Eglises d'Asie

Face à la virulence de la rébellion naxalite, des voix dans l’Eglise catholique s’inquiètent et appellent à une prise de position des évêques

Publié le 28/04/2011




Qualifiée en 2006 par le Premier ministre Manmohan Singh de « plus grand défi sécuritaire interne que notre pays ait jamais rencontré depuis l’Indépendance », la guérilla naxalite, d’inspiration maoïste, n’en finit pas de créer des remous et des tensions dans le pays. Au sein de l’Eglise catholique, des voix s’élèvent pour demander à la hiérarchie de prendre position sur cette question.

Apparue en 1967 dans la région du Bengale-Occidental, désormais implantée dans près d’un tiers des districts de l’Inde, la rébellion est active dans ce que l’on appelle le « corridor rouge » qui rassemble la plupart des Etats les plus pauvres de l’Union indienne : Orissa, Jharkhand, Chhattisgarh, Bihar, Maharasthra et Andra Pradesh. Chaque année, les affrontements entre naxalites et forces gouvernementales font des centaines de morts (1).

Chaque jour ou presque, dans les zones contrôlées par la guérilla, les populations locales font les frais des heurts entre les rebelles et les forces gouvernementales ou les milices levées par elles. Dans le Bengale-Occidental, la paroisse de la Sainte Famille fait partie de l’archidiocèse de Calcutta. Située à Kearchand, dans le district de Midnapore-Ouest, un district de 5,1 millions d’habitants où les aborigènes (tribals) représentent 16 % de la population, la tension est palpable, témoigne le P. Shyam Charan Mandi, curé de la paroisse et prêtre d’origine santal. « Les gens ne savent pas quelle sera la prochaine cible des maoïstes. A tout moment, une tuerie peut survenir », explique le prêtre, qui souligne que les rebelles « recourent à la violence à la moindre provocation ».

A Midnapore-Ouest, l’implantation des naxalites a pris de l’ampleur il y a environ deux ans, lorsque le gouvernement de l’Etat a mis en place un programme d’achat de terres afin de développer un programme d’industrialisation. Les aborigènes ont vivement réagi, refusant que la terre de leurs ancêtres leur soit ainsi confisquée. Selon le P. Mandi, la difficulté vient notamment du fait que les maoïstes imposent par la force leur vision du développement. « Lorsqu’ils pénètrent dans un village, ils identifient ceux qu’ils estiment être des obstacles au développement favorable au « peuple » et ils disent aux villageois que ces personnes doivent être éliminées. » En tant que tels, les chrétiens, qui représentent une présence non négligeable au sein des populations aborigènes, ne sont pas visés par les rebelles car ceux-ci estiment que le travail des chrétiens concourt objectivement au développement des populations locales, mais les violences peuvent s’exercer contre tous et le climat qui prévaut est un « climat de peur », explique un Santal, catholique et paroissien de la Sainte Famille.

Pour le P. Johnson Padiyara, prêtre jésuite responsable d’un pensionnat installé dans le district, la situation est rendue d’autant plus complexe que les populations locales, volontairement ou non, ne sont pas nécessairement hostiles aux naxalites. Il explique ainsi que nombre de ses anciens pensionnaires ou des parents des enfants qui sont inscrits dans son établissement sont des membres de la rébellion. Les maoïstes apprécient que son pensionnat soit ouvert aux plus pauvres et aux laissés-pour-compte du district. Mais le climat de violence qui prévaut déstabilise bon nombre d’enfants. « Lorsque, le dimanche, les parents ne sont pas au rendez-vous pour venir rendre visite à leurs enfants, ceux-ci sont très inquiets », témoigne le prêtre, qui ajoute qu’une fois de retour à la maison, les arrestations par la police de leurs parents ou proches sont psychologiquement traumatisantes.

A New Delhi, Jose Kavi, responsable du bureau indien de l’agence Ucanews (Union of Catholic Asian News), ne cache pas son embarras face au silence observé par l’Eglise catholique en Inde quant au phénomène de la rébellion naxalite. En mai 2010, lorsque les maoïstes ont fait dérailler un train au Bengale-Occidental, projetant le convoi contre un train de marchandises qui arrivait en sens opposé, ce qui a causé près de 150 victimes en majorité civiles, seul le Conseil national des Eglises de l’Inde (NCCI), un rassemblement d’Eglises orthodoxes et protestantes, et quelques groupes chrétiens ont réagi en condamnant l’attentat. Selon Jose Kavi, « la vérité est que l’Eglise catholique craint de se mettre à dos les ultras. Si une confrontation avait lieu, celle-ci viendrait menacer les milliers de catholiques, prêtres, religieux, religieuses et laïcs, qui travaillent auprès des dalits et des aborigènes dans les régions défavorisées et isolées du pays, là où les maoïstes opèrent ».

A ce jour, le choix du silence a payé, analyse le journaliste. Du moins jusqu’à un certain point. En effet, rares ont été les occasions où les rebelles s’en sont pris à l’Eglise et à ses institutions. Des écoles catholiques ont bien été attaquées au Bihar, des villageois catholiques ont été assassinés en Orissa, un prêtre jésuite a été décapité en 1997 au Jharkhand, mais, au-delà de ces incidents dramatiques, les naxalites ont le plus souvent la conviction que l’Eglise travaille effectivement au service des plus pauvres. Dans certaines régions contrôlées par la rébellion, des écoles catholiques peuvent ainsi fonctionner quasi normalement.

Plus fondamentalement, poursuit encore le journaliste, l’Eglise et les maoïstes ont en commun un même ennemi, à savoir l’extrême-droite hindoue. En effet, la lutte engagée par les naxalites en faveur des dalits, des aborigènes, des paysans sans terre rejoint le travail entrepris par l’Eglise auprès des plus pauvres. Malgré tout, les catholiques ont payé un lourd tribut au fait d’avoir comme ennemi les plus extrémistes des hindouistes, partisans du maintien de la hiérarchie sociale issue du système des castes. En 2008, en effet, en Orissa, c’est le meurtre d’un religieux hindou par des maoïstes qui a entraîné en représailles les pogroms antichrétiens.

A l’avenir, estime Jose Kavi, l’Eglise ne peut plus se permettre de garder le silence. Partout où les maoïstes ont pris le dessus, les changements sociaux annoncés ne se sont pas matérialisés par une amélioration du sort des pauvres. Au contraire, là où les rebelles tiennent les campagnes, les pauvres sont devenus plus pauvres car soumis au racket et pris entre les pressions des naxalites et celles des milices pro-gouvernementales. Il ne suffit pas à l’Eglise de garder le silence pour préserver ses institutions sur le terrain, elle doit aussi s’exprimer publiquement et ne pas craindre de dire la vérité, conclut le responsable de Ucanews.