Eglises d'Asie

Refusant l’euthanasie d’Aruna, en état semi-végétatif depuis 37 ans, la Cour Suprême envisage cependant l’euthanasie « passive » pour « certains cas exceptionnels »

Publié le 10/03/2011




Par un verdict historique rendu le 7 mars 2010, la Cour Suprême a rendu sa décision sur une question qui a tenu l’Inde en haleine durant plusieurs mois, sans pour autant clore le débat. Le jugement a d’ailleurs laissé perplexe les médias eux-mêmes dont certains ont titré : « La Cour Suprême dit non à l’euthanasie » et d’autres, « L’euthanasie autorisée pour la première fois en Inde ».

En rejetant la requête de l’écrivain-journaliste Pinki Virani demandant l’euthanasie « passive » d’Aruna Shanbaug, 62 ans, vivant dans un état semi-végétatif depuis 37 ans, les juges ne se sont en effet pas prononcé sur le fond mais sur la recevabilité de la plaignante, estimant que celle-ci ne pouvait être considérée comme la personne la plus apte à représenter la malade. Se fondant sur le fait que les « véritables proches » d’Aruna étaient ceux qui avaient pris soin d’elle toutes ces années, la famille de la patiente ayant cessé de venir la voir, les juges ont suivi l’avis du personnel soignant du King Edward Memorial Hospital (KEM )de Bombay, résolument contre l’euthanasie de celle qu’ils considèrent « comme l’une des leurs ».

 

Aruna Shanbaug infirmière au KEM, avait été violemment agressée et violée la nuit du 27 novembre 1973 par un employé à l’entretien, qui avait tenté de l’étrangler avec une laisse de chien. Retrouvée inconsciente près de 12 heures plus tard, la jeune fille avait souffert d’un manque d’oxygénation du cerveau, qui avait causé des dommages irréversibles. Depuis cette agression, elle est dans un état semi-végétatif (1), maintenue en vie par les soins et l’affection du personnel médical du KEM.

 

Ce dévouement sans faille a fortement impressionné les juges Markandeya Katju et Gyan Sudha Mishra qui ont déclaré : « Pinki Virani ne peut prétendre être plus proche et attachée à Aruna Shanbaug que le personnel du KEM (…) Ce sont eux qui l’ont extraordinairement soignée jour et nuit pendant de si longues années, qui ont véritablement été ses amis proches, et non Mme Pinki Virani qui s’est contentée de lui rendre quelques visites seulement et a écrit un livre sur son cas. Il appartient donc au personnel de l’hôpital de prendre une telle décision. Et le personnel de l’hôpital KEM a clairement exprimé sa volonté qu’il soit permis à Aruna Shanbaug de vivre. »

 

Depuis 37 ans, ont souligné les rapports remis à la Cour, les infirmières nourrissent Aruna, lui font sa toilette, la changent dès qu’elle s’est souillée, la massent et hydratent sa peau pour éviter les escarres, lui parlent et lui mettent de la musique hindi. « Chaque nouvelle élève infirmière est présentée à Aruna ; on lui dit qu’elle a été l’une de nous et continue de l’être aujourd’hui. L’idée de lui supprimer la nourriture ou de lui faire une injection léthale est inacceptable pour quiconque travaille dans cet hôpital. Aruna a plus de 60 ans et le jour de sa mort arrivera naturellement. Médecins, infirmières et tout le personnel du KEM, nous sommes déterminés à prendre soin d’elle jusqu’à son dernier souffle », a déclaré dans une déclaration, l’ensemble du corps médical du KEM.

 

L’argumentation de la requête de Pinki Virani s’appuie sur le fait qu’il est criminel de maintenir en vie le corps délabré d’une personne « quasi-morte ». Elle ne peut ni bouger, ni voir, ni entendre, ni communiquer et elle n’est pas consciente du monde qui l’entoure, affirme la militante du « droit de mourir dans la dignité » (2).

 

Une description qui ne rejoint pas celle des « soignants » qui soulignent tout au contraire qu’Aruna n’est pas du tout dans le coma, qu’elle exprime ses désirs ou refus par des sons et des gestes, répond par des expressions faciales, sourit quand on lui donne son plat préféré, s’agite quand il y a trop de monde autour d’elle et se calme lorsqu’on la caresse avec douceur. Selon les infirmières, Aruna aime la mangue et le canard au curry, mais pas les plats végétariens, tous ces aliments lui étant donnés sous forme de purée, sans sonde.

 

Le personnel soignant était déterminé à se mettre en grève illimitée si le jugement avait conclu à l’euthanasie d’Aruna. L’annonce du verdict a été accueillie avec liesse et soulagement au KEM où les infirmières ont distribué des sucreries. Aruna qui a eu droit à des cristaux de sucre aurait crié « Aaah !» lorsque ses consoeurs lui auraient annoncé la décision de la Cour.

Pascoal Carvalho, membre de la Commission pour la vie de l’archidiocèse de Mumbai (Bombay), s’est exprimé au nom de l’Eglise : « Nous saluons le rejet de le requête demandant l’euthanasie d’Aruna Shanbaug. Nos juges ont émis un verdict en faveur de la vie car l’Inde est pétrie d’une spiritualité où la vie humaine est considérée comme sacrée. Dieu seul a la vie de l’homme entre ses mains et personne ne peut se substituer à Dieu. »

Il demeure néanmoins que pour la première fois en Inde, la plus haute cour de justice a ouvert la voie à l’euthanasie et que le « cas Aruna » sera désormais le précédent juridique sur lequel s’appuiera tout jugement concernant une demande d’euthanasie « passive » d’un malade déclaré « incurable », dans l’attente, selon les termes de la Cour, « d’amendements constitutionnels effectués par le Parlement indien » (3).

 

Tout en rappelant que l’euthanasie « active » (injection léthale, suicide médicalement assisté, etc…) est considérée comme un crime selon le Code Pénal Indien (CPI), la Cour Suprême a fixé dans son jugement du 7 mars, les principes rendant envisageable l’euthanasie « passive » (débranchage des machines permettant la survie du patient) pour « certains cas exceptionnels », sous réserve de l’autorisation des représentants du malade, des instances médicales et du tribunal. Les juges ont distingué le cas où l’euthanasie « passive » était volontaire, le patient ayant signifié son désir de mettre fin à sa vie, et celui où le malade n’étant pas capable de faire connaître sa décision, cette dernière revenait alors à un représentant du malade, à sa famille ou au corps médical.

 

Le 8 mars, Pinki Virani a fait paraître une déclaration : « Grâce au cas Aruna Shanbaug, la Cour Suprême aura autorisé l’euthanasie passive. Pour Aruna, son état va empirer (…) jusqu’à ce que son corps ne puisse plus supporter d’être alimenté par un tuyau, d’avoir un catheter pour recueillir les urines et les selles : un long travail du temps qui s’apparente à un « naufrage ». Mais grâce à cette femme à qui l’on n’aura pas fait justice, il n’y aura plus jamais d’autres personnes dans son cas qui souffriront pendant plus de 30 décennies ».

 

A l’annonce du verdict, un flot de réactions d’internautes a envahi les sites des réseaux sociaux indiens et les blogs des médias, montrant l’importance de la controverse sur l’euthanasie en Inde, certains se réjouissant et bénissant Dieu ou Bouddha, d’autres appelant à une « mort digne » et au respect des droits de l’homme. Le seul point où se rejoignaient les militants et les opposants de l’euthanasie était que le criminel à l’origine de cette vie sacrifiée aurait dû être châtié plus durement (il a été condamné à 7 ans de prison) (4).