Eglises d'Asie

Un policier a été grièvement blessé en tentant de désamorcer un paquet postal piégé adressé à un leader musulman modéré

Publié le 16/03/2011




Le 15 mars dernier, un policier a perdu une main en tentant de désamorcer un colis piégé adressé à un centre abritant des organisations musulmanes défendant une conception libérale de l’islam dans la société indonésienne. Selon la police, le colis piégé, un livre sous enveloppe, avait été envoyé à Ulil Abshar Abdalla, fondateur du Réseau islamique libéral (JIL) et était adressé à la Communauté Utan Kayu, dont les bâtiments, …

… situés dans la partie Est de la capitale Djakarta, abritent un ensemble d’organisations musulmanes modérées. Un fil électrique dépassant du paquet postal a attiré l’attention d’un membre de la Communauté Utan Kayu, qui a appelé la police. Selon un rapport de la police, l’explosion du paquet aurait pu être évitée si le policier qui a tenté de le désamorcer avait été plus prudent. Celui-ci a en effet ouvert l’enveloppe, avant de verser de l’eau sur l’objet – un livre évidé – ce qui a déclenché l’explosion. Ce policier a dû être amputé d’une main et deux autres de ces collègues ainsi qu’un garde de sécurité ont été blessés.

 

Formé principalement en Indonésie, et tout récemment aux Etats-Unis, Ulil Abshar Abdalla est connu en Indonésie pour son engagement en faveur de la promotion du dialogue entre les religions et la défense du pluralisme religieux. Cible, aux milieux des années 2000, d’une fatwa réclamant la peine de mort contre lui pour ses prises de position opposées à l’application de la charia dans le pays, Ulil Abshar Abdalla était parti se mettre à l’abri aux Etats-Unis où il a étudié en doctorat à l’université de Harvard. Revenu depuis environ un an en Indonésie, il vit habituellement à Djakarta. Peu après l’explosion, il a déclaré sur les écrans d’une télévision locale « avoir beaucoup d’amis » et ignorer qui pouvaient être ses ennemis. Les positions défendues par le Réseau islamique libéral sont pourtant régulièrement dénoncées non seulement par les groupuscules islamistes mais également par les réseaux de l’islam conservateur indonésien, qui reproche à Ulil de favoriser la diffusion dans la société indonésienne de valeurs liées à l’Occident libéral et chrétien. Des appels à agir par la violence contre le JIL circulent depuis plusieurs années dans la littérature issue des milieux islamistes.

 

Immédiatement après l’explosion de mardi, les responsables de la Communauté Utan Kayu ont dénoncé l’action terroriste. « Nous condamnons avec la plus grande fermeté cet acte et nous voulons affirmer que nous ne nous laisserons pas intimider », a déclaré Santoso, directeur de KBR68H, une station de radio dont les locaux sont hébergés dans l’immeuble de la Communauté Utan Kayu. Sur le site Internet de sa radio, Santoso ajoute que cet attentat « ne nous empêchera pas de continuer à défendre la liberté d’expression ».

 

Criminologue à l’Université d’Indonésie, université d’Etat, le catholique Adrianus Meliala estime qu’Ulil Abshar Abdalla a pu être choisi comme cible parce qu’il est connu comme défenseur des droits de l’homme et aussi parce qu’il n’a pas hésité à condamner les attaques dont la communauté Ahmadi a été la cible en février dernier dans la province de Java-Ouest (1). Les Ahmadi sont considérés par la majorité des musulmans comme non-musulmans et sont la cible récurrente de discriminations, voire de persécutions. L’engagement en politique d’Ulil Abshar Abdalla, aux côtés du Parti démocratique, où il défend des positions libérales, pourrait être un autre motif expliquant l’attentat. Pour Adrianus Meliala, il est important que « le gouvernement prenne cette affaire très au sérieux car une enquête bâclée ou non aboutie ouvrirait la porte à de nouvelles violences ».

 

Quelques jours avant l’explosion du colis piégé, un responsable catholique mettait en garde les Indonésiens contre le risque que faisait peser sur l’harmonie sociale l’inaction gouvernementale en matière de lutte contre l’extrémisme religieux. Devant une cinquantaine de responsables catholiques en charge des questions interreligieuses au plan national comme au plan local, le P. Antonius Benny Susetyo, secrétaire exécutif de la Commission pour les affaires œcuméniques et interreligieuses de la Conférence des évêques catholiques d’Indonésie, a affirmé que les accès de violences liées à la religion dans le pays n’étaient pas tant imputables aux religions elles-mêmes qu’au gouvernement. « Il existe des lois injustes qui favorisent l’expression de ces violences », a-t-il déclaré en citant notamment les lois et décrets réglementant la construction des lieux de culte. « De ce fait, le problème n’est pas l’harmonie interreligieuse en soi mais l’inaction du gouvernement face à ceux qui recourent à la violence », a-t-il précisé. Rester silencieux et ne rien faire pour empêcher les groupes extrémistes d’agir ne résout rien, a-t-il continué, soulignant que les violences prenaient pour cible des personnes innocentes.

 

« L’harmonie interreligieuse en Indonésie n’est pas aussi dégradée que ce que les gens disent habituellement, a encore développé le P. Susetyo. Il y a des problèmes – c’est certain et il ne faut pas les cacher –, mais la véritable difficulté est que les instigateurs des violences ne sont pas inquiétés [par les autorités] ». A l’intolérance active (les actes de violence dirigés contre les minorités religieuses ou les musulmans considérés comme libéraux) s’ajoute une intolérance passive, qui est le terreau sur lequel s’enracine la violence. Le prêtre catholique a cité à cet égard « le puritanisme » comme facteur favorisant le développement du terrorisme en Indonésie. A l’adresse des artisans catholiques du dialogue interreligieux, le P. Susetyo a conclu par ces mots : « Si vous pouvez mener à bien (le dialogue interreligieux), alors vous pouvez prévenir la violence. »