Eglises d'Asie

Florès : l’Eglise catholique s’engage dans la lutte contre les paris clandestins

Publié le 26/03/2012




Sur la très majoritairement catholique île de Florès, l’Eglise s’alarme de la popularité des jeux d’argent clandestins parmi la population et appelle à les combattre. Dans un pays où 85 % de la population est de religion musulmane, les jeux d’argent ont été officiellement mis hors la loi en 1974 mais ils prospèrent néanmoins, malgré les campagnes régulières d’éradication lancées par les autorités. 

« Toutes les formes de paris doivent cesser », a affirmé le P. Dominikus Dange, responsable de la Commission ‘Justice et Paix’ du diocèse de Maumere, l’un des quatre diocèses catholiques de cette île de près de deux millions d’habitants. Le prêtre s’exprimait devant une assemblée de 200 personnes réunies le 18 mars dernier à l’église de la Sainte-Trinité à Maumere. Il a particulièrement dénoncé les méfaits causés, selon lui, par la popularité du togel, un loto très populaire dans l’île et plus largement dans l’ensemble de l’Indonésie. En dépit du fait que ce jeu est illégal, il prospère partout, a affirmé le prêtre, citant le chiffre de huit milliards de roupies (650 000 euros) engagés chaque mois sur ce jeu par la seule population du diocèse de Maumere. Il a ajouté que le pouvoir d’achat des ménages avait été notablement affaibli par l’argent consacré à ces paris, à un moment où par ailleurs la hausse des prix rendait déjà la vie de chacun plus difficile. Il arrive aussi que des jeunes tombent dans la délinquance afin simplement de se procurer l’argent dont ils ont besoin pour parier quotidiennement, a-t-il expliqué.

Le P. Dange a souligné combien les gens étaient crédules pour penser qu’ils pourraient devenir riches rapidement et sans effort, alors même qu’ils perdaient régulièrement des sommes finissant par devenir importantes en jouant à cette forme de loto. Les seuls à s’enrichir sont les barons qui contrôlent cette industrie clandestine du jeu depuis les grands centres urbains de Java, a-t-il poursuivi, appelant chacun à aider les autorités pour supprimer ces jeux d’argent illégaux.

Le diocèse de Maumere a en effet décidé d’apporter son soutien à la police et, pour obtenir un résultat pérenne dans cette lutte, va mettre en place dans 35 de ses paroisses des centres d’accueil pour joueurs dépendants.

De son côté, la police a procédé à une soixantaine d’arrestations ces trois dernières semaines à Maumere et affirme intensifier ses enquêtes afin de remonter aux barons qui contrôlent le togel. Les appels à la délation sont encouragés. « Contactez la police si vous connaissez quelqu’un qui parie. N’hésitez pas à le faire et les forces de l’ordre agiront sans délai », a notamment déclaré Muhammad Muhtar, officier de police à Maumere.

En Indonésie, les paris et les jeux d’argent sont interdits au titre d’une loi votée en 1974. Ils sont toutefois très présents dans la vie quotidienne, les Indonésiens pouvant aisément parier sur des compétitions sportives (badminton et football notamment), des combats de coq ou bien encore sur des loteries comme le togel. Dans la province d’Aceh, où est appliquée la charia, des personnes ont été condamnées à des peines de bastonnade (par canne en rotin) pour avoir participé à des jeux d’argent. Ailleurs, les campagnes de lutte contre les paris clandestins engagées sporadiquement par la police ne durent jamais longtemps et, après quelques semaines d’activisme policier, les affaires reprennent leur cours sans que les « parrains » ne soient jamais inquiétés.

Quant à la justice, son action en ce domaine est parfois critiquée. Ainsi, en juillet 2009, des juges ont déclaré coupables de paris clandestins dix enfants âgés de 12 à 16 ans ; cireurs de chaussure travaillant à la sauvette sur le parking de l’aéroport international de Djakarta, ils avaient été surpris à jouer à pile-ou-face avec des pièces de monnaie. Récemment, deux joueurs de cartes qui avaient été condamnés à quatre mois et dix jours de prison pour paris clandestins (la peine maximale prévue par la loi est de dix ans de prison) ont saisi la justice pour demander que l’interdiction des jeux d’argent soit appliquée aux seuls musulmans. En effet, a expliqué l’avocat de l’un d’eux, « mon client, un non-musulman d’origine chinoise, estime que la loi [de 1974] ne devrait pas s’appliquer à son cas. Sa religion [chrétienne] ne lui interdit pas de parier. Il considère par conséquent qu’il n’a pas à souffrir des conséquences de cette loi », laquelle, a poursuivi l’avocat, devrait être soit annulée, soit révisée pour n’être appliquée qu’aux seuls musulmans. La Bible, a-t-il affirmé, n’interdit pas spécifiquement les paris. La Cour constitutionnelle n’a pas encore rendu son jugement pour cette affaire.

A la Conférence des évêques catholiques d’Indonésie, on précise que, si toutes les religions ne condamnent pas explicitement les paris, la plupart y sont opposées. « Pour les chrétiens, il est dit que personne ne doit se saisir du bien d’autrui », explique le P. Dani Sanusi, qui ajoute que, quel que soit le jugement que rendra la Cour constitutionnelle, il est du devoir de l’Eglise de mettre en garde ses fidèles contre les dangers que représentent les jeux d’argent. Du côté du Haut Conseil du confucianisme, l’écho est le même : si les paris ne sont pas explicitement condamnés, « les actions irresponsables le sont, comme celles qui amènent à corrompre l’avenir et la santé de quelqu’un ou bien encore l’économie dans son ensemble ».

Selon Syafi’i Anwar, du Centre international pour l’islam et le pluralisme, il est clair que l’islam est la seule religion à explicitement interdire à ses adeptes les jeux d’argent mais il est tout aussi évident que les religions, quelles qu’elles soient, cherchent toutes à protéger leurs fidèles de conduites qui sont jugées mauvaises. « Parier est une mauvaise habitude. Il n’est nullement nécessaire de s’appuyer sur tel ou tel enseignement religieux pour s’en convaincre, ce n’est que du bon sens », explique ce musulman.

Face à la corruption que suppose le maintien quasi public de nombreux cercles de jeux et de paris clandestins, les militants islamistes n’hésitent pas à faire pression sur la société civile et le pouvoir politique. Sans cibler précisément les jeux d’argent, un millier d’islamistes ont manifesté à Djakarta le 9 mars dernier pour mettre en garde les musulmans indonésiens contre « les dangers du libéralisme ». L’esprit de cupidité du capitalisme, l’influence des nations étrangères sur le pays, ou bien encore l’incapacité du gouvernement à protéger les pauvres sont autant « de difficultés dues au libéralisme » qui a « séduit les responsables gouvernementaux » et font que « les gens s’appauvrissent », a affirmé Awit Masyhuri, coordinateur de la manifestation et proche du Front des défenseurs de l’islam, porte-voix des milieux radicaux.