Eglises d'Asie

Karnataka : le gouvernement annonce une aide de 500 millions de roupies pour les chrétiens

Publié le 31/05/2011




Il est peu de dire que la nouvelle a surpris. Le gouvernement du Karnataka, l’un des plus ouvertement opposés aux communautés chrétiennes, vient d’annoncer qu’il allait affecter 500 millions de roupies (près de 8 millions d’euros) à des projets de développement consacrés aux Eglises chrétiennes.Le 26 mai dernier, le ministre de la Justice du Karnataka, S. Suresh Kumar, …

… a déclaré lors d’une conférence de presse que le budget du gouvernement pour l’année 2011-12 prévoyait de débloquer 35 crores (1 crore représentant 10 millions de roupies) pour différents projets de construction des communautés chrétiennes, l’attribution de bourses de mérite ou d’aides financières pour les étudiants chrétiens issus de milieux pauvres, et 15 autres crores destinés à « reconstruire et rénover les lieux de cultes » dont plus d’une cinquantaine avaient été détruits lors des violences antichrétiennes de 2008. Le gouvernement a souligné que cette aide était une grande première dans le budget de l’Etat du Karnataka et que le ministre des minorités, Mumtaz Ali Khan, avait évalué le montant de ces aides avec les responsables des communautés chrétiennes consultées au sein d’un comité spécial.

Ce geste aussi généreux qu’inattendu laisse toutefois sceptiques bon nombre de chrétiens du Karnataka, tel cet internaute de Mangalore qui réagit ainsi sur l’un des nombreux forums qui fleurissent sur Internet depuis l’annonce officielle : « Bien que je me réjouisse de cette nouvelle, je soutiens que l’argent ne peut se substituer aux droits et aspirations légitimes auxquels aspirent les chrétiens dans cet Etat. » Certains internautes appellent même au rejet de « l’achat du silence » sur les exactions commises contre les chrétiens.

Depuis l’arrivée au pouvoir, en mai 2008, du Bharatiya Janata Party (BJP, Parti du peuple indien), vitrine politique du nationalisme hindou, les chrétiens ne cessent de dénoncer la politique discriminatoire des autorités à leur encontre, ainsi que les violences récurrentes dont elles sont victimes de la part des hindouistes. Lors des violences antichrétiennes de 2008, l’Etat du Karnataka avait été l’un des plus touchés (1).

Il y a à peine trois mois, les évêques de différentes Eglises chrétiennes du Karnataka organisaient un sit-in à la capitale Bangalore, afin de protester contre les conclusions partiales de la commission d’enquête Somasekhara sur les attaques antichrétiennes de 2008. Supervisé par le BJP, le rapport, à la grande indignation des chrétiens, avait totalement innocenté les groupes extrémistes hindous, accusant même les chrétiens d’être eux-mêmes les auteurs des agressions. Rassemblés sous la bannière du « Forum chrétien du Karnataka pour les droits de l’homme » (2), les Eglises avaient demandé qu’une nouvelle enquête soit menée par le CBI (Central Bureau of Investigation). Leurs revendications étant restées lettres mortes, elles avaient alors prié le juge Michael Saldanha, magistrat en retraite, de présenter un nouveau rapport. Après avoir écouté des centaines de témoins, le juge avait présenté en mars dernier au gouverneur de l’Etat, H. K. Bhardwaj, son mémorandum sur les violences antichrétiennes au Karnataka.

« Des responsables politiques tels que le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur actuels de l’Etat ont orchestré et encouragé une série massive d’attaques contre les minorités sans défense (…) [et des fonctionnaires de police (nommés)] se sont rendus complices d’attaques contre des églises, des religieuses, des femmes et des enfants », concluait le juge Michael Saldanha, selon l’agence Fides. « Le gouvernement avait promis un dédommagement aux victimes mais, trois ans après les faits, aucune institution chrétienne n’a reçu quoi que ce soit », poursuivait le magistrat, rappelant qu’« actuellement encore, les chrétiens et les minorités religieuses étaient toujours victimes de groupes extrémistes hindous et de la brutalité des forces de l’ordre. »

Ce nouveau rapport, dénonçant la complicité des autorités du Karnataka et leur implication dans les violences antichrétiennes, intervenait alors que le ministre-président Yeddyurappa et son gouvernement BJP faisaient l’objet par ailleurs de graves accusations de corruption.

En décembre dernier éclatait l’affaire des frères Reddy (3), ministres du gouvernement Yeddyurappa, accusés de détournement de fonds et de corruption. La présidente du Parti du Congrès, Sonia Gandhi, avait pris à parti le BJP, affirmant que le gouvernement du Karnataka avait bénéficié des opérations maffieuses des frères Reddy et les avaient couverts en leur permettant de garder leurs postes de ministres malgré le fait qu’ils soient l’objet d’une enquête officielle. Le gouverneur du Karnataka, H. K. Bhardwaj, membre du Parti du Congrès, avait alors sommé le ministre-président de s’expliquer, avant d’envoyer un rapport à Delhi demandant la démission de Yeddyurappa et de son gouvernement. A ce jour, la bataille continue de faire rage entre les deux partis. « Au BJP, l’argent commande et le ministre-président du Karnataka Yeddyurappa et les frères Reddy obéissent… Pendant que le Karnataka brûle du feu de la corruption, les Néron du BJP continuent de magouiller à Delhi », persiflait encore, le 29 mai dernier, le porte-parole du Parti du Congrès, Manish Tewari, dans une allusion à l’empereur romain qui aurait joué de la lyre pendant le grand incendie de Rome.

Dans ce contexte troublé, l’annonce du budget 2011-2012 et de ses libéralités envers les communautés chrétiennes, les aborigènes, les agriculteurs et d’autres groupes de la société généralement mis à l’écart par l’Etat, semble s’inscrire dans une campagne de revalorisation de son image activement menée par le BJP. Durant tout ce mois de mai, le ministre-président et ses partisans ont multiplié les manifestations, détaillant « les bienfaits de l’administration de l’Etat par le BJP », et appelant à rejeter le rapport de H. K. Bhardwaj contre le gouvernement de Yeddyurappa, en scandant : « Sauvons le Karnataka, virons le gouverneur ! » (4).