qu’ils avaient reçu avait donné à l’affaire de Côn Dâu une dimension internationale. L’arrestation de celui qui s’était proposé pour défendre les six paroissiens inculpés donne à penser qu’elle est peut-être aussi une affaire d’Etat ou du moins qu’elle revêt une grande importance aux yeux des plus hautes instances du régime politique vietnamien.