Eglises d'Asie – Népal
Pour la première fois, les chrétiens seront véritablement comptabilisés dans le recensement de la population
Publié le 26/07/2011
Ce 10e recensement de la population népalaise est vécu comme un tournant décisif par le pays, en phase d’achèvement de sa Constitution. « Les indicateurs socio-économiques qu’il fournira permettront entre autres de désigner les nouvelles unités fédérales », explique Bhim Suwal, professeur au département d’Etudes démographiques de l’Université Tribhuwan.
Plus de 35 000 agents et 8 500 superviseurs ont été mobilisés pour faire du porte-à-porte auprès des habitants des régions, des districts et des Comités de développement de village (VDC), une unité administrative municipale. Pour la première fois, ils recueilleront des données comme le sexe, l’âge, l’ethnie, la langue maternelle, le secteur d’activité, le lieu de naissance, la caste, mais aussi l’appartenance religieuse précise, avec également la possibilité de se déclarer « sans religion ».
« Auparavant, les agents recenseurs classaient les gens dans la catégorie ‘hindou’ du moment qu’ils déclaraient un nom traditionnel », y compris les chrétiens [qui sont inclus dans les catégories des recensements depuis 1961], explique Lok Mani Dhakal, secrétaire général de la Nepal Christian Society (NCS) (1). Or, poursuit-il, c’est un système qui ne correspond pas à la réalité et, de plus, ceux qui appartiennent à des religions minoritaires continuent souvent de dissimuler leur identité religieuse, comme ils le faisaient lorsque l’hindouisme était religion d’Etat (2).
Cette année, les agents du recensement ont également pour mission de relever le nombre des foyers et leur composition, le taux de mortalité maternelle, mais aussi différents facteurs d’évaluation du niveau de vie de la population, comme l’alimentation en eau potable, en électricité et en gaz, la présence de sanitaires, la possession de biens de consommation (téléviseur, radio, réfrigérateur, ordinateur, mobile, etc.) ou encore les matériaux utilisés pour l’habitation (briques, végétaux, etc.), en vue notamment d’établir des statistiques comparatives dans les zones à risque sismique. Sont également concernés par le recensement « nouvelle formule », les émigrés qui devront fournir une identité complète, leur pays d’origine, les raisons de leur immigration, ainsi que le nombre de leurs têtes de bétail s’ils vivent en milieu rural. Mais la plus surprenante des innovations du « Census 2011 » reste la reconnaissance d’un « troisième sexe » [‘third gender’ : terme regroupant les homosexuels, lesbiennes et transsexuels], alors que les relations homosexuelles ont été dépénalisées au Népal il y a seulement trois ans.
Pour ce 10e recensement de l’histoire du Népal (3), une seule consigne : « N’oubliez aucun enfant, adulte ou personne âgée, et surtout que nul ne soit compté deux fois. » Une recommandation qui tente d’exorciser le mauvais souvenir laissé par le dernier recensement de 2001, effectué dans le chaos général qui avait suivi le massacre de la famille royale et l’impossibilité de pénétrer dans une grande partie du pays en raison de la guérilla maoïste. Les résultats, obtenus difficilement et sans prendre en compte bon nombre d’ethnies, de groupes sociaux et religieux, avaient fourni un tableau incomplet et peu représentatif de la population, estimée alors à 23,2 millions d’habitants.
Le Népal a beaucoup changé depuis : la guerre civile et ses milliers de morts, les mouvements de population, les changements politiques et sociaux, ou encore la croissance des zones urbaines, ont modifié en profondeur le tableau démographique de l’ancien royaume hindou. Parmi les transformations les plus spectaculaires, celle du paysage religieux est sans aucun doute l’un des éléments que le recensement souhaite approfondir. En quelques années, sous l’effet de la laïcisation progressive de l’Etat depuis 2006, la communauté chrétienne est en effet passée du statut de minorité ignorée à celui de présence visible, essentiellement sous l’effet de l’explosion des Eglises protestantes évangéliques et pentecôtistes, au point d’inquiéter les maoïstes comme les extrémistes hindous (4).
La publication, début 2011, de statistiques effectuées par les chrétiens eux-mêmes, au beau milieu du bras de fer opposant les Eglises au gouvernement afin d’obtenir le droit d’inhumer leurs morts (5), avait démontré que les chrétiens étaient désormais une minorité avec laquelle il fallait compter. Alors que le gouvernement népalais ne déclarait que 0,5 % de chrétiens, le Nepal Catholic Directory 2010-2011, annonçait deux millions de chrétiens (majoritairement protestants), soit 6,9 % de la population. Les données concernant les protestants publiées dans l’annuaire catholique résultaient d’une enquête de plusieurs mois menée par le groupe Kantipur, principal éditeur de presse du Népal, une étude qui avait permis entre autres de recenser quelque 2 500 lieux de culte chrétiens à travers le pays (6).
Au sein des communautés chrétiennes, le chiffre avait cependant été contesté, certaines Eglises protestantes préférant s’en tenir au chiffre d’un million de fidèles tandis que l’Eglise catholique déclarait ne pouvoir assurer que la fiabilité de ses propres statistiques (soit 8 000 croyants). Cette année encore, les Eglises chrétiennes, dont la NCS, ont annoncé qu’elles établiraient le recensement de leurs fidèles afin d’avoir « un point de comparaison avec celui effectué par les autorités ».
Les chrétiens ont cependant fait part de leur satisfaction de voir le gouvernement tenter de mieux prendre en compte les minorités religieuses du pays, en franchissant « cette étape très positive ». Mais reste à déterminer si cette déclaration d’identité religieuse ne risque de stigmatiser davantage les populations minoritaires au Népal, comme ont pu le dénoncer certains chrétiens lors du recensement indien qui s’est achevé au printemps 2011. Les nouvelles données introduites dans le recensement 2011 du Népal semblent en effet calquées sur celles du « plus grand recensement de population de toute l’histoire de l’humanité » (7). Hormis les relevés biométriques, la collecte des informations relève de la même méthodologie, visant à établir « une meilleure connaissance du niveau de vie de la population » en listant les biens de consommation de chaque foyer, l’accès à l’eau ou à l’électricité, les matériaux de construction des maisons, ou encore en établissant une troisième catégorie sexuelle (eunuques, hijras, transsexuels et homosexuels), une première mondiale, jusqu’à sa reprise par le gouvernement népalais.
Les Eglises chrétiennes, qui avaient accueilli favorablement le recensement dans un premier temps, avaient fait part peu après de leur crainte que de nombreux chrétiens vivant dans des régions où ils sont minoritaires ne s’inscrivent comme hindous, par peur des représailles. Elles s’étaient également émues des renseignements demandés aux immigrés, soupçonnant une tentative pour débusquer et expulser les immigrés et réfugiés, un des nombreux problèmes que l’Inde partage avec le Népal (8).