Eglises d'Asie

Karnataka : les responsables des Eglises chrétiennes organisent un sit-in et une marche pour protester contre les conclusions d’une enquête officielle sur les violences antichrétiennes de 2008

Publié le 18/02/2011




Le 18 février, dix-huit évêques de différentes Eglises chrétiennes du Karnataka ont pris la tête d’un sit-in suivi d’une marche silencieuse menés dans la ville de Bangalore, capitale de l’Etat, pour protester contre les conclusions d’une commission d’enquête sur les violences antichrétiennes de septembre 2008 (1). Marchant en tête du cortège, qui a réuni près de 25 000 personnes, Mgr Bernard Moras, archevêque catholique de Bangalore…

… et président du Conseil régional des évêques catholiques du Karnataka, a déclaré que les chrétiens « demandaient au gouvernement [de l’Etat] (…) de rejeter le rapport partial, totalement injuste et orienté de la Commission Somasekhara pour recommencer à zéro l’enquête sur les attaques [de 2008] et la confier au Bureau central d’enquête [CBI – Central Bureau of Investigation, une structure fédérale] ».

 

Le 28 janvier dernier, après trois années de travail, le juge B. K. Somasekhara, juge émérite de la Haute Cour du Karnataka, a rendu un rapport sur les violences qui, en septembre 2008, avaient vu une cinquantaine de lieux de culte saccagés et de nombreux chrétiens agressés et grièvement blessés au Karnataka. Ces violences s’inscrivaient à la suite de celles commises en Orissa et, à l’époque, les Eglises chrétiennes et certains acteurs de la société civile indienne avaient vigoureusement dénoncé l’inaction, voire la complicité du gouvernement de l’Etat et de la police – des membres des forces de l’ordre ayant été jusqu’à prêter main forte aux agresseurs. L’Eglise catholique avait alors souligné que les allégations de prosélytisme portées contre les chrétiens accompagnées de violences antichrétiennes se multipliaient dans l’Etat depuis l’arrivée au pouvoir, en mai 2008, du Bharatiya Janata Party (BJP, Parti du peuple indien), vitrine politique du mouvement hindouiste. Aujourd’hui, le BJP est toujours au pouvoir au Karnataka et les responsables des Eglises chrétiennes dénoncent sans détour les conclusions du rapport Somasekhara, selon lesquelles le gouvernement de l’Etat tout comme le Sangh Parivar, fer de lance des hindous extrémistes, n’ont joué aucun rôle dans les attaques de septembre 2008.

 

Le 17 février à Bangalore, devant la presse, Mgr Moras a expliqué qu’il avait été reçu par le ministre-président de l’Etat ainsi que par le gouverneur du Karnataka et qu’il leur avait présenté quatre demandes : que l’enquête sur les violences de 2008 soit confiée au CBI, que les coupables soient identifiés, que les poursuites contre les victimes des violences soient abandonnées et que les victimes soient correctement indemnisées. « A ce jour, je n’ai été entendu sur aucune de ces demandes », a déclaré l’archevêque, qui a dénoncé les conclusions de la commission d’enquête. « Après presque trois ans de travail, il est donc impossible de répondre à cette simple question : qui sont les coupables ? », a-t-il martelé, dénonçant le fait que l’enquête a réussi à faire des victimes des attaques des coupables à qui il est reproché d’avoir conduit des « actions prosélytes ». La commission s’est en réalité attaché à dire « qui n’étaient pas coupables » pour « blanchir les vrais assaillants et les forces qui les ont directement ou indirectement soutenus ». Mgr Moras a accusé la commission d’avoir cherché à « légitimer la position de l’Etat et du parti au pouvoir, dont l’objectif est de mettre en œuvre des politiques résolument hostiles aux minorités ». En référence à des attaques qui ont très récemment visés des lieux de culte chrétiens dans l’Etat, il a ajouté : « Ce sont là des tentatives qui visent à nous faire taire, mais nous ne cèderons pas. »

 

A l’issue de la marche du 18 février, qui, selon le souhait des responsables des Eglises chrétiennes, ne comprenait pas de responsables politiques (« La religion étant une question très sensible, nous ne mélangeons pas politique et religion », avait déclaré Mgr Moras), le gouvernement du Karnataka a fait un geste en direction des chrétiens et déclaré que les poursuites engagées contre 338 chrétiens à la suite des violences de 2008 allaient être abandonnées. Les responsables chrétiens ont toutefois fait savoir que le geste était insuffisant et que c’est l’ensemble des conclusions de la Commission Somasekhara qui devait être revu. Ils ont annoncé qu’un mémorandum serait remis le 21 février au gouverneur de l’Etat et qu’une manifestation serait organisée ce jour-là par les chrétiens à Bangalore (3).

 

Dans un Etat qui compte près de 53 millions d’habitants, en grande majorité hindous et où les musulmans représentent 12 % de la population et les chrétiens moins de 2 %, les violences de 2008 ont provoqué un rassemblement inédit des chrétiens autour de la défense de la liberté religieuse et de la laïcité telles que définies par la Constitution de l’Union indienne. En juin 2009, à l’initiative de Mgr Moras, évêques catholiques et représentants de différentes confessions chrétiennes se sont réunis pour lancer le Forum chrétien du Karnataka pour les droits de l’homme (Karnataka United Christians Forum for Human Rights, KUCFHR) (2). C’est sous l’égide de ce forum, qui réunit, outre les évêques catholiques, ceux de l’Eglise de l’Inde du Sud (Church of South India, CSI) et les dirigeants de 113 dénominations chrétiennes, que la marche silencieuse du 18 février a été organisée.