Eglises d'Asie

De jeunes catholiques font mémoire des victimes tombées pour l’indépendance de leur nation

Publié le 08/09/2011




 Le 7 septembre dernier, plusieurs dizaines de jeunes catholiques ont fait mémoire des très nombreuses victimes tombées lors des luttes pour l’indépendance de leur nation. Ils se sont notamment réunis au cimetière de Santa Cruz à Dili, où, le 12 novembre 1991, l’armée indonésienne avait ouvert le feu sur une foule en deuil après la mort d’un étudiant, abattant plus de 200 personnes.

 L’épisode avait marqué d’une pierre sanglante la difficile accession à l’indépendance de cette ancienne colonie portugaise, envahie puis annexée par l’Indonésie en 1975. L’indépendance complète n’a été effective qu’en 2002, trois ans après le départ de l’Indonésie de la moitié orientale de l’île de Timor.

Les jeunes catholiques ont également visité la prison Comarca Balide, un édifice édifié en 1963 par les Portugais qui a servi de centre de détention et de torture aux autorités indonésiennes. La prison a été désaffectée et abrite aujourd’hui les locaux de la Commission pour la recherche de la vérité et la réconciliation, une instance mise en place en 2002 par l’UNTAET, l’administration transitoire de l’ONU qui a accompagné l’accession à l’indépendance du Timor-Oriental.

Parmi les jeunes venus rendre hommage aux anciens militants de la cause indépendantiste, Carlito da Costa Bobo, âgé d’une vingtaine d’années, n’a pas connu les heures les plus sombres de la présence indonésienne. En scrutant les photos accrochées aux murs de l’ancienne prison, il explique avoir du mal à imaginer ce par quoi sont passés les détenus. Aujourd’hui employé par l’ONU, il dit « se sentir profondément triste à chacune de [ses] visites » dans ce lieu. « Des gens y ont énormément souffert, ajoute-t-il. J’espère et je prie pour que de telles choses ne se produisent jamais plus. »

En contemplant une des cellules, Teresinha Santos Da Costa se dit abasourdie d’apprendre que 20 à 30 détenus y étaient entassés. « Il n’y a pas de fenêtre. L’air et la lumière ne pouvaient entrer que par le trou de la serrure et l’œilleton de la porte. Les gens étaient entassés et devaient partager des latrines dans un recoin. On comprend pourquoi, dans de telles conditions, tant de personnes sont mortes ici », explique-t-elle en ajoutant qu’elle a été émue et remuée dans sa foi chrétienne par un graffiti gravé sur un mur : « Je ne laisserai pas mes doutes triompher de mes certitudes. »

Près de dix après l’indépendance et à quelques mois des élections présidentielles, qui auront lieu en mars 2012, le Timor-Oriental se prépare à vivre une période charnière de sa jeune existence. Dans ce pays très majoritairement catholique (98 % des 1,17 million d’Est-Timorais), les acteurs se mettent en place. Le 2 septembre, par exemple, le chef d’état-major des armées, Taur Matan Ruak, un vétéran des combats pour l’indépendance, a remis sa démission au Premier ministre dans la perspective de se présenter devant les électeurs, face notamment au président sortant, José Ramos-Horta, qui devrait quasi certainement briguer un second quinquennat.

Dans ce contexte, l’engagement de l’Eglise catholique au Timor-Oriental, qui y compte trois diocèses, est scruté avec attention. A Dili, le 7 septembre, lors d’un forum réunissant différentes ONG et organisations de la société civile, des intervenants ont souligné que l’Eglise jouait un grand rôle dans la vie du pays. Certains le déploraient, estimant que l’Eglise n’avait pas à s’imposer sur des questions morales, telles que l’avortement. D’autres pensaient au contraire que l’Eglise, qui a joué un rôle si éminent lors des heures les plus sombres de la répression indonésienne, ne se montrait aujourd’hui pas assez active dans la société, notamment sur la question du jugement des responsables des violences du passé.

D’un point de vue juridique, la recherche des coupables a été limitée aux seules violences qui ont accompagné le retrait de l’Indonésie en 1999, épisode durant lequel les troupes indonésiennes et les milices est-timoraises à leur solde ont tué plus de 1 300 personnes. De 1999 à 2005, l’Unité de recherches sur les crimes graves, placée sous l’égide de l’ONU, a mis en examen près de 400 individus. Quatre-vingt-quatre ont été reconnus coupables et emprisonnés, mais, aujourd’hui, du fait notamment d’un large usage par le président Ramos-Horta et du Premier ministre Gusmao du droit de grâce et des remises de peine, seuls deux miliciens sont encore derrière les barreaux, tous les autres ayant été libérés.

Les deux têtes du pouvoir exécutif ont justifié leur attitude en expliquant qu’il était nécessaire de pardonner si le pays voulait effectivement tourner le dos à un passé fait de violences intestines et d’affrontements répétés. Ils ont précisé que la recherche des coupables pour les violences commises entre 1975 et 1999 était impossible tant que l’Indonésie se montrerait peu coopérative et désireuse de remettre aux juges est-timorais les militaires concernés. Sans pression de la communauté internationale et de l’ONU sur Djakarta, il est vain de chercher à déférer devant la justice les responsables qui sont en Indonésie.

D’un point de vue plus politique, les analystes soulignent que le gouvernement est-timorais se montre réaliste et cherche à entretenir des relations apaisées avec son imposant voisin indonésien. Le Timor-Leste, nom officiel du Timor-Oriental, souhaite adhérer à l’ASEAN (Association des Nations du Sud-Est asiatique) et ne peut se permettre de se mettre à dos l’Indonésie. Pour consolider des relations politiques et économiques indispensables à l’avenir de leur pays, les dirigeants est-timorais ne peuvent risquer une confrontation sur la question des responsabilités pour les près de 200 000 morts et disparus des années 1975-1999, expliquent encore ces analystes.

A Dili toutefois, des voix s’élèvent pour souligner les limites de la ‘real-politik’ menée par José Ramos-Horta et Xanana Gusmao. Selon Louis Gentile, en charge du bureau pour les droits de l’homme de l’ONU au Timor-Oriental, « les victimes des crimes du passé, si elles acquiescent à l’importance de l’amitié et de la réconciliation avec l’Indonésie, ne cachent pas leur insatisfaction à voir l’impunité dont jouissent les individus qui ont commis des crimes graves durant l’occupation (indonésienne) » (1).