Eglises d'Asie – Inde
La Cour suprême retire des commentaires « partisans » de son verdict sur le meurtre du pasteur Graham Staines et de ses enfants
Publié le 02/02/2011
Ce verdict, très médiatisé, a été énoncé le 21 janvier 2011, soit douze ans presque jour pour jour après la nuit du 22 au 23 janvier 1999 où le pasteur protestant et ses deux jeunes garçons de 7 et 10 ans avaient péri par le feu dans leur véhicule, à Manoharpur (district de Keonjhar), attaqués par un groupe d’extrémistes hindous menés par Dara Singh. Le missionnaire évangélique travaillait depuis trente ans auprès des lépreux dans l’Orissa où il vivait avec sa famille. Dara Singh l’avait accusé à l’époque de forcer les hindous pauvres de la région à se convertir au christianisme (2).
La Cour suprême rejugeait Dara Singh, à la demande du Central Bureau of Investigation (CBI) qui réclamait la peine de mort selon les critères définis par la Constitution indienne (soit un « crime rare parmi les rares ») (3). L’hindouiste, arrêté en février 2000, avait été reconnu coupable du meurtre du Rév. Staines et de ses enfants, ainsi que de dizaines d’autres commis en Orissa et dans les Etats voisins. Il avait été condamné à la peine capitale par un tribunal local en 2003, ses complices écopant de peines de prison à vie. Dara Singh avait fait appel et la sentence avait été commuée en emprisonnement à perpétuité en 2005 par la Haute Cour de l’Orissa (4).
La commutation de la peine de mort en réclusion à vie avait déjà été saluée à l’époque par les Eglises chrétiennes en Inde, opposées à la peine capitale. Après l’annonce du jugement de la Cour suprême, le 24 janvier dernier, un communiqué de la Conférence des évêques catholiques de l’Inde (CBCI) a réaffirmé la position de l’Eglise « toujours claire en ce qui concernait la peine de mort, et en ce qu’elle croyait fermement en la possibilité du repentir et du changement de vie (…), y compris dans le cas de Dara Singh (…) même s’il avait commis un crime odieux ». Mais les évêques ont cependant dénoncé avec fermeté dans la même déclaration le caractère « dangereux et ambigu » des commentaires de la Cour qui accompagnaient la sentence.
Les conclusions de la Cour suprême, en tentant d’expliquer que le crime de Dara Singh ne fait pas partie des « rares parmi les rares », sous-entendent en effet que le meurtre du pasteur a été la conséquence de sa pratique de conversions forcées. Rappelant que l’Eglise ne peut pratiquer de conversions forcées et que la commission d’enquête sur l’affaire du pasteur avait confirmé l’absence de prosélytisme de ce dernier, la CBCI a donc demandé à la Cour de retirer immédiatement ces « remarques indignes ». Le cardinal Oswald Gracias, président de la CBCI, a exprimé son inquiétude : « Bien que je me réjouisse que la sentence des juges n’ait pas été de prononcer la peine capitale – car je suis profondément opposé à la peine de mort – (…), je reste très inquiet des interprétations qui pourront être données à ces conclusions de la Cour (…) et tout spécialement des conséquences que ce jugement pourra avoir dans le futur (…). » Des propos sans équivoque, qui renvoient à la vague de violence qui avait suivi en Orissa la commutation de la peine capitale en prison à vie de Dara Singh, ainsi que l’acquittement de la presque totalité de ses complices lors de son procès en appel de 2005 (5).
A l’instar de l’Eglise catholique, les diverses dénominations chrétiennes, suivies par des mouvements de défense des droits de l’homme, des médias et une part importante de l’opinion publique ont également dénoncé le caractère « partisan » des commentaires des juges suprêmes. Le 22 janvier, des journalistes et des membres d’organisations diverses ont demandé dans une déclaration commune que la Cour suprême retire ces remarques « inutiles, inappropriées, anticonstitutionnelles et attentant aux libertés individuelles ».
Face à cette levée de boucliers, le 25 janvier, les juges P. Sathasivam et B. S. Chauhan, qui avaient établi le verdict, modifiaient – fait rarissime – les deux paragraphes controversés. Le Press Trust of India (PTI) du 25 janvier s’est penché sur la comparaison entre le texte original et le texte remanié. Là où par exemple, une première version affirmait que « bien que Graham Staines et ses deux fils mineurs aient été brûlés vifs alors qu’ils dormaient dans une caravane à Manoharpur, l’intention (des accusés) avait été de donner une leçon à Graham Staines au sujet de ses activités religieuses, c’est-à-dire, convertir les populations aborigènes déshéritées au christianisme », la seconde se contente de la formule suivante : « Cependant, plus de douze années s’étant écoulées depuis que cet acte a été commis, nous considérons qu’il n’est pas nécessaire de modifier la condamnation (à la réclusion) à vie prononcée par la Haute Cour au regard des faits exposés dans les paragraphes précédents. »
Les responsables des Eglises chrétiennes en Inde ont déclaré accueillir favorablement les modifications du tribunal : « Je suis heureux et soulagé que la Cour suprême ait retiré ces commentaires », a déclaré le cardinal Oswald Gracias.
Mais le débat continue de faire rage au sujet de la sanction infligée à Dara Singh. Le 22 janvier, le porte-parole du Parti du Congrès, Abhishek Singhvi, a déclaré qu’il était inadmissible que le crime n’ait pas été qualifié de « rare parmi les rares » : « La Cour a fait preuve d’une clémence considérable en infligeant la peine minimum (…) alors qu’il s’agissait d’un acte grave et barbare (…) qui a détruit des vies d’enfants d’une manière atroce et insoutenable ». Sur Internet, les partisans et les détracteurs de l’hindouiste s’affrontent sur les réseaux sociaux et dans des blogs créés spécialement, les uns affirmant que « la Cour suprême reconnaît que les chrétiens pratiquent des conversions forcées » et que « Dara Singh est un héros de l’hindouisme », les autres s’indignant que de « tels crimes parmi les plus horribles n’aient pas été sanctionnés par la peine de mort » ou encore que « la Cour suprême a violé les droits de l’homme garantis par la Constitution ». Certains s’inquiètent encore des effets de cette sentence sur « les autres tribunaux en train de juger les cas de violences au Kandhamal (en Orissa) » et qui ont « les yeux rivés sur la Cour suprême ».
Au cœur de ce débat qui déchaîne les passions, Gladys Staines (6), veuve du missionnaire, répète la nécessité du pardon qu’elle a déjà accordé aux meurtriers. « J’ai pardonné aux personnes qui ont assassiné ma famille, a-t-elle déclaré au lendemain du jugement. Pardonner est le seul moyen de faire obstacle à la haine et à la violence » (7).