Eglises d'Asie

Le retour des violences aux Moluques fait craindre la contagion à d’autres régions de l’Indonésie

Publié le 16/02/2012




Alors que défilent à Djakarta, toujours plus nombreux, des défenseurs des droits de l’homme demandant l’interdiction du Front des défenseurs de l’islam (FPI), responsable de graves violences dans le pays, des affrontements entre musulmans ont fait au moins six morts, des dizaines de blessés, et plus de 300 habitations brûlées dans l’archipel des Moluques, situé dans la partie orientale du pays. 

Les affrontements se sont produits dans la nuit du 11 au 12 février à Pelauw, localité de l’île d’Haruku, proche de l’île d’Amboine (Ambon) où se trouve le chef-lieu de la province indonésienne des Moluques. Selon certaines sources, dont l’agence AsiaNews, le nombre de morts pourrait être beaucoup plus élevé. Une information qualifiée de « rumeur » par le Jakarta Globe du 12 février, qui cite à l’appui le porte-parole de la police locale, Johanis Huwae, lequel dément formellement l’existence de « dizaines de cadavres qui auraient été trouvés dans les maisons incendiées ». Le fonctionnaire de police a rappelé également qu’en 1999, des rumeurs infondées avaient été à l’origine de l’un des plus violents conflits interreligieux qu’ait connu l’Indonésie, faisant des milliers de morts jusqu’au traité de paix de 2002 (1).

En revanche, les différentes sources s’accordent sur la présence de milliers de personnes déplacées, qui ont dû fuir Pelauw, quémandant aux alentours, un abri, de la nourriture et des vêtements. La plupart d’entre elles se seraient  réfugiées dans les villages avoisinants, tandis que d’autres auraient déjà gagné l’île d’Amboine et sa ville éponyme.

Un simple différent à propos d’un rituel de bénédiction d’une maison communautaire clanique (« maison longue ») serait à l’origine des violents affrontements qui se sont produits entre des musulmans appartenant aux deux sous-groupes (Muka et Belakang) du clan des Salampesi (2). La dispute portant sur le choix de la date de la cérémonie d’inauguration de la maison du clan avait éclaté jeudi 9 février, selon la police, qui affirme s’être rendue sur place à plusieurs reprises pour séparer les belligérants.

Le désaccord aurait dégénéré en bataille dans la soirée du samedi 11 février, où les Muka et les Belakang se seraient affrontés à coup de sagaies, de machettes, de flèches et même d’explosifs. C’est au cours de cet affrontement que cinq, voire six personnes, auraient été tuées, rapporte le Jakarta Post dans son édition du 12 février.

L’île d’Haruku, très majoritairement musulmane (il n’existe qu’une petite enclave de protestants dans sa partie ouest), représente une quasi-exception dans cette province indonésienne des Moluques, principalement chrétienne (les musulmans étant concentrés essentiellement dans la province des Moluques du Nord).

Malgré la signature en 2002 des accords de paix de Malino, qui ont mis fin à la période la plus noire et la plus sanglante du conflit entre les chrétiens et les musulmans, les tensions ne sont jamais totalement retombées dans l’archipel des Moluques, et des flambées de violence continuent de se produire sporadiquement. Le chef de la police des Moluques, Syarief Gunawan, a rapporté le 14 février dernier, qu’« il y avait déjà eu des affrontements dans plusieurs districts [des Moluques] ces derniers jours, et [que] l’incident de samedi n’avait fait que réactiver les troubles ». Il a cité, entre autres, l’incident récent qui avait fait au moins un mort à Saparua, île voisine de celle d’Haruku. Selon la police locale, l’origine du conflit remontait à août dernier où trois personnes avaient été blessées et des unités spéciales de l’armée dépêchées sur place afin d’assurer la sécurité du district.

L’affrontement de Pelauw est l’incident le plus meurtrier survenu dans la province des Moluques depuis l’émeute du 11 septembre dernier à Amboine (3). Après des années d’un apaisement notable – malgré quelques incidents – , cette soudaine explosion de violence avait fait resurgir la peur d’une répétition des événements sanglants des années 1999 à 2002. A la mi-décembre, de nouveau, les quartiers chrétiens et musulmans de la ville se sont affrontés dans des batailles de rue violentes, à la suite d’événements tout aussi insignifiants qu’à Haruku. Près d’une vingtaine de personnes avaient été blessés et des maisons incendiées.

Aujourd’hui, de nouveaux déplacés se sont joints à ceux qui avaient  déjà fui les violences du 11 septembre et qui sont des milliers à n’avoir pas pu encore regagner leur foyer. Des centaines d’habitations et de lieux de culte attendent toujours d’être reconstruits. Dans ce climat très tendu, une flambée de violence qui atteindrait de nouveau Amboine pourrait par contagion gagner le reste de l’archipel des Moluques puis d’autres régions de l’Indonésie, comme la province de Célèbes-Centre, qui a elle aussi connu jusqu’à une période récente de très graves violences interreligieuses.

L’affaire de Pelauw démontre l’incapacité du gouvernement à gérer les différends intercommunautaires, y compris au sein d’un même groupe religieux, a déclaré Irman Gusman, président de la deuxième chambre du Parlement indonésien (Dewan Perwakilan Daerah, DPD) lors d’une réunion de crise avec les représentants des droits de l’homme et des différentes confessions en Indonésie, qui s’est tenue à Djakarta le 14 février dernier. Ses propos, rapportés par le journal Seputar Indonésia, rejoignaient ceux du P. Benny Susetyo, secrétaire de la Commission pour l’œcuménisme et le dialogue interreligieux de la Conférence des évêques catholiques d’Indonésie (KWI), qui a stigmatisé pour sa part l’inconséquence de la police, laquelle « n’était intervenue que le dimanche 12 février, après les faits, alors qu’elle aurait dû anticiper les événements », la querelle entre les sous-clans des Salampesi remontant, de façon notoire, à au moins plusieurs jours. Le prêtre catholique a également souligné que ce type de litige relevait généralement de causes multiples, dont bien souvent la question de la propriété clanique des terres, un problème récurrent aux Moluques. Emmy Tahapary, de la Commission locale des droits de l’homme, a surenchéri, expliquant avoir averti à plusieurs reprises la police des Moluques et celle de Pelauw des nombreux incidents qui s’étaient produits autour de cette querelle toute la semaine précédente, et que les forces de l’ordre n’avaient rien fait.

Selon le P. Ignasius Refo, prêtre catholique moluquois, le différend au sujet de la maison clanique des Salempesi remonterait en réalité à l’année dernière, lorsque, à la mort du chef de clan, son successeur avait décidé de changements importants concernant l’aménagement du bâtiment communautaire.

Il semble également qu’ au-delà des querelles au sujet des rituels, la montée d’un mouvement rigoriste au sein de l’islam indonésien a très probablement joué un rôle majeur dans les violences du 11 février dernier. A Pelauw, de plus en plus de partisans de la « purification » de l’islam des coutumes indigènes et archaïques s’opposent à ceux qui considèrent que l’ensemble de leurs traditions ancestrales, l’adat (5) (dont les rituels et cérémonies des maisons claniques), fait partie intégrante de leur identité musulmane moluquoise.