Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Le chemin néocatéchuménal et le diocèse de Takamatsu : une analyse de Mgr Mizobe Osamu

Publié le 21/02/2012




Mgr Mizobe Osamu, évêque émérite de Takamatsu, revient sur les difficultés que son diocèse a rencontrées avec le Chemin néocatéchuménal (1). Ce texte reprend les raisons qui ont amené l’un de ses prédécesseurs à inviter cette communauté dans le diocèse pour revivifier le tissu ecclésial, mais évoque aussi les particularités du Chemin néocatéchuménal qui ont fait que la greffe n’a pas pris, au point qu’une médiation a été demandée à Rome.

Le 12 janvier 2012, le pape Benoît XVI a reçu une délégation de trois évêques japonais, dont le successeur de Mgr Mizobe à la tête du diocèse de Takamatsu, Mgr Suwa Ejiro (2). Ce dernier n’a pas caché que « les problèmes » persistaient, ajoutant que « les évêques japonais allaient rencontrer prochainement les responsables du Chemin néocatéchuménal au Japon ». A l’agence I-Media, il précisait également : « Nous devons nous pardonner les uns les autres, mais dans le même temps, il nous faut aussi résoudre les problèmes » (3).

La traduction de ce texte publié en anglais par l’agence Ucanews le 9 février dernier, est de la rédaction d’Eglises d’Asie.
                          

 

         Quel est le problème avec le diocèse de Takamatsu?

 

par Mgr Mizobe Osamu, SDB, évêque émérite de Takamatsu

 

Cela fait six mois que j’ai quitté mon office d’évêque du diocèse de Takamatsu (4). Maintenant que je reviens sur les événements passés que j’ai vécus à cette charge, il me paraît nécessaire d’écrire quelques mots pour la postérité.

Tout d’abord, il faut reconnaître qu’il y a eu quelque chose d’étonnant dans ma nomination à Tamakatsu, qui est intervenue alors que j’étais l’évêque du diocèse de Sendai. Ce ‘transfert’ d’un siège épiscopal à l’autre ne se serait jamais produit s’il n’y avait pas déjà eu un problème. De fait, avant même mon arrivée, certains événements, comme l’inspection du diocèse par feu le cardinal sud-coréen Stephen Kim Sou-hwan diligentée par le Saint-Siège, manifestaient déjà que quelque chose d’anormal se passait [à Takamatsu].

Ce que l’on peut dire en toute vérité et justice, et en respectant chacune des parties, peut se résumer à ceci : la difficulté qui est apparue à Takamatsu trouve sa racine dans l’indifférence excessive, voire l’ignorance de la convention NICE (National Incentive Convention for Evangelization), cadre donné à l’Eglise du Japon pour appliquer les décisions du Concile Vatican II et promouvoir l’évangélisation dans le pays.

Plus précisément, le problème résidait dans l’accent excessif mis sur l’autonomie du diocèse en lui-même, en excluant le concept d’une Eglise ouverte sur le monde, une Eglise qui se construirait dans un dialogue avec la société. Même au plan paroissial, il n’y avait pas le souci d’un travail d’équipe en vue de l’évangélisation ou de l’animation pastorale. En outre, les congrégations religieuses n’avaient jamais été convaincues de la nécessité de travailler en collaboration avec l’évêque diocésain en vue d’une orientation pastorale commune.

L’évêque du diocèse, mon prédécesseur, qui n’avait ni les ressources financières ni la main-d’œuvre nécessaires, tenta tout ce qui était possible, se raccrochant à la moindre branche comme un homme en train de se noyer. Toutes ses tentatives se soldèrent par un échec et la dernière solution qu’il trouva pour résoudre les problèmes du diocèse fut d’y convier un groupe, peu importait lequel, du moment qu’il promettait de lui venir en aide.

La triste réalité était que le diocèse de Takamatsu n’avait pas eu de nouveau prêtre depuis 40 ans. Tous les séminaristes qui avaient commencé leur formation s’étaient arrêtés avant l’ordination. Ceci allié au vieillissement des congrégations et à la baisse du nombre des baptêmes ne poussait pas à l’optimisme.

Une organisation approuvée par Rome, le Chemin néocatéchuménal, avait commencé à exercer son activité au Japon, une trentaine d’années plus tôt. Le Chemin, ainsi qu’il est coutume de l’appeler, était un groupe plein d’énergie et au début, la plupart des paroisses de Takamatsu accueillirent ses membres avec enthousiasme.

Toutefois, au fur et à mesure de l’implication de ce groupe dans l’Eglise locale, les laïcs commencèrent à ressentir un certain malaise, notamment dans le domaine liturgique. Quelques prêtres travaillant dans le diocèse, montrèrent également des signes d’opposition.

Ce qui était troublant était que tous les prêtres affiliés au Chemin, sans exception, changeaient l’agencement des autels des chapelles et des églises dont ils avaient la charge, au grand dam des communautés qui souhaitaient préserver les traditions de l’Eglise.

Cependant, le Chemin s’investissait fortement pour recruter de nouveaux membres qui pourraient servir de noyau pour ses activités et, tout naturellement, s’accrut le nombre de ceux qui acceptèrent leur façon de fonctionner.

Le conflit débuta au plan paroissial avec des différences d’opinion sur des sujets de moindre importance. Mais la situation dégénéra en un désordre généralisé lorsque le Chemin créa un séminaire présenté comme « le séminaire du diocèse de Takamatsu ».

Les premières objections se fondèrent sur la violation de certaines règles juridiques dans la création de ce nouveau séminaire et s’intensifièrent en un concert de voix dénonçant l’évêque pour avoir autorisé son établissement. L’évêque rendit alors public les noms de ceux avec lesquels il était en désaccord, lesquels le poursuivirent en justice devant les tribunaux civils.

Quand je pris ma charge dans le diocèse de Takamatsu, j’avais en tête la devise « Renaissance et harmonie » et j’espérais qu’un certain dialogue pourrait être renoué dans le diocèse. Malheureusement, à cette époque, toute velléité de dialogue était déjà vouée à l’échec. C’est pourquoi la première urgence fut d’abord de rétablir le fonctionnement du diocèse sur la base du droit canon.

Le plus gros obstacle était le séminaire diocésain international Redemptoris Mater. Chaque année, de nouveaux prêtres formés par le Chemin sortaient en grand nombre de ce séminaire, et la discorde dans le diocèse s’en aggravait davantage (5).

Heureusement, nous avons reçu l’aide du nonce apostolique et des membres de la Conférence épiscopale et il fut décidé que le séminaire devait être fermé. Dans le même temps, nous avons concentré notre énergie sur la vie interne du diocèse, qui était le fond du problème et qui reste une difficulté encore aujourd’hui.

Trouver de nouveaux candidats pour la prêtrise et les former : telles étaient nos priorités. Et je suis heureux de dire que le nombre de nos séminaristes est monté à quatre cette année. C’est très probablement le fruit des efforts que nous avons faits dans le domaine de la formation des jeunes.

Les plus graves difficultés avec le Chemin sont : premièrement, que ses membres prennent leurs rites particuliers pour des charismes ; deuxièmement qu’ils ont une organisation décisionnelle totalement déconnectée de l’évêque local. Et troisièmement enfin, qu’ils rapportent à Rome tous les problèmes qui devraient être résolus au sein du diocèse, utilisant leurs réseaux d’influence afin d’obliger l’Eglise locale à capituler.

Tout cela fait beaucoup de mal à l’autonomie des Eglises locales. Excepté les sujets qui remettent en cause les dogmes de l’Eglise, les problèmes locaux devraient en principe être réglés par les Eglises locales.

Avec son nouvel évêque, le diocèse de Takamatsu s’est aujourd’hui engagé sur la voie de « l’harmonie et de la renaissance ». Il s’est tenu récemment une grande rencontre diocésaine sur le thème de l’évangélisation comme une première étape franchie vers la renaissance. Il est si facile pour un diocèse de s’écrouler si ses fidèles ne s’unissent pas et n’accordent pas assez d’attention à la solidarité au sein de la communauté.

C’est ce message que je souhaiterais envoyer, venant d’un diocèse qui a appris cette vérité dans les larmes et la souffrance, à tout le reste de l’Eglise au Japon.