Eglises d'Asie

Madhya Pradesh : les chrétiens aborigènes s’inquiètent de l’intention affichée par les hindouistes de les convertir en masse lors d’une prochaine fête hindoue

Publié le 22/01/2011




Au Madhya Pradesh, l’Eglise catholique s’inquiète des préparatifs annoncés pour le mois prochain par de nombreux mouvements hindouistes radicaux afin de « reconvertir » les chrétiens aborigènes à l’hindouisme, à l’occasion d’une fête de trois jours consacrés à Narmada, divinité du principal fleuve du Madhya Pradesh (1).

« La peur est en train de gagner les communautés chrétiennes », rapporte le P. George Thomas, prêtre catholique du district de Mandla, où aura lieu la célébration hindoue, ajoutant que l’Eglise a lancé un appel au collector, le plus haut représentant de l’Etat dans le district, afin qu’il assure la protection des minorités.

Les chrétiens, toutes confessions confondues, représentent environ 1 % de la population du Madhya Pradesh, Etat où la population est hindoue à plus de 90 % et fortement imprégnée des concepts de l’hindutva (2). Depuis l’arrivée au pouvoir du Bharatiya Janata Party (BJP), vitrine politique du nationalisme hindou, en 2003, les attaques contre les chrétiens se sont multipliées. Lors des violences antichrétiennes de 2008, le Madhya Pradesh avait ainsi été le théâtre de nombreuses agressions, de destructions de lieux de culte et d’institutions chrétiennes, motivées pour la plupart par des allégations de conversion forcée, selon la loi anti-conversion en vigueur dans l’Etat.

Quelque 2,5 millions de personnes venues de toute l’Inde sont attendues pour la fête annuelle de la déesse, qui doit se tenir cette année du 10 au 12 février prochain à Mandla, ville du district de même nom, établie sur les rives du fleuve. Cette édition de Narmada Jayanti (‘anniversaire de Narmada’), intitulée depuis peu Ma Narmada Samajik Kumbh (‘grand pèlerinage de Mère Narmada’), s’est fixé un objectif particulier qui explique l’afflux inhabituel de pèlerins pour cette fête pourtant très populaire, dans ce district tribal du Madhya Pradesh.

Lors des réunions préparatoires à l’événement qui ont eu lieu ces derniers mois, les leaders hindouistes n’ont en effet pas caché la finalité de ce rassemblement, destiné à « ramener à l’hindouisme, leur foi originelle », les ethnies aborigènes de la région, en particulier les chrétiens, proportionnellement plus nombreux dans le district de Mandla (plus de 15 % à Mandla même). Les organisateurs ont d’ores et déjà prévu des cérémonies de « reconversions collectives » lors des festivités, dûment encadrées par des militants du Rashtriya Swayamsevak Sangh (Corps national des volontaires, RSS) (3), qui auraient été rappelés de toutes les parties de l’Inde, affirment les médias locaux.

La genèse de cette grande opération de « reconquête hindoue » est probablement à retrouver dans une tentative similaire des hindouistes dans l’Etat du Gujarat, qui jouxte le Madhya Pradesh, en 2006. Le RSS y avait organisé un grand rassemblement hindou du 11 au 13 février, intitulé Shabri Kumbh Mela. Le lieu choisi était également un district reculé, peuplé essentiellement de populations tribales, les Dangs, convertis au christianisme ou pratiquant toujours l’animisme de leurs ancêtres (4). La déesse Shabari, divinité du Ramayana dont l’histoire a été réinventée par les hindouistes à l’intention des Dangs (5), avait déjà son temple tout récemment édifié et l’organisation d’un grand Kumbh Mela assiérait sa notoriété et « sonnerait la fin de l ‘activité missionnaire (…) et du pouvoir satanique de l’Occident dans le district des Dangs », selon les mots du leader du RSS, K.S. Sudarshan. Organisé avec l’appui de l’Etat, le rassemblement avait donné lieu à de nombreuses attaques, violences, conversions forcées des communautés chrétiennes dang, lesquelles avaient tenté en vain d’obtenir la protection de la police locale et des hautes autorités du gouvernement. En promettant le renouvellement de la Shabri Kumbh Mela (la prochaine édition aura lieu en 2012), K.S. Sudarshan avait déclaré que l’année 2011 verrait un gigantesque rassemblement au Madhya Pradesh « qui, cette fois-ci, ferait de chaque chrétien ou musulman, un hindou ».

Cinq ans plus tard, les préparatifs du Ma Narmada Samajik Kumbh à Mandla s’achèvent après des mois de travaux (logements pour les pèlerins, mise en état des infrastructures). Bénéficiant d’un large soutien des autorités du Madhya Pradesh, la manifestation accueillera les principaux ministres du gouvernement, des personnalités politiques et les leaders hindouistes. Lors des réunions préparatoires qui se sont succédé durant l’année 2010, les responsables des mouvements extrémistes hindous ont appelé leurs militants à « nettoyer le district de Mandla des chrétiens » et à préparer les « séances de reconversions » de février prochain.

Selon des sources locales, de nombreuses communautés chrétiennes du district de Mandla ont déjà été attaquées au cours des derniers mois ou ont été victimes de menaces afin de renoncer à leur foi. Tout récemment, un pasteur protestant, le Rév. Jai Prakash, qui a refusé de faire un don pour la fête de Narmada qu’exigeait un groupe d’hindouistes, a été menacé « de terribles conséquences » (6).