Eglises d'Asie – Corée du sud
Manifestations à Jeju : « Sommes-nous encore en démocratie ? », interrogent les évêques catholiques
Publié le 13/03/2012
Dimanche 11 mars, trois responsables religieux ont été arrêtés pour avoir pénétré illégalement sur le site du chantier lors d’un mouvement de protestation. Le P. Joseph Kim Jeong-uk, jésuite, ainsi que deux pasteurs protestants, le Rev. Lee Jeong-hun et le Rev Kim Hong-sul, sont accusé d’avoir réussi à s’introduire par une brèche de la clôture sur le chantier de la future base navale le 9 mars dernier, avec une trentaine d’autres manifestants.
Ce lundi, le Rév. Kim, qui a été relâché – mais avoue ne pas savoir pourquoi –, a déclaré à l’agence Ucanews être inquiet pour ses coreligionnaires qui « vont être transférés en prison dans les jours qui viennent ». Selon lui, c’est la première fois que ce type de situation se produit en Corée du Sud depuis 1989 (1). Près de 60 contestataires (prêtres, militants, laïcs et religieux) ont été arrêtés lors des manifestations du 9 mars, mais tous ont été relâchés peu après. Depuis l’arrestation des responsables religieux et la menace de leur prochain emprisonnement, une foule toujours plus nombreuse de manifestants se rassemble devant le chantier de construction, tandis que d’importantes forces de police sont déployées sur l’ensemble du site.
Si le mouvement d’opposition à la construction de la base navale sur Jeju remonte à 2007, année de sa présentation aux habitants, ces derniers mois ont été marqués par un important renforcement de la mobilisation des opposants et le durcissement de la politique de Séoul.
Le projet controversé vise à installer dans le village côtier de Gangjeong, une base militaire de 40 hectares qui permettrait le mouillage de plus de 20 bâtiments de guerre sud-coréens, dont des sous-marins et des destroyers de classe Aegis. Malgré le fort mouvement d’opposition au chantier, le gouvernement sud-coréen a maintenu le projet et annoncé que la base serait achevée avant 2015, arguant de l’absolue nécessité d’« assurer la sécurité en mer du Sud » (nom donné par la Corée à la mer de Chine orientale).
L’île de Jeju (Cheju), dirigée par un gouvernement provincial, jouit en Corée du Sud d’une réputation de paradis naturel préservé, qui en fait une destination touristique appréciée. Outre ses paysages inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO, Jeju passe également pour un haut-lieu de la résistance à l’oppression. En 1948, alors que les Etats-Unis tentaient d’imposer le dictateur Singman Lee (Rhee), les habitants s’étaient révoltés et la répression, féroce, avait fait 80 000 morts. Environ 70 % des villages de l’île furent rasés et, pendant une cinquantaine d’années, tous ceux qui commémorèrent les massacres des résistants furent arrêtés et torturés. De ce passé récent et douloureux, Jeju a hérité la dénomination d’« île de la paix », un terme que ses habitants, soutenus par l’Eglise, reprennent aujourd’hui pour dénoncer l’incongruité d’une implantation militaire sur leur sol (2). Avec Mgr Peter Kang U-il, évêque de Cheju, la totalité des Commissions ‘Justice et Paix’ des 16 diocèses catholiques de Corée du Sud ont fait connaître leur opposition au projet.
Pour les nombreux militants, les associations et mouvements de défense des droits de l’homme qui s’opposent au projet naval à Gangjeong, il ne fait aucun doute que l’installation d’une base militaire sur cette île, par ailleurs stratégique, sera ressentie comme une provocation par ses voisins nord-coréens et chinois alors que la tension demeure forte entre les différents Etats de la péninsule.
Mais, outre la relance de la course à l’armement, les contestataires dénoncent également les graves et irréversibles atteintes à l’environnement que déclencherait l’établissement d’une base militaire sur un littoral protégé abritant un écosystème marin riche et diversifié. C’est d’ailleurs le dynamitage de la barrière de roches volcaniques connue sous le nom de Gureombi, qui a provoqué le 7 mars dernier la colère de la population, laquelle avait relâché sa vigilance, pensant avoir eu gain de cause, après plusieurs semaines de manifestations et sit-in ininterrompus.
Encadrées par des centaines de policiers venus du continent, les équipes de terrassement ont entamé en effet, mercredi 7 mars, la phase-clé du chantier en faisant sauter à la dynamite les roches de Gureombi à Gangjeong. En dépit de la résistance de centaines de militants et d’habitants qui ont tenté de faire barrage – certains ayant même essayé d’approcher du chantier en kayak avant d’être appréhendés par la police maritime -, les explosifs et les pelleteuses ont commencé leur travail de terrassement afin d’installer le caisson principal et les bases de construction des docks.
Dès le lendemain, jeudi 8 mars, plus de 500 opposants manifestaient devant le chantier tandis que le gouverneur de l’île, Woo Keun-min, ainsi que le conseil municipal de Gangjeong appelaient Seoul à stopper les travaux et à demander une consultation de la population sur le projet.
De son côté, l’Eglise a vigoureusement condamné le ‘coup de force’ de Séoul, passant outre l’opposition des autorités et de la population locales. « Le gouvernement agit comme s’il n’entendait rien et poursuit ce qu’il appelle un ‘projet national’, bien que le fait que ce projet ne soit justifié que par la volonté de l’Etat relève plutôt de ce que l’on serait en droit d’attendre d’un régime totalitaire », a déclaré le 9 mars Mgr Peter Kang U-il, évêque de Jeju et président de la Conférence des évêques de Corée du sud. « Sommes-nous encore en démocratie ? Dans une démocratie, il est toujours possible d’arrêter ou de revenir sur un projet s’il rencontre l’opposition des citoyens ou trop de critiques », a poursuivit le prélat, ajoutant qu’il «était primordial que le projet de base navale soit abandonné, pour le bien des habitants de Jeju comme pour celui de toute la population sud-coréenne ».
Mgr. Matthew Lee Yong-hun, évêque de Suwon et président de la Commission ‘justice et paix’ de la Conférence des évêques de Corée du Sud a pour sa part qualifié le dynamitage des rochers de Gangjeong de « grave erreur» du gouvernement qui « en frappant les roches, a aussi frappé les habitants » et « altéré la confiance de la population ».
Mais une conséquence inattendue de ce dynamitage du littoral a été l’élan d’indignation qui a gagné la communauté internationale par l’intermédiaire des ONG et organisations des droits de l’homme. Depuis le 7 mars, les sites internet, pages Facebook et pétitions de soutien fleurissent sur la Toile pour soutenir les opposants sud-coréens, et des militants pacifistes de plusieurs pays occidentaux sont venus prêter main forte aux insurgés de Gangjeong. Certains d’entre eux, dont l’activiste britannique Angie Zelter, ont été arrêtés avec les contestataires et les prêtres catholiques qui ont franchi la clôture du chantier le 9 mars. Selon la célèbre pacifiste, tous ont été conduits au poste où l’évêque de Jeju en personne est venu leur rendre visite et les assurer de son soutien.
Ce lundi 12 mars, les ONG et médias locaux rapportent que malgré les arrestations qui se poursuivent, les manifestants n’ont pas relâché leur mobilisation et tentent toujours d’occuper le site ou du moins, de ralentir les travaux.