Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Lettre des évêques du Sud-Vietnam au chef du gouvernement

Publié le 24/05/2011




Dans un document rédigé à l’issue d’une réunion tenue le 13 mai dernier, les évêques de la province ecclésiastique de Saigon se livrent à une critique sévère et détaillée de la politique religieuse des autorités civiles, dont le premier volet, adressé au chef du gouvernement, a été traduit ci-dessous par la rédaction d’Eglises d’Asie.

A Monsieur le chef du gouvernement
par l’intermédiaire du Bureau gouvernemental des Affaires religieuses

La pratique concrète des activités religieuses, après la publication de l’Ordonnance sur la croyance et la religion de 2004 et de l’arrêté N° 22/2005/ND-CP destiné à orienter l’application de certains articles de l’ordonnance, nous ont appris que ces documents, même s’ils présentent des aspects positifs, comportent également beaucoup d’insuffisances. Plus encore, ils sont à l’origine d’injustices pour les religions et leurs responsables, non seulement dans leurs activités purement religieuses, mais aussi dans leurs efforts pour participer à l’édification et au développement de la vie humaine, de la société, et du pays tout entier. C’est la raison pour laquelle nous vous adressons l’avis commun de la province ecclésiastique de Hô Chi Minh-Ville, qui est le suivant :

1. « Le service des hommes est l’objectif suprême » de tous les organismes et institutions de la société (voir la résolution du sixième congrès du Parti). Cette affirmation considère l’homme comme l’objectif principal, et le place au centre de toute activité. Cela est vrai en particulier dans le domaine de l’édification et de l’amélioration de la législation sur la base de l’Etat de droit, une orientation que le parti et le gouvernement s’efforcent aujourd’hui de promouvoir. La loi doit être véritablement respectueuse de la vie, de la dignité humaine et des droits de l’homme, respectueuse de l’égalité entre toutes les composantes et les classes de la société, respectueuse de la liberté de ceux qui veulent être utiles à la communauté sociale en l’orientant vers une plus grande humanisation.

2. La Constitution, tout comme l’Ordonnance sur la croyance et la religion, affirment : « Le citoyen jouit du droit à la liberté de croyance et de religion. L’Etat garantit cette liberté. Personne ne peut violer ce droit ». Mais en réalité, même dans les articles de l’ordonnance de 2004 et de l’arrêté N° 22/2005/ND-CP, il existe de nombreuses insuffisances et discriminations à l’égard des religions et de leurs responsables. Ainsi, l’Etat reconnaît la présence et l’existence des religions, mais ne reconnaît aucune personnalité juridique aux organisations religieuses et à leurs responsables. De fait, les responsables religieux ne bénéficient pas des droits des autres citoyens, comme par exemple celui de représenter une organisation religieuse au regard de la loi. De même, les organisations religieuses ne bénéficient pas du statut de personnalité juridique comme les autres organisations sociales légales, un droit inscrit dans la Constitution et la législation. Il faut donc que la loi affirme clairement le statut de personnalité juridique des organisations religieuses et de leurs responsables. Ces derniers voient aujourd’hui leurs droits limités. Au lieu de bénéficier de leurs droits légitimes, ils sont obligés de les solliciter, par exemple lorsqu’ils veulent organiser des cérémonies religieuses, propager leur religion, procéder à la formation des prêtres ou à leur ordination.

3. L’ordonnance stipule que les propriétés légales appartenant aux établissements religieux sont protégées par la loi. En réalité, il n’existe aucun texte juridique exposant clairement en quoi consiste cette protection et comment les intérêts des religions sont protégés. Cela conduit à la situation actuelle où de nombreux établissements et propriétés des organisations religieuses sont accaparés injustement. La loi sur les terrains, bien qu’elle ait été amendée à maintes reprises, reste aujourd’hui insuffisante et n’a pas répondu en temps opportun aux problèmes posés par les mutations de la société. En particulier, cette loi ne prend pas en compte le droit légitime des citoyens à la propriété. Il est nécessaire d’en tenir compte comme le déclare la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies : « Toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a droit à la propriété. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété » (1) Les organisations religieuses ont le droit d’être propriétaires de biens et de terrains. Elles doivent également en assumer la responsabilité à l’égard de la société.

4. Les religions poursuivent un idéal au service des hommes et de la société et travaillent à leur progrès permanent. De ce fait, les organisations religieuses mènent des activités sociales, spécialement dans le domaine de la santé et de l’éducation. Selon l’ordonnance et l’arrêté, les religieux et leurs responsables, en qualité de citoyens, sont encouragés par l’Etat à mener des activités éducatives, médicales et humanitaires dans le cadre des dispositions prévues par la loi. Or, leurs activités sont limitées dans un certain nombre de domaines. Pendant ce temps, dans le cadre du mouvement de « socialisation » actuel (2), tous les citoyens et même des organisations étrangères ont le droit de fonder des hôpitaux, d’ouvrir des écoles ou même des universités. Nous proposons donc que les organisations religieuses puissent être reconnues par la loi et soient placées sur un pied d’égalité avec les autres personnalités juridiques dans le domaine de la santé et de l’éducation.

5. Considéré dans sa totalité, le projet destiné à remplacer l’arrêté N° 22/2005/ND-CP (dans sa cinquième version) marque un recul considérable par rapport au premier arrêté, à l’Ordonnance sur la croyance et la religion ainsi qu’à la Constitution. En réalité, les changements que l’on projette d’introduire dans l’arrêté tendent à rétablir dans le domaine des activités religieuses, une situation de dépendance entre « la religion qui demande et l’Etat qui octroie ». Il transforme des droits civiques en autant de pouvoirs que l’Etat détient en ses mains et qu’il attribue sous forme d’autorisation. Ce retour à une situation de dépendance supprime la liberté des citoyens, en même temps qu’il transforme l’Etat « appartenant au peuple et à son service » en patron tenant entre ses mains les droits des citoyens, et leur accordant des grâces en fonction de la sympathie qu’il éprouve pour eux ou de l’humeur du moment.

Nous avons exprimé ci-dessus un certain nombre d’opinions en toute franchise. Nous, catholiques, voulons que s’établisse un système juridique capable d’évoluer en s’améliorant, qui soit véritablement au service du peuple et émanant de lui, et permette au pays de se développer durablement (…).

Avec nos salutations respectueuses

Fait à l’archevêché d’Hô Chi Minh-Ville, le 13 mai 2011

signé : Jean-Baptiste Pham Minh Mân, archevêque.