Eglises d'Asie – Bhoutan
La reconnaissance officielle du christianisme au Bhoutan n’est pas à l’ordre du jour
Publié le 04/02/2011
Cette reconnaissance très attendue du christianisme bhoutanais avait pourtant été annoncée par le gouvernement en décembre dernier, dans le cadre de la finalisation de la Constitution – promulguée en 2008 – comprenant, entre autres, la mise en place d’une politique de contrôle des religions et l’enregistrement des organismes les représentant.
« Le passé nous a enseigné que de telles déclarations ne sont que de la propagande gouvernementale pour faire croire au reste du monde que le Bhoutan accepte toutes les religions », a déclaré à l’agence AsiaNews le dissident bhoutanais en exil Tek Nath Rizal, fondateur du Mouvement pour la liberté au Bhoutan. L’ancien conseiller royal explique qu’à la tête des organisations religieuses autorisées dans le pays, qu’elles soient bouddhistes ou hindoues, se trouvent des fonctionnaires Ngalongs (2). Placés sous l’autorité directe du roi, ils sont chargés de contrôler la conformité des institutions religieuses avec la politique du souverain. Ils ont ainsi accès à toutes les informations concernant les communautés religieuses, leurs dirigeants, leurs ressources, leurs lieux de culte et leurs activités.
Cependant, la rumeur d’une reconnaissance du christianisme, relayée par des agences de presse et quelques medias, a conduit certaines congrégations missionnaires catholiques à annoncer qu’elles se rendraient prochainement au Bhoutan afin d’y ouvrir des missions. Ainsi, Fides, l’agence vaticane de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, rapportait il y a quelques jours que la Société des Filles de Marie Immaculée (DMI) et la Société des Missionnaires de Marie Immaculée (MMI), implantées en Inde, s’étaient déclarés « prêts à ouvrir des communautés masculines et féminines au Bhoutan ».
Mais, comme le confirme également une dépêche du 3 février dernier de l’agence d’obédience protestante Compass, si le gouvernement a annoncé officiellement que les chrétiens ne seraient pas inquiétés dans la pratique de leur foi « s’ils respectaient le cadre légal » [c’est-à-dire un culte privé et aucun prosélytisme], il a été clairement précisé qu’il n’était pas prévu dans un avenir proche de les intégrer au sein d’une organisation religieuse reconnue par l’Etat.
Le ministre de l’Intérieur et de la Culture, Lyonpo Minjur Drji, a ainsi déclaré le 2 février dernier que la question de la reconnaissance officielle de la communauté chrétienne au Bhoutan réclamait une enquête approfondie et que, de plus, elle ne lui semblait ni urgente ni nécessaire : « De quoi d’autre [auraient-ils] besoin ? (…) Demandez donc aux chrétiens s’ils ont été empêchés de se réunir pour le culte ! », a-t-il lancé, rappelant que la Constitution bhoutanaise promulguée en 2008 garantissait la liberté religieuse à tous les citoyens du royaume himalayen.
Si le christianisme bénéficie aujourd’hui d’une relative tolérance religieuse (3), le prosélytisme, la publication de bibles, la construction d’églises, d’écoles ou d’autres institutions chrétiennes sont prohibés. L’entrée des religieux sur le territoire est interdite et le culte chrétien doit être pratiqué au sein de la sphère privée. Les chrétiens n’ont pas le droit non plus d’avoir des cimetières pour inhumer leurs morts, ce qui conduit à des troubles interreligieux récurrents.
Signe d’une stigmatisation de fait en dépit d’un discours officiel rassurant, une loi anti-conversion a été votée le 29 novembre dernier par le Parlement bicaméral du pays, visant tout particulièrement la communauté chrétienne. Elle punit de trois ans de prison ferme toute « tentative de conversion par la force ou par quelque autre moyen que ce soit ». Une définition dont le flou n’a pas échappé aux détracteurs de la loi qui craignent que de simples actions d’assistance ou de charité passent pour des tentatives de corruption et de prosélytisme (4).
Dans le petit royaume coincé entre les deux géants que sont la Chine et l’Inde, le protectionnisme est une vertu quasi érigée en dogme d’Etat. Les Bhoutanais, pour lesquels la « cohésion nationale » consiste à préserver une culture qui ne fait qu’un avec le bouddhisme, manifestent une hostilité grandissante envers les chrétiens, considérés comme l’avant-garde d’un Occident aux « influences néfastes ». En octobre dernier, un chrétien a été condamné, avant même l’adoption de la loi par le Parlement, à trois ans de prison pour avoir projeté des films sur le christianisme. Les dénonciations et les plaintes contre les chrétiens se sont multipliées ainsi que les profanations de sépultures (5). La méfiance envers la communauté chrétienne est également entretenue par la conviction, largement diffusée par les organismes d’Etat et les médias locaux, de la pratique de conversions forcées. Ainsi le ministre de l’Intérieur et de la Culture (dont dépend le service des cultes) a assuré le 2 février dernier « avoir les preuves que les conversions au christianisme sont monnayées », se basant sur la constatation que « la plupart des Bhoutanais convertis sont issus de populations pauvres ».
Nul doute que ces convictions font partie des « problèmes qui doivent être étudiés en profondeur avant de prendre une décision » auxquelles Dorji Tshering, membre de l’agence gouvernementale de « régulation » des cultes (6), faisait allusion à propos de l’éventuel enregistrement des chrétiens.
Selon les statistiques officielles (recensement de 2005), 75 % des 700 000 Bhoutanais sont bouddhistes, 22 % hindous – la plupart d’origine népalaise –, le reste de la population se partageant entre chrétiens et autres confessions. Des sources locales, essentiellement protestantes, annoncent un nombre de chrétiens oscillant entre 3 000 et 15 000, parmi lesquels se trouveraient quelques centaines de catholiques. Des chiffres difficiles à vérifier, les Eglises chrétiennes au Bhoutan étant essentiellement « souterraines » et non déclarées.