Eglises d'Asie – Indonésie
Selon International Crisis Group, la frontière entre terroristes islamistes et tenants d’un islam radical est devenue floue
Publié le 26/01/2012
… Selon l’ICG, cette évolution appelle des pouvoirs publics une nouvelle stratégie en matière de lutte contre le terrorisme qui passe par une définition claire de ce que constitue l’extrémisme religieux.
L’analyse menée par l’ICG part des attentats commis le 15 avril dernier à Cirebon, dans la province de Java-Ouest, et le 25 septembre dernier à Surakarta, à Java-Centre. A Cirebon, un attentat-suicide dans la salle de prière (musulmane) d’une caserne de police avait fait un mort (le porteur de la bombe, Mohamed Syarif) et une trentaine de blessés. A Surakarta, un attentat-suicide avait fait deux morts (dont le porteur de la bombe, Ahmed Yosefa Hayat) à la sortie du service dominical d’une église protestante (1). Selon Sidney Jones, principale analyste de l’ICG pour l’Indonésie, les hommes impliqués dans ces deux attentats n’appartenaient pas à l’une ou l’autre des organisations terroristes qui, par leurs actions sanglantes, ont frappé le pays ces dernières années. De formation intellectuelle limitée, relativement peu intégrés économiquement car victimes du sous-emploi, ils appartenaient à ces cercles qui se sont multipliés en Indonésie ces dernières décennies et qui, en recourant à l’occasion à des opérations coup de poing, cherchent à imposer ce qu’ils considèrent être l’islam « pur ». « Les hommes qui ont agi à Cirebon sont passés d’une action menée à coups de bâtons et de pierres au nom de la défense de la moralité et de la répression de ce qui est ‘déviant’ à une action recourant aux bombes et aux armes à feu », explique Sidney Jones, en mettant en garde contre le fait que « ce type d’évolution pourrait bien devenir la norme ».
Selon l’ICG, les auteurs de ces deux attentats-suicide se sont progressivement radicalisés au contact de leaders religieux extrémistes. De la simple écoute de leurs prêches, ils sont passés à des attaques visant des magasins vendant de l’alcool ou à des actions ciblant les ahmadiyah, considérés par eux comme des musulmans hérétiques. Ils ont ensuite été proche du Jemaah Ansharut Tauhid (JAT), l’organisation fondée en 2008 par Abu Bakar Bashir, aujourd’hui derrière les barreaux, qui a été la tête pensante de la Jemaah Islamiyah, ce réseau terroriste transnational actif dans plusieurs pays du Sud-Est asiatique. Plus tard, ces activistes ont fondé des groupes encore plus extrêmes que le JAT, écoutant par exemple des prédicateurs encore plus radicaux que Abu Bakar Bashir, tel Halawi Makmun pour qui les institutions gouvernementales indonésiennes sont des cibles légitimes.
Le rapport de l’ICG souligne que la fusion progressive entre les milices de défense de l’islam et les djihadistes a été facilitée par la prolifération des organisations musulmanes actives dans le champ social et la popularité des taklim, les conférences publiques sur la religion. Ces lieux constituent des forums très fréquentés où les points de vue les plus radicaux trouvent à se répandre.
Dans un tel contexte, la stratégie anti-terroriste du gouvernement indonésien doit être adaptée, estime l’ICG. En effet, après les attentats du début des années 2000 (églises chrétiennes visées à Noël 2000, attentat de Bali en 2002 ou à Djakarta en 2009), les autorités avaient décidé d’actions ciblées contre les groupuscules terroristes. Et, avec l’aide de l’Australie et des Etats-Unis, les services spéciaux avaient rencontré de réels succès. Désormais, du fait notamment d’un brouillage des frontières entre les éléments terroristes et ceux qui seraient « seulement » radicaux, les services de sécurité ne peuvent plus partir du présupposé que les groupes terroristes forment des ensembles clairement distincts de la mouvance radicale.
« La fusion des groupes qui défendent la moralité et l’orthodoxie au nom de l’islam avec le djihadisme complique très largement l’action anti-terroriste du gouvernement. Car si la plupart des [Indonésiens] déclarent condamner le terrorisme, les groupes radicaux reçoivent bien souvent le soutien d’officiels au sein des instances publiques ou quasi-publiques tel le Conseil des oulémas indonésiens (Majelis Ulama Indonesia, MUI), et ce notamment au niveau local », peut-on lire dans la présentation du rapport de l’ICG. Dans ce contexte, le gouvernement doit réfléchir à une nouvelle stratégie, respectueuse des valeurs démocratiques mais qui permette de contrer des prédicateurs qui, s’ils ne recourent pas eux-mêmes à la violence, prêchent le fait qu’il est permis de verser le sang des infidèles (kafir) ou des tyrans (thaghut), visant par là les représentants des institutions publiques et la police.
« Si on veut enrayer la radicalisation de groupes comme ceux qui ont porté les auteurs de l’attentat de Cirebon, le gouvernement doit veiller à construire un consensus national sur ce qu’est l’extrémisme ; il doit s’opposer de front aux discours haineux et mettre en place une tolérance zéro face aux crimes et délits, souvent mineurs, inspirés par la religion, tels ceux qui accompagnent les campagnes contre le vice », explique l’ICG, qui ajoute toutefois : « Le problème est qu’au sein des élites politiques du pays, il n’existe pas d’accord sur la nature de la menace. »