Eglises d'Asie

Tamil Nadu : l’Eglise catholique mise en accusation pour son soutien aux manifestants anti-nucléaires

Publié le 10/03/2012




Jeudi 8 mars, les évêques du Tamil Nadu ont publié une déclaration dénonçant les « allégations mensongères » du gouvernement fédéral, et ont accusé à leur tour New Delhi de « persécuter la communauté chrétienne » pour son soutien aux manifestants anti-nucléaires de Kudankulam. 

Lors de la conférence de presse qui s’est tenue le même jour à Chennai (Madras), Mgr Chinnappa, archevêque de Madras-Mylapore et président du Conseil épiscopal du Tamil Nadu, a déclaré que « le Parti du Congrès se vantait de protéger les minorités, mais n’hésitait pas à pratiquer une véritable ‘chasse aux sorcières’ envers les chrétiens ».

Les évêques ont condamné le blocage par le ministère fédéral de l’Intérieur, des comptes de quatre ONG – dont deux sont étroitement iées à l’Eglise catholique -, pour « financement illicite » du mouvement anti-nucléaire, qui demeure hautement mobilisé à Kudankulam dans le district de Tirunelveli. Dans ce village de pêcheurs à majorité catholique, sous juridiction ecclésiastique de l’évêque de Tuticorin, la Nuclear Power Corp of India (NPCI) tente de mettre en fonctionnement deux réacteurs nucléaires de fabrication russe de 1 000 MW chacun, une entreprise sans cesse repoussée en raison de l’opposition déterminée de la population locale.

Le 28 février dernier, le gouvernement fédéral a donné l’ordre de geler les comptes de la Tuticorin Diocesan Association et la Tuticorin Multipurpose Social Service Society, deux organisations dirigées par Mgr Yvon Ambroise, évêque de Tuticorin, également trésorier du Conseil des évêques catholiques du Tamil Nadu et ce, malgré plusieurs contrôles et vérifications par les services de l’Etat « qui n’avaient rien donné ». Egalement présent à la conférence de presse, Mgr Ambroise a précisé que « l’origine et la destination des fonds des organismes d’Eglise étaient disponibles sur le site du Conseil des ministres » et qu’il y avait « une transparence absolue » de ces ONG « qui existaient depuis plus de 70 ans » (1).

Les évêques ont également accusé le Congrès de donner la fausse impression que l’Eglise menait les manifestations et avait le pouvoir de les arrêter. « Avec ou sans nous, les habitants de Kudankulam continuerons à manifester », a déclaré Mgr Chinnappa, avant d’ajouter que « l’Eglise n’avait aucun intérêt particulier à lutter contre le nucléaire, mais qu’il était de son devoir d’être aux côtés de ses fidèles lorsqu’ils avaient besoin de leur soutien [même] si elle risquait d’être visée ensuite pour cela ».

Le projet du site nucléaire de Kudankalam, qui a été signé en 1988, n’a réellement débuté qu’en 1997. L’avancée des travaux a ensuite été ralentie sur plusieurs années par les manifestations ininterrompues des habitants de la région. Quant à la mise en route des réacteurs, initialement prévue en décembre 2011, elle a été ajournée après les semaines d’agitation de ces dernier mois, déclenchées par la catastrophe de Fukushima en mars 2011. Dans une région qui a été ravagée par le tsunami de 2004, les habitants craignent particulièrement un nouvel accident nucléaire, mais aussi les conséquences des rejets de la centrale sur les réserves de pêche qui constituent leur principale source de subsistance.

C’est en septembre dernier, au plus fort des manifestations et du jeûne collectif lancé par une centaine de participants afin de retarder la mise en service de la centrale, que l’Eglise catholique a décidé de s’engager publiquement aux côtés des contestataires. Le 20 septembre 2011, la Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence des évêques de l’Inde (CBCI) publiait une déclaration dans laquelle elle faisait part de son soutien aux manifestants et demandait au gouvernement fédéral de fermer la centrale de Kudankulam et de mettre en place en Inde un programme de retrait du nucléaire en lui substituant progressivement des sources d’énergie éco-compatibles. Les évêques rappelaient également au gouvernement qu’il se devait de « garantir la protection des citoyens et leur droit à la vie » (article 21 de la Constitution) comme de protéger l’écosystème et la nature (article 51). Cette intervention avait porté ses fruits : le démarrage de la centrale avait été suspendu, le temps de calmer les esprits, et les manifestants avaient cessé leur grève de la faim.

Mais contrairement aux prévisions des autorités, la mobilisation, toujours pacifique mais déterminée des habitants de Kudankulam, s’était maintenue. Pour rassurer la population, la NPCI et les autorités n’avaient pourtant pas lésiné sur la communication, inondant la région de tracts en tamoul fustigeant la campagne de « désinformation menée par les puissances étrangères » et affirmant l’impossibilité d’une catastrophe du type de Fukushima en raison d’un « important dispositif de sécurité » encadrant la centrale.

Décidé à faire passer en force ce projet qui a coûté plus de 3 milliards d’euros, le gouvernement est finalement passé à la répression en décembre dernier : les arrestations de manifestants se sont multipliées, ainsi que les inculpations pour « sédition contre l’Etat », un crime qui peut être puni d’emprisonnement à perpétuité.

C’est dans cette atmosphère tendue que, dans un entretien publié le 24 février par le magazine Science, le Premier ministre indien a affirmé que « le programme d’électricité nucléaire connaissait des difficultés » provoquées par des ONG dont « le siège, pensait-il, était aux Etats-Unis », et qui ne voulaient pas que l’Inde « augmente sa production énergétique ».

Quelques jours plus tard, les ONG visées par les accusations de Manmohan Singh, qu’il s’agisse des associations diocésaines de Tuticorin comme des organisations anti-nucléaires, apprenaient que leurs comptes avaient été bloqués. Parmi ces ONG, l’organisation People’s Movement Against Nuclear Energy (PMANE), dont le président S.P. Udayakumar a déclaré qu’elle était uniquement financée par « collecte auprès des paysans, des pêcheurs et autres habitants de la région », a porté plainte pour diffamation contre Manmohan Singh (2).

Depuis Fukushima, l’Inde a de plus en plus de mal à mettre en application le vaste programme nucléaire qu’elle avait projeté de développer pour accompagner la forte croissance du pays. Les dirigeants et les industriels s’affrontent aux opposant de plus en plus nombreux, non seulement à Kudankulam mais aussi à Jaitapur, dans le Maharashtra où les manifestants bloquent les convois du groupe d’Areva, ou encore au Bengale-Occidental où ils ont obtenu l’abandon du projet d’une gigantesque centrale. Equipée pour le moment de 20 centrales qui produisent 4 780 MW, l’Inde a programmé d’atteindre 63 000 MW d’ici 2032. En octobre dernier, Swapnesh Malhora, porte-parole du département de l’énergie atomique, a révélé l’enjeu que représentait le site du Tamil Nadu en affirmant qu’« à l’exception des deux réacteurs russes à Kudankulam, il n’y aurait aucun nouveau réacteur nucléaire étranger avant 2020. »