Eglises d'Asie – Philippines
L’épiscopat catholique réaffirme son opposition au projet de loi sur « la santé reproductive » en passe d’être examiné par le Congrès philippin
Publié le 08/02/2011
L’opposition de l’Eglise catholique et de l’exécutif philippin sur la question du contrôle de la croissance démographique est ancienne et récurrente. A l’automne 2010, des passes d’armes médiatiques avaient eu lieu entre l’épiscopat et le président Aquino (1), avant que la pression ne retombe et que les deux parties ne fassent part de leur volonté d’exprimer leurs points de vue respectifs dans le cadre d’un « dialogue ». Le 31 janvier dernier, le président de la Conférence des évêques catholiques des Philippines, Mgr Nereo Odchimar, a tenu une conférence de presse pour rendre publique une Lettre pastorale signée de l’ensemble des évêques philippins et intitulée : « Choisir la vie. Refuser la loi sur la santé reproductive » (2).
Aux journalistes, l’évêque a déclaré que la Conférence épiscopale était reconnaissante d’avoir eu l’occasion à plusieurs reprises de rencontrer le président de la République et ses conseillers afin que chacun puisse exprimer son point de vue, mais il a ajouté que ce dialogue avait seulement abouti à montrer l’étendue des différends à propos de « la santé reproductive ». C’est pourquoi, a-t-il poursuivi, la Conférence épiscopale a choisi de publier une Lettre pastorale sur le sujet afin que la position de l’Eglise soit claire et bien comprise. Mgr Odchimar a également déclaré être « à ce jour toujours ouvert (…) au dialogue » avec la présidence.
Les évêques philippins commencent leur lettre par le rappel de deux articles de la Constitution philippine où il est écrit que l’Etat défend la dignité de chaque personne humaine et que l’Etat reconnaît et promeut la famille comme cellule de base de la société. « Si nous commençons par citer la Constitution philippine, c’est parce que nous voulons vous écrire sur la base des aspirations et des idéaux fondamentaux du peuple philippin et non sur la base des enseignements spécifiques de la religion catholique », peut-on lire au début de la Lettre pastorale.
Pour les évêques, l’enjeu n’est pas technique ou cantonné aux seules questions démographiques, il est moral. « En tant que nation, nous sommes à un tournant. Nous sont présentées différentes versions d’un projet de loi sur la santé reproductive, dont l’intitulé a été ‘adouci’ sous le vocable de projet de ‘parentalité responsable’. Mais ce projet législatif, quelle que soit sa version, nous appelle à un choix moral : choisir la vie ou la mort », écrit Mgr Odchimar, qui dresse un parallèle entre la décision de l’épiscopat philippin de se ranger en 1986 du côté du « pouvoir du peuple », permettant ainsi la chute sans effusion de sang du dictateur Marcos, et la décision que la nation philippine est appelée à prendre aujourd’hui, par la voix de ses législateurs, en adoptant ou non ce texte sur la santé reproductive. « Notre président a conquis le pays lors des élections [du 10 mai 2010] avec son slogan anti-corruption. En tant que responsables religieux, nous croyons qu’il existe une forme de corruption plus grande, à la racine de toutes les autres, qui est la corruption morale. Sur le sujet qui nous intéresse, ce serait faire preuve de corruption morale que d’ignorer les implications morales de la loi sur la santé reproductive », poursuit le président de la Conférence épiscopale, en ajoutant que cette position de l’épiscopat constitue « le jugement moral unanime et collectif » des évêques philippins.
La Lettre pastorale se poursuit en remarquant que le projet de loi gouvernemental représente « une attaque majeure » contre les valeurs humaines universelles et les valeurs culturelles des Philippines. Le texte est « le produit d’une vision sécularisée et matérialiste du monde » où les règles morales sont fonction de chacun, suivant « l’air du temps ». Les évêques écrivent : « Malheureusement, nous constatons une diffusion insidieuse de cet esprit post-moderne dans notre société philippine. »
Plus concrètement, en réponse au financement public généralisé des moyens de contraceptions prévu par le projet de loi, la Lettre pastorale réplique : cette loi promeut la contraception, elle est donc contre la vie humaine ; elle ne réduira pas le nombre des avortements pas plus qu’elle n’aidera à prévenir la diffusion du sida ; elle ne constitue pas le meilleur moyen pour lutter contre la pauvreté, dont les causes se trouvent non dans une hypothétique surpopulation mais « dans des choix philosophiques erronées en matière de développement, des politiques économiques mal conçues, un contexte où règnent l’avidité, la corruption, les inégalités sociales, le manque d’accès à l’éducation, l’indigence des services économiques et sociaux, des infrastructures insuffisantes, etc. » Les organisations internationales estiment que 400 milliards de pesos (6,8 milliards d’euros) s’évaporent chaque année aux Philippines du fait de la corruption, écrit encore Mgr Odchimar.
Pour les évêques, la conclusion ne fait pas de doute : au nom du « jugement moral », ils rejettent le projet de loi et « choisissent la vie ».
Dans l’attente de l’examen du projet de loi au Congrès, différentes initiatives tendent à maintenir la pression sur les parlementaires. Le 31 janvier, 70 évêques ont rencontré à huis clos trois sénateurs et 33 membres de la Chambre des représentants, qui tous ou presque étaient acquis à la position de l’Eglise. Dans deux diocèses au moins, à San Pablo et à Bacolod, des « marches pour la vie » seront organisées dans le courant du mois de février. Dans l’archidiocèse de Manille, l’archevêque a invité tous les prêtres et les religieuses à venir se former aux méthodes de régulation naturelle des naissances. « Cela fait partie de notre réponse pro-active au défi qui se pose à nous pour construire une civilisation vraie de la vie et de l’amour », a déclaré le cardinal Gaudencio Rosales.
Le 3 février, interrogé sur les ondes de Radio Veritas à propos du fait que l’Eglise aux Philippines semblait perdre du terrain dans la mesure où nombre de couples, y compris parmi les catholiques, recouraient à une contraception artificielle, Mgr Odchimar n’a pas caché que « l’évangélisation continuait car des facteurs tels que le consumérisme ou le matérialisme éloignaient les gens de l’Eglise ». Dans une allusion aux fonds alloués par la communauté internationale au gouvernement philippin pour financer les politiques de contrôle de la croissance démographique, il a ajouté : « [De notre côté], nous n’avons pas d’argent à investir dans ce combat. [Le gouvernement], quant à lui, a l’argent et il semble que [le président Aquino] soit tout à fait d’accord. »
Signe des réactions que provoque, dans certains secteurs de la société, la position de l’Eglise, trois sites Internet de l’Eglise, ceux de la radio online de l’épiscopat, du Secrétariat national pour l’action sociale et de la Commission épiscopale pour la santé, ont été, le 2 février, la cible d’une cyber-attaque. Pendant plusieurs heures, les sites ont été rendus indisponibles. En novembre dernier, lorsque des groupes catholiques avaient organisé des manifestations pour dénoncer le projet de loi sur la santé reproductive, alors à l’étude en commission au Congrès philippin, des sites Internet liés à l’Eglise avaient été la cible de semblables attaques.