Eglises d'Asie – Indonésie
Lors du Nouvel an lunaire, un évêque invite les catholiques d’origine chinoise à s’engager plus concrètement dans l’Eglise
Publié le 24/01/2012
Dans un pays où la place de la minorité d’origine chinoise dans la nation est un sujet sensible, Mgr Hilarius Moa Nurak, évêque de Pangkal-Pinang, n’a pas craint de briser un tabou, celui qui associe Sino-Indonésiens à la prospérité matérielle. Dans l’église Saint-Pierre à Lubuk Baja, sur l’île de Batam, l’évêque présidait une messe dont l’assistance forte de 1 500 fidèles, était principalement composée d’Indonésiens d’origine chinoise. « De nombreux Sino-Indonésiens catholiques sont actifs dans les affaires et le commerce, et leur état d’esprit pourrait se caractériser par l’adage ‘Time is money’. De fait, ils sont réellement très souvent très occupés et cela les empêche de prendre une part active à la vie de l’Eglise, notamment au sein des communautés ecclésiales de base auxquelles ils sont en théorie rattachées », a expliqué l’évêque. « Certains d’entre eux considèrent que prendre part à la vie de l’Eglise consiste à faire des dons en argent », a-t-il ajouté, insistant sur le fait que s’il était vrai que l’Eglise avait besoin d’argent, cela ne pouvait signifier que l’argent pouvait se substituer à une participation personnelle concrète.
En affirmant cela, l’évêque de Pangkal-Pinang a souligné à la fois la singularité de la place des Sino-Indonésiens dans la société indonésienne et la relative normalisation de leur situation. En effet, si l’entrée dans l’année du dragon a été célébrée avec une réelle visibilité dans bien des villes du pays et si la culture chinoise, poids de l’économie de la Chine populaire aidant, fait l’objet d’un vrai engouement, la question de la prospérité matérielle de la minorité d’origine chinoise reste un sujet délicat en Indonésie.
Ce 23 janvier 2012 marquait le douzième Nouvel An lunaire, ou Imlek ainsi que ces festivités sont désignées en Indonésie, que les Sino-Indonésiens pouvaient fêter publiquement. Soupçonnés de soutenir l’idéologie communiste de la Chine populaire, la minorité chinoise avait longtemps dû faire profil bas après le coup d’Etat de 1965 et la prise du pouvoir par Suharto. Toutes les manifestations publiques de la culture chinoise avaient été interdites et ce n’est qu’en 2000, deux ans après la démission de Suharto, que le Nouvel An lunaire avait à nouveau pu être fêté. En 2003, Imlek avait rejoint les fêtes comme Noël ou l’Idul-Fitri considérées comme pouvant être chômées dans tout le pays (1). Toutefois, présente dans le commerce ou les affaires, la communauté sino-indonésienne, qui représente aujourd’hui environ six millions de personnes (sur une population de 225 millions d’Indonésiens), continue de susciter des jalousies et, dans l’esprit des Sino-Indonésiens, le souvenir des violences, parfois meurtrières, de 1998 reste vif (2).
Dans l’Eglise catholique d’Indonésie (le pays compte 4 % de catholiques et 6 % de protestants), le diocèse de Pangkal-Pinang couvre l’archipel des Riau, sur la côte nord-est de la grande île de Sumatra. L’île de Batam, située à quelques encablures de Singapour, est l’objet d’un développement industriel et touristique considérable depuis une trentaine d’années. Sa population a considérablement augmenté, les migrants y affluant de toutes les régions de l’archipel indonésien. D’un point de vue ecclésial, la communauté catholique locale s’est d’abord développée, vers le milieu du XIXe siècle, autour d’un groupe d’émigrés chinois avant de présenter aujourd’hui un visage très différent. Selon les statistiques diocésaines, sur les 45 000 catholiques du diocèse de Pangkal-Pinang, on compte 18 000 Sino-Indonésiens, les 27 000 autres étant d’origines diverses, à tel point que la communauté locale se désigne elle-même comme « l’Eglise des migrants ». Sur les trente prêtres en activité, seuls trois sont originaire de la région et l’évêque lui-même vient d’une province de l’Est indonésien.
De l’avis d’un certain nombre d’observateurs locaux, si Mgr Moa Murak a pris la liberté d’interpeller les Sino-Indonésiens sur leur aisance matérielle, une caractéristique qui leur est attribuée par le reste de la population, c’est bien que cette particularité ne fait plus obstacle, du moins dans le diocèse de Pangkal-Pinang, et que les Sino-Indonésiens sont pleinement acceptés comme membres de la communauté catholique locale.
Dans un autre registre et dans une autre région du pays, les messes qui ont été célébrées à l’occasion d’Imlek ont été l’occasion de rappeler les enjeux et les limites d’une certaine inculturation en matière liturgique. Ces dernières années en effet, à mesure que les Sino-Indonésiens célébraient plus ouvertement le Nouvel An lunaire, des éléments culturels chinois ont pris leur place dans la liturgie : églises parées de ten lung (lanternes chinoises de couleur rouge) et des trois hio (traditionnels bâtons d’encens d’un mètre de haut) ; sur l’autel lui-même pouvaient être placés des cierges rouges, des mandariniers étant posés à quelque distance avec des ang pao, les enveloppes rouges contenant de l’argent, accrochées à leurs branches (3).
Selon le P. Antonius Adrian Adiredjo, dominicain en paroisse à Surabaya, dans la province de Java-Est, s’il est bon que les traditions soient perpétuées et mises en avant, les fidèles doivent cependant veiller à ce que le Nouvel An lunaire soit célébré de manière catholique. « En tant que catholiques, vous pouvez recourir aux symboles que sont les ang pao ou les ornements rouges, mais veillez à ce que ces symboles ne s’immiscent pas dans la célébration de l’Eucharistie car c’est le Christ qui doit y avoir la première place », a expliqué le prêtre durant la messe célébrée ce 23 janvier en l’église du Rédempteur. L’Eucharistie est la forme de prière la plus élevée pour un catholique, a-t-il rappelé, ajoutant qu’« une célébration culturelle pouvait tout à fait prendre place, mais après la célébration eucharistique ».