Eglises d'Asie

Orissa : les défenseurs des droits de l’homme dénoncent le lynchage médiatique de la religieuse violée par des hindouistes en 2008

Publié le 16/11/2010




« Nous sommes atterrés de la façon dont on a donné au public une vision négative de cette femme et de sa détresse », a déclaré Pramila Swain, présidente de l’Alliance nationale des femmes (NAWO) pour l’Orissa. Sr Meena Barwa, violée et torturée en public par un groupe d’une cinquantaine d’hindouistes, a été l’une des premières victimes de la vague de violence qui a déferlé sur l’Orissa, et en particulier dans le district de Kandhamal, en 2008 (1).

Plus de deux mois après les faits, le 24 octobre 2008, la jeune religieuse, âgée alors de 28 ans, avait révélé, lors d’une conférence de presse à New-Delhi, les tortures qu’elle avait subies, l’inaction de la police qui avait refusé de lui porter secours et le gel de l’enquête (2). Cette déclaration faisait suite au rejet, trois jours auparavant, par la Cour suprême, de sa demande de retirer l’enquête à la police de l’Orissa, pour la remettre entre les mains du CBI (Central Bureau of Investigation), en raison des collusions patentes entre les institutions de l’Etat et le BJP (Bharatiya Janata Party), reconnu comme étant à l’origine des violences.

Deux ans plus tard, l’émotion nationale déclenchée par le témoignage de la jeune religieuse a été remplacée, à l’heure où les agresseurs présumés comparaissent face à leur victime, par une campagne de dénigrement médiatique que dénoncent tant l’Eglise que les défenseurs des droits de l’homme.

Sr Meena est présentée comme une criminelle, s’indigne Dhirendra Panda, qui a organisé le « Tribunal populaire du Kandhamal » à New-Delhi en août dernier (3) afin de dénoncer l’inaction du gouvernement de l’Orissa face aux violences antichrétiennes de 2008. Déclarant que le procès des auteurs du viol « tourne à la farce », il ajoute qu’il s’agit « d’un véritable viol des droits les plus élémentaires ».

En avril dernier, Sr Meena a obtenu que l’enquête soit transférée du Kandhamal, où sa vie est mise en danger par les hindouistes, à Cuttack, près de la capitale Bhubaneswar. Une demande qu’elle réitérait depuis deux ans, avec le soutien de Mgr Raphael Cheenath, archevêque de Cuttack-Bhubaneswar, qui réclamait également que ce dépaysement judiciaire soit appliqué à tous les procès en cours dans les tribunaux spéciaux mis en place au Kandhamal pour juger les auteurs des violences de 2008.

Actuellement, le procès se poursuit à huis clos : 33 témoins ont été entendus face aux neuf accusés, qui, tous, ont niés les faits (4). Toute la semaine dernière, les avocats de la défense ont fait subir un contre-interrogatoire poussé à la religieuse et, bien que, selon son avocat Dibakar Parichha, celle-ci ait « parfaitement » répondu, y compris lorsque les avocats de la défense lui posaient des questions embarrassantes, la situation semble s’aggraver au fil des audiences. Pourtant, « il n’y a aucune contradiction dans son récit, contrairement à ce que rapportent certains médias », précise l’avocat (5).

« Comment les médias peuvent-ils ne retranscrire que ce que leur disent les avocats de la défense et refuser d’écrire la véritable histoire ? », s’exclame Sr Justine Senapati, de la congrégation des Sœurs de Saint Joseph d’Annecy (6), qui, en outre, rappelle que la victime du viol est à chaque fois obligée de « revivre cette horrible et traumatisante » expérience.

 Un lynchage médiatique qui est attesté par Tehelka, magazine indépendant et réputé, lequel n’hésite pas à parler du procès en cours comme d’un « second viol ». L’hebdomadaire indien relate ainsi comment à la sortie des audiences, les journalistes se précipitent sur les avocats de la défense et repartent dès que ceux de l’accusation apparaissent. Il rapporte également les déformations volontaires des propos tenus au tribunal, publiées par la presse, et cite un exemple particulièrement frappant : « Lorsque le P. Chellan [le prêtre agressé le même soir que Sr Meena – NDLR] témoigne en tant que témoin-clé, l’avocat de la défense l’interrompt pour dire qu’il n’a pas mentionné le mot ‘viol’ dans sa déposition. (…) Celui-ci répond que c’est exact parce que « cette seconde déposition concernait ma propre agression et n’avait pas trait au viol ». Les médias locaux et nationaux retranscriront l’échange en une seule ligne : « Le P. Chellan déclare que la religieuse n’a pas été violée » » (7).