Eglises d'Asie

Evêques et spécialistes se réunissent pour traiter la crise de la pédophilie dans les Eglises d’Asie

Publié le 08/11/2011




Du 14 au 19 novembre prochains, l’Université de l’Assomption à Bangkok accueillera en séminaire international les évêques et les formateurs des ministres du culte en Asie afin d’évaluer l’impact de « la crise liée à la pédophilie » sur leurs Eglises et de définir des directives sur le sujet. Le séminaire, pour lequel une vingtaine d’évêques et une cinquantaine de formateurs sont inscrits, est organisé par le Bureau pour le clergé de la FABC, la Fédération des Conférences épiscopales d’Asie.

Parmi les intervenants qui prendront la parole lors du séminaire figure Mgr Charles Scicluna, de la Congrégation pour la doctrine de la foi à Rome. Personnage-clef de la lutte contre les abus sur mineurs commis dans l’Eglise, il a expliqué à Eglises d’Asie que s’il se rendait à Bangkok pour « écouter les évêques », il percevait qu’il était nécessaire de promouvoir en Asie « une culture de la divulgation », autrement dit qu’au cas où il s’avérait que les gens en Asie n’avaient pas le courage de faire connaître les actes délictueux dont ils pouvaient avoir connaissance, cet état d’esprit « devait changer ». Il est nécessaire que « les communautés » apprennent à « détecter » ces actes et à les « divulguer », a-t-il souligné. Quelques jours auparavant, dans le cadre d’un colloque international sur la protection de l’enfance organisé au Sénat italien, Mgr Scicluna avait exhorté parents et éducateurs à « ne pas avoir peur de dénoncer les ecclésiastiques coupables » par crainte du « pouvoir sacré » ou en vertu de « considérations erronées et déplacées d’appartenance et de loyauté » (1).

Selon Mgr Vianney Fernando, évêque de Kandy (Sri Lanka) et président du Bureau pour le clergé de la FABC, les responsables de l’Eglise en Asie ne peuvent en effet se contenter d’estimer que les affaires qui ont secoué ces dernières années les Eglises des Etats-Unis, d’Europe ou d’Australie ne les concernent pas et que la pédophilie dans l’Eglise est un problème propre à l’Occident. La pédophilie existe aussi bien en Asie qu’ailleurs dans le monde, écrit Mgr Fernando dans le document de présentation du séminaire, et il appartient aux évêques asiatiques de se saisir du problème afin d’en prévenir la répétition.

Pour l’ensemble des interlocuteurs interrogés par Eglises d’Asie, si des cas d’agressions pédophiles existent bien au sein des Eglises en Asie, ces affaires demeurent toutefois en très grande partie tabou. Il y a encore quelques années, « ces choses-là étaient cachées, les victimes n’osaient pas en parler et les éventuelles affaires qui surgissaient étaient réglées dans le cadre du ‘for interne’ », témoigne l’un d’entre eux, qui précise que les actes pédophiles ont rarement en Asie été l’objet d’une préoccupation faisant l’objet d’une réflexion systématique (2). Il existe de plus une difficulté d’ordre culturel : si, dans la culture occidentale, il est loin d’être aisé pour une victime d’abus sexuels de se singulariser en dénonçant auprès des responsables de l’Eglise ou auprès de la justice l’agression dont il a été l’objet, une telle démarche est presque impensable dans la quasi-totalité des cultures asiatiques où un individu n’est pas appelé à se singulariser par rapport à sa communauté d’appartenance. Une victime ou ses proches ne chercheront jamais la confrontation directe avec l’agresseur ou la hiérarchie de l’Eglise, mais choisiront éventuellement la voie de la dénonciation par lettre anonyme, méthode qui rend difficile la distinction entre dénonciation fondée et accusation calomnieuse.

Au sujet de l’importance des actes de pédophilie dans l’Eglise en Asie, les organisateurs du séminaire notent que « des évêques à travers l’Asie (y compris des nonces en poste en Asie) reçoivent des lettres de différents secteurs de l’Eglise indiquant que la pédophilie est déjà devenue un problème grave et considérable en Asie ». Selon les sources disponibles et les entretiens menés par Eglises d’Asie, il n’existe cependant pas, à ce jour, d’études indiquant l’étendue de la pédophilie dans l’Eglise en Asie. Quelques rares affaires sont apparues au grand jour ces dernières années mais elles restent isolées et ne permettent pas de tirer de conclusions sur l’ampleur du phénomène (3). Rares également sont les Conférences épiscopales à s’être saisies du sujet. A Hongkong, le diocèse a mis en place en 2003 un comité de sept personnes (prêtres et laïcs, éducateurs, professionnels de la santé, experts juridiques et travailleurs sociaux) ayant pour tâche de rédiger une charte afin de prévenir les abus sexuels sur mineurs et de définir la conduite à tenir en cas de nouvelle affaire. Aux Philippines, dès 2002, les évêques ont rédigé des « Directives pastorales concernant les inconduites et les abus sexuels commis par le clergé », le texte n’étant pas limité aux seuls actes de pédophilie mais visant aussi les relations sexuelles entre adultes consentants (4). La Conférence épiscopale indienne a fait de même en 2010. Des congrégations missionnaires telles les Maryknoll qui sont en contact avec des enfants du fait des projets qu’elles soutiennent ont mis en place des règlements internes (5).

Les cinq jours de rencontre à Bangkok répondent à un triple objectif : que les évêques et les formateurs prennent conscience de la gravité du problème dans l’Eglise en Asie ; que soient explorées les mesures à prendre face aux personnes impliquées dans des affaires de pédophilie, qu’elles soient victimes ou agresseurs, et que soit mis en place des programmes pour disposer d’un personnel formé à même de gérer d’éventuelles crises à venir ; et enfin que soient préparées des directives à l’attention des évêques, des formateurs et de tous ceux qui sont en contact avec des enfants afin de garantir une protection optimale de ces derniers.

Outre Mgr Scicluna, les participants au séminaire de Bangkok entendront des personnalités telles que le cardinal Oswald Gracias, archevêque de Bombay et secrétaire général de la FABC, à propos de l’assistance à apporter aux victimes et aux mesures à prendre pour protéger les enfants. Concernant l’obligation faite à l’Eglise de coopérer avec la police et les tribunaux, un juriste du Sri Lanka en détaillera les implications concrètes, notamment dans les pays autoritaires ou dictatoriaux où la justice n’est pas libre. Au sujet de la prise en charge thérapeutique des agresseurs sexuels et des programmes d’éducation à mettre en place dans les instituts de formation, un prêtre philippin formé aux Etats-Unis, le P. Jaime Noel Deslate, plaidera pour une meilleure prise en compte de la psychologie et des sciences sociales dans le choix et la formation des ministres du culte. Enfin, les participants seront appelés à formuler des directives pour que les Eglises en Asie sachent comment agir face à « la crise de la pédophilie ».

Dans une lettre circulaire en date du 16 mai 2011, le Saint-Siège a demandé à toutes les Conférences épiscopales de par le monde de lui soumettre d’ici au mois de mai 2012 des directives spécifiques mettant en œuvre l’action de l’Eglise face aux actes de pédophilie en son sein, sous le triple mot d’ordre de « mettre en garde, prévenir et améliorer les compétences ».