Eglises d'Asie

Assam : bras de fer entre le gouvernement et les opposants à la construction d’un barrage

Publié le 02/01/2012




 Après les journées d’émeutes du 26 et 27 décembre dernier, le bras de fer continue entre les autorités de l’Assam, Etat du Nord-Est de l’Inde, et des milliers de manifestants qui bloquent depuis le 16 décembre les routes d’accès au chantier d’un gigantesque barrage sur le Brahmapoutre. Les opposants à la construction de cette centrale hydroélectrique dénoncent les graves conséquences économiques et environnementales du projet pour les populations vivant du fleuve.

 Dimanche 1er janvier, à l’occasion de son discours du nouvel an, le ministre-président de l’Assam, Tarun Gogoi, a assuré qu’« [il] ne reculerait devant rien pour protéger l’intérêt national », accusant les manifestants d’être infiltrés par les maoïstes et de « vouloir empêcher le développement économique de l’Etat ».

La grève générale (bandh) qui paralyse l’Assam depuis mercredi dernier, en réaction à la répression policière des manifestations, a été reconduite vendredi 30 décembre, faute d’accord entre les manifestants et le gouvernement (1). Les opposants à la construction du barrage poursuivent par ailleurs leur blocus des routes menant au chantier et le conflit menace de se durcir davantage. Parti des districts frontaliers de Lakhimpur et de Dhemaji, le bandh s’étend aujourd’hui à d’autres districts. Les magasins, les écoles, les établissements publics comme privés sont fermés et tous les transports sont arrêtés.

Depuis le 16 décembre, des milliers de manifestants bloquent l’accès au site de Gerukamukh, situé à la frontière des Etats de l’Assam et de l’Arunachal Pradesh, où la National Hydroelectric Power Corporation (NHPC), entreprise d’Etat, est en train de construire le « plus grand barrage d’Inde », sur la rivière Subasniri, affluent du Brahmapoutre (2). La centrale hydroélectrique devait être mise en fonctionnement en 2012 et fournir une énergie électrique de 2 000 mégawatts, mais les manifestations contre le projet ont ralenti considérablement le chantier.

Formée à l’origine d’une trentaine d’organisations ethniques et de mouvements d’étudiants, fédérés par le Krishak Mukti Sangram Samiti (KMSS) (2), la foule des manifestants a aujourd’hui gagné en nombre et en diversité, et ce sont des milliers de paysans, des familles entières, qui campent aujourd’hui sur les routes du district de Lakhimpur.

Pour le P. Walter Fernandes, qui dirige le Centre de recherches sociales du Nord-Est, les manifestants appartiennent à des groupes très différents, religieusement, idéologiquement mais aussi ethniquement. C’est la même inquiétude, explique-t-il, qui les pousse cependant à s’opposer à ce projet de barrage qui s’élèvera dans une zone à forte activité sismique, et qui abrite l’une des plus riches réserves naturelles de la planète. Selon le prêtre (3), les premières démonstrations d’opposition au projet ont commencé après que les cultivateurs vivant en aval du fleuve eurent fait l’expérience des pénuries d’eau et autres conséquence dramatiques pour leurs cultures après la construction de précédents barrages.

Ce n’est qu’après l’échec des pétitions et tentatives de discussions avec le gouvernement que le mouvement de protestation a décidé de bloquer les routes menant à Gerukamukh, afin d’empêcher le ravitaillement du chantier de la NHPC.

Une explication partagée par le People Union for Democratic Rights (PUDR), organisation de lutte pour les droits de l’homme, qui déclare dans son communiqué du 29 décembre dernier : « Les agriculteurs de l’Assam ont déjà eu l’expérience de la construction d’autres barrages. Les terres sont devenues incultivables en raison de l’ensablement et de la montée soudaine et irrégulière des eaux (…). Des experts avaient également prévenu le gouvernement que de terribles séismes pourraient résulter de la construction de barrages géants dans une région tectoniquement instable (…). Malgré cela, le gouvernement s’entête à construire cet ouvrage (…) alors que des milliers de paysans, de ‘gagne-deniers’, de professeurs, d’étudiants et de membres des classes moyennes protestent ensemble contre le projet. »

Dans la nuit du 26 décembre, la police, ayant reçu des autorités l’ordre de disperser la foule par la force, a chargé les manifestants bloquant le pont stratégique de Ranganadi. Au cours de violents affrontements, les forces policières, renforcée d’unités paramilitaires, ont arrêté plusieurs centaines de personnes – 200 selon la version officielle, plus de 400 selon les militants – dont Raju Bora, le président du KMSS. D’autres échauffourées auraient, le même jour, conduit à de semblables arrestations dans d’autres districts frontaliers avec l’Arunachal Pradesh.

Quelques heures plus tard, le mardi 27 décembre au matin, la police tentait de briser le blocus de Chauldowa, chargeant la foule à coups de matraque (lahti), tirant des balles en caoutchouc et lançant des bombes lacrymogènes. Les violences avaient éclaté lorsque des manifestants se seraient mis à jeter des pierres sur un camion de transport de matériel pour le chantier, qui avait essayé de forcer le blocus. Selon les militants, des milliers d’habitants des environs seraient accouru pour leur prêter main forte. Ils dénoncent des centaines de blessés, dont des personnes âgées, des femmes et des enfants (ainsi que le secrétaire général du KMSS, Akhil Gogoi), des faits niés par la police qui assure pour sa part que « l’incident n’a fait aucun blessé ».

Répondant à l’appel des organisations d’opposition, et avec le soutien de nombreux mouvements de défense des droits de l’homme comme le PUDR ou encore les National Alliance of People’s Movements (NAPM), des manifestations et des marches de protestation contre les violences policières ne cessent de se succéder en Assam depuis les émeutes. Les NAPM ont notamment enjoint « l’Union indienne et les autorités des Etats concernés à reconsidérer attentivement la question du barrage », rappelant les controverses qui agitent actuellement l’Inde au sujet de sa gestion des ressources énergétiques (5) mais aussi des inquiétants travaux chinois en cours de réalisation sur la partie supérieure du Brahmapoutre.

La Chine a en effet récemment reconnu construire sur le Tsangpo, nom tibétain du Brahmapoutre, une gigantesque centrale hydroélectrique, en amont du fleuve dont dépend la vie de milliers de personne en Inde et au Bangladesh. Colossal, l’ouvrage, situé à Zangmu, dans la Région autonome du Tibet, serait opérationnel d’ici 2014. Outre les conséquences sur le débit des eaux du Brahmapoutre où l’Inde envisage de construire plusieurs centrales hydro-électriques, c’est la possibilité d’un détournement des eaux du Tsangpo vers la région aride de Xinjiang qui inquiète le plus New Delhi (6).