Eglises d'Asie – Indonésie
L’Eglise catholique s’inquiète de la dégradation de la situation des Papous d’Indonésie réfugiés en Papouasie – Nouvelle Guinée
Publié le 15/11/2011
Selon Mgr Gilles Côté, évêque du diocèse catholique de Daru-Kiunga en Papouasie – Nouvelle Guinée et missionnaire montfortain d’origine canadienne, la situation des réfugiés papous, déjà préoccupante, s’est aggravée récemment, en particulier dans les nombreux camps établis de façon anarchique le long de la frontière entre les deux pays. Délaissés par les autorités qui ne leur reconnaissent aucun statut légal, leurs habitants ne doivent leur survie qu’aux aides des ONG et de l’Eglise catholique.
La première et principale vague de réfugiés papous d’Indonésie remonte à 25 ans lorsque, fuyant la répression armée de Djakarta, des villages entiers ont franchi la frontière (2). De 1984 à 1986, ils ont été ainsi des milliers à venir s’entasser dans des camps de fortune, dans l’indifférence générale et sans aucune aide gouvernementale. Sous la pression de l’UNHCR et après la mort d’environ 90 personnes dans l’un des camps en raison de son insalubrité, les autorités de Papouasie – Nouvelle Guinée finissent par accorder à ces premiers demandeurs d’asile le statut de réfugiés prima facie et à accepter l’aide de l’ONU, de différentes ONG et de l’Eglise catholique. En 1987 ouvre le grand camp d’East Awin, établi à une centaine de kilomètres de la frontière afin d’éviter les conflits avec le voisin indonésien.
Depuis, sur les quelque 9 000 réfugiés papous d’Indonésie présents encore aujourd’hui sur la partie occidentale de la PNG (3), seuls 2 700 vivent sur le site officiel d’East Awin, consistant en un ensemble de camps gérés par l’UNHCR. Près de la moitié des exilés sont nés dans ces lotissements établis en pleine jungle et très isolés, mais où ils peuvent bénéficier d’écoles primaires et d’un centre médical. L’unique route desservant le camp relie la ville de Nomad à celle de Kiunga, proche de la mine d’Ok Tedi, à la frontière avec la Papouasie indonésienne. Depuis deux ans, avec le lancement de travaux pour améliorer la route de la jungle, le camp d’East Awin commence à sortir de son enclavement. Cet axe routier, quasi-impraticable durant la mousson et ne disposant pas de système de transport en commun suffisant, est le seul moyen pour les réfugiés de rejoindre le centre minier où ils sont nombreux à chercher du travail, d’écouler leurs produits au marché local ou encore de bénéficier de services de santé et d’autres aides du gouvernement, comme l’accès au collège pour leurs enfants.
« L’amélioration de la route ouvrira aux réfugiés papous la voie du développement et leur permettra enfin de pouvoir subvenir à leurs propres besoins », s’était réjoui à l’époque Mgr Côté dont les services diocésains suivent la population du camp d’East Awin depuis son arrivée, mais aussi, celle, plus démunie, des camps « non officiels » disséminés le long de la frontière.
Dans ces baraquements de fortune, les Papous qui ont fui l’Indonésie mais n’ont pu bénéficier du statut de réfugié accordé à ceux de la « première vague », vivent dans un dénuement alarmant. Une grande partie d’entre eux a été recueillie au camp de Vanimo tenu par le diocèse de Daru-Kiunga, pratiquement le seul organisme à leur apporter une aide aussi bien matérielle, que médicale, scolaire ou religieuse. En l’absence d’écoles et de paroisses, des missionnaires et des volontaires tentent de donner quelques notions d’instruction aux réfugiés, tandis que de petits centres médicaux permettent de faire vacciner les enfants et de donner les premiers soins. Selon les services diocésains, il y aurait environ 5 000 réfugiés dans la zone frontalière et 3 000 répartis dans le reste du diocèse. Ces estimations sont régulièrement revues à la hausse, certaines ONG estimant aujourd’hui à plus de 10 000 les réfugiés « non officiels » sur le territoire de la Papouasie-Nouvelle Guinée.
N’ayant pas le statut de réfugié et ne pouvant accéder à celui de citoyen (4), les membres de ces communautés papoues se contentent d’une activité agricole de subsistance. Ils ne peuvent pas non plus recevoir les aides du gouvernement comme les compensations financières versées à tous ceux qui vivent sur les berges des rivières polluées par les mines d’Ok Tedi, où ils sont nombreux à venir s’entasser dans des logements insalubres et inondés plusieurs fois par an.
Pour Mgr Côté, les risques sanitaires et la dégradation de l’environnement des réfugiés papous sont cependant loin d’être les principales sources d’inquiétude de l’Eglise et des ONG à leur sujet. Les populations locales, qui subissent elles aussi les conséquences de la grave pollution engendrée par les mines d’Ok Tedi (5), développent un ressentiment de plus en plus marqué envers les réfugiés avec lesquels elles craignent de devoir partager leurs maigres ressources, leurs terres et d’éventuelles aides gouvernementales. Les tensions entre les Papous d’Indonésie et les communautés aborigènes du pays d’accueil sont grandissantes, rapporte le prélat, et elles semblent s’être encore accentuées depuis qu’il paraît inévitable que le gouvernement réinstalle les populations riveraines sur des terres non inondables. Sur les berges des rivières Ok Tedi et Fly où elle partage un vaste bidonville industriel avec de nombreux réfugiés, la population locale estime que ses conditions de vie sont aggravées par la présence des exilés indonésiens.
Selon Wren Chadwick, ancien responsable de l’information et du plaidoyer pour JRS en Papouasie – Nouvelle Guinée, (6) lorsque les premiers réfugiés sont arrivés il y a 25 ans, les populations du pays d’accueil avaient perçu leur installation comme provisoire. Mais, des années plus tard, alors que la situation reste inchangée, les relations entre les réfugiés et les communautés locales – bien qu’ils appartiennent en grande majorité au même groupe tribal –, se sont dégradées, notamment en raison du fait que le groupe des exilés sont devenus aujourd’hui numériquement plus important que celui des autochtones. La province a l’un des taux les plus élevés de pauvreté et parmi les taux les plus bas en matière de santé et d’éducation.
Mgr Côté, qui, aux côtés du JRS et de l’UNHCR, s’attache à défendre la cause des réfugiés papous au niveau national et international, ne cache pas son scepticisme au sujet d’un éventuel retour au pays des exilés d’Indonésie. Soulignant l’omniprésence des militaires en Papouasie occidentale, les nombreuses exactions de l’armée et violations des droits de l’homme régulièrement dénoncées par les ONG et surtout le fait que de nombreux Papous continuent régulièrement de franchir la frontière pour trouver refuge en PNG, l’évêque de Daru-Kiunga s’interroge sur les déclarations du gouvernement indonésien qui affirment que les aborigènes peuvent rentrer chez eux en toute sécurité. « Je leur réponds : si tout va bien, pourquoi n’autorisez-vous pas les ONG ou les organisations internationales à venir travailler [sur place] et à se rendre compte par eux-mêmes ? »
Après l’échec des différentes tentatives de rapatriement, volontaire ou forcé, des Papous indonésiens par le gouvernement de la PNG, un accord a été conclu au début des années 2000 entre les gouvernements de Papouasie-Nouvelle Guinée et d’Indonésie, afin d’inciter les exilés à se réinstaller en Indonésie. En vertu de cet accord, des pressions ont été exercées sur les réfugiés, dont des « raids de persuasion » effectués par la police, comme ce fut le cas dans le camp de Vanimo en 2001 ; 150 personnes retournèrent en Indonésie mais 313 autres refusèrent de partir. Mgr Côté, quant à lui, se prononce très nettement en faveur d’une intégration locale des exilés en PNG. « Le processus d’intégration graduel, de style mélanésien, à travers des luttes de pouvoir, des échanges, des alliances et des mariages mixtes, a déjà commencé », révèle-t-il.