Eglises d'Asie

L’Eglise catholique accueille favorablement la décision de la Cour suprême démantelant l’Hacienda Luisita, fief de la famille du président Aquino, au profit des paysans qui la cultivent

Publié le 25/11/2011




 Réagissant à la décision des juges de la Cour suprême, rendue publique le 24 novembre dernier, qui ont statué en faveur du démantèlement de la Hacienda Luisita au profit des paysans qui la cultivent, le P. Edu Gariguez, secrétaire exécutif du Secrétariat national pour l’action sociale de la Conférence des évêques catholiques des Philippines, a exprimé sa satisfaction, …

 … précisant qu’il s’agissait là « d’une décision attendue depuis longtemps et d’un pas en avant montrant que la Cour pouvait vraiment œuvrer pour la vérité et la justice ».

Rendue à une écrasante majorité de 14 voix sur 15, la décision de la Cour suprême indique que les quelque 4 916 hectares de l’Hacienda Luisita doivent être transmis en pleine propriété aux 6 296 paysans qui les cultivent. Le jugement vient renverser une précédente décision de justice de juillet dernier selon laquelle les paysans devaient seulement se voir transférer des actions représentant une part du capital de l’Hacienda Luisita Inc., la société chapeautant le domaine – une décision qui avait été critiquée par les défenseurs de la réforme agraire qui y voyaient une manière de maintenir les paysans de l’Hacienda Luisita dans une position d’actionnaires minoritaires et sans réel pouvoir.

Située à une centaine de kilomètres au nord de Manille, dans la province de Tarlac, l’Hacienda Luisita, une vaste plantation de canne à sucre dotées des unités industrielles qui s’y rattachent, appartient depuis 1958 à la famille Aquino-Cojuangco, à la famille donc de Benigno Aquino III, au pouvoir depuis mai 2010. En dépit du fait que la loi sur la réforme agraire a été votée en 1988 sous la présidence de Cory Aquino, la mère de Benigno Aquino III, l’hacienda familiale a toujours échappée, comme bon nombre d’autres domaines des grandes familles qui contrôlent le pays, à tout démantèlement au profit des paysans qui y vivent.

Depuis des années, la réforme agraire est un dossier récurrent de la vie politique nationale et l’Eglise catholique, par la voix notamment de Mgr Broderick Pabillo, évêque auxiliaire de Manille, s’est prononcée en faveur d’une véritable réforme, toujours annoncée mais jamais appliquée. Après la présidence Gloria Arroyo (2001-2010), marquée par la corruption, Benigno Aquino était très attendu sur le terrain de la justice sociale, la réforme agraire étant l’un des éléments clefs des réformes à mettre en place. En mai 2010, les observateurs philippins expliquaient que si ‘Noynoy’ Aquino parvenait à des résultats sur ce terrain-là, cela indiquerait qu’il était capable d’initier un vrai changement dans le pays, tournant la page de la montée de la corruption et de la déliquescence des institutions ; un échec montrerait au contraire qu’il n’était que l’héritier d’un système, fils d’une élite riche et puissante (1).

Conscient de l’enjeu, Benigno Aquino avait déclaré dès son élection qu’il se retirait du capital de l’hacienda familiale, ses parts étant réparties entre ses oncles, tantes et autres parents. Son porte-parole indiquait à l’époque : « Il a vendu ses parts. Ainsi, rien ne pourra le mettre en situation de conflit d’intérêt. » Les mois passants, aucune initiative politique n’était cependant sortie de Malacanang, le palais présidentiel, et Mgr Broderick Pabillo avait dénoncé publiquement « le silence » présidentiel en la matière. « La faiblesse des résultats produits par le ministère de la Réforme agraire en termes d’acquisition et de redistribution des terres reflète l’absence de volonté politique clairement exprimée par le président sur la question de la réforme agraire », avait dénoncé le prélat.

La décision de la Cour suprême du 24 novembre apparaît donc comme un pas décisif dans le sens d’une véritable application de la loi sur la réforme agraire. Dans leurs attendus, longs de 56 pages, les juges écrivent que l’objet de la réforme agraire est de confier la terre à ceux qui la travaillent. « Nous réalisons que les bénéficiaires de la réforme agraire n’auront jamais le contrôle effectif sur les terres agricoles aussi longtemps qu’ils n’en resteront que des actionnaires [minoritaires] », peut-on lire dans le document. Les juges ont par ailleurs ordonné à l’Hacienda Luisita Inc. d’indemniser à hauteur de 1,33 milliards de pesos (22 millions d’euros) les paysans qui, ces dernières années, ont été chassés du domaine familial du fait de la construction sur les terres qu’ils cultivaient de routes ou d’enclaves résidentielles.

Dans l’immédiat, le palais présidentiel n’a pas réagi à la décision de la Cour suprême. Antonio Ligon, porte-parole de l’Hacienda Luisata Inc., a laissé entendre que la famille respecterait le jugement, bien que celui-ci ne lui ait pas encore été notifié officiellement. « Personne n’est au-dessus des lois », a déclaré le porte-parole. La presse locale a toutefois laissé entendre que le jugement historique du 24 novembre pourrait être affaibli du fait du contexte dans lequel il a été rendu, et notamment à cause des tensions qui sont récemment apparues entre la Cour suprême et le président Aquino.

Ces dernières semaines en effet, la Cour avait autorisé l’ancienne présidente Gloria Macapagal Arroyo à quitter le pays pour raison médicale, malgré le fait qu’elle soit sous le coup d’une enquête pour fraude électorale. Or, des juges appartenant à des juridictions inférieures à la Cour ont statué dans le sens contraire, ouvrant la voie à un placement en résidence surveillée de l’ancienne présidente au sein même de l’hôpital où elle est soignée. Dans les journaux, des articles rappellent qu’une majorité des 15 juges de la Cour suprême doivent leur nomination à Gloria Arroyo et que l’inimitié entre le président de la Cour, Renato Corona, qui est l’ancien directeur de cabinet d’Arroyo, et le président Aquino est telle que ce dernier avait refusé de prêter serment en tant que président devant Renato Corona, comme l’exige pourtant la Constitution. Chacun de leur côté, les porte-parole de la présidence de la République et de la présidence de la Cour suprême ont toutefois démenti que la décision des juges ait pu être influencée par l’inimitié notoire qui oppose les deux hommes.