Eglises d'Asie – Divers Horizons
Arabie Saoudite : inquiétude des chrétiens après la fatwa contre leurs églises lancée par le grand mufti
Publié le 03/04/2012
… (à l’exception des quartiers spéciaux réservés aux Occidentaux). La construction d’églises, l’importation d’ouvrages ou objets religieux non musulman ne sont pas non plus autorisées.
Les chrétiens présents en Arabie Saoudite viennent majoritairement d’Inde et des Philippines qui fournissent la main d’œuvre de la péninsule, essentiellement des ouvriers et des employées de maison. Le royaume compte également de nombreux expatriés occidentaux ou indiens qui exercent des professions médicales, sont employés comme ingénieurs ou occupent des postes élevés dans les entreprises.
Le grand mufti, Sheikh Abdul Aziz bin Abdullah al-Shaikh, la plus importante figure religieuse du royaume et le responsable musulman le plus influent de la péninsule arabique, a décrété le 12 mars dernier qu’il « était nécessaire de détruire toutes les églises de la région [du Golfe] ». Cette fatwa était édictée en réponse à la question d’une délégation koweïtienne venue interroger le grand mufti sur ce que prévoyait la charia pour empêcher la construction d’églises et d’édifices religieux non musulmans, une question actuellement débattue actuellement au Parlement du Koweit.
Sheikh Abdul Aziz bin Abdullah, dont le décret a été largement diffusé dans le monde arabe et sur la chaîne al-Jazeera, a fondé sa décision sur un hadith rapportant que sur son lit de mort, Mahomet avait déclaré qu’il ne « devait pas y avoir deux religions dans la Péninsule [arabique] ». En tant que président du Conseil suprême des oulémas ainsi que du Comité permanent pour la recherche scientifique et la fatwa, le grand mufti a adressé son décret à l’ensemble des pays du Golfe, où vivent des communautés chrétiennes, essentiellement catholiques (1) : les Emirats arabes unis, le Koweït, le sultanat d’Oman, le Qatar, et surtout le Bahreïn et le Yémen où l’armée saoudienne est déployée.
De par le monde, différents évêques et organisations de l’Eglise catholique (qui représente la majorité des chrétiens en Arabie Saoudite), mais aussi des responsables d’autres Eglises et communautés religieuses diverses ont condamné fermement ce décret « d’une intolérance alarmante ». Les Philippines, qui ont sur place une très forte communauté d’expatriés chrétiens et dont les démêlés avec l’Arabie Saoudite à ce sujet sont fréquents (2), ont demandé des explications au gouvernement saoudien, lequel demeure étrangement silencieux depuis les événements.
En Europe, des évêques catholiques allemands, dont Mgr Robert Zollitsch, président de la Conférence des évêques, l’ensemble des prélats autrichiens mais aussi le responsable pour les églises à l’étranger de l’Eglise orthodoxe russe, l’archevêque Mark de Yegoryevsk, ont fait part de leur consternation et de leur extrême préoccupation.
Mais c’est de la Conférence des évêques d’Autriche qu’est venue la manifestation d’indignation la plus vive, celle-ci rappelant qu’elle avait ouvert en octobre dernier à Vienne un centre interreligieux pour le dialogue entre l’islam et le christianisme, en collaboration avec l’Arabie Saoudite, qui en était le principal soutien financier – un aspect du projet à l’origine d’une importante polémique locale. Qualifiant le décret d’« inacceptable et incompréhensible », les évêques autrichiens ont souligné que les paroles du grand mufti mettaient en danger les chrétiens non seulement sur toute la péninsule arabique mais partout dans le monde. La Conférence épiscopale s’est déclaré également très étonnée de « la contradiction flagrante entre le dialogue initié par le roi saoudien et la prise de position de son grand mufti » et a réclamé des explications à Riyad.
En Inde, pays qui compte un grand nombre de ses ressortissants en Arabie Saoudite, le Conseil pan-chrétien indien, le All India Christian Council (AICC), a publié une déclaration le 30 mars dernier, signée de son président Joseph D’Souza et de son secrétaire général John Dayal, dans laquelle il appelle New Delhi à intervenir de toute urgence. Dénonçant également les violences prévisibles que cette fatwa pourrait déclencher à l’encontre tous les chrétiens vivant en terre d’islam, l’AICC a lancé un appel au gouvernement indien et à « tous les pays civilisés » à veiller à ce que les autres Etats de la péninsule arabique « rejettent avec force la déclaration fanatique de l’imam wahhabite ». Selon le Conseil pan-chrétien indien, la fatwa du grand mufti viole clairement la charte des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la croyance ou la religion. Depuis de nombreuses années, l’AICC dénonce avec une inquiétude grandissante les persécutions et discriminations auxquelles les chrétiens sont en butte dans les pays du Golfe persique, en particulier en Arabie Saoudite où leur situation est la plus critique.
Des responsables religieux musulmans ont eux aussi marqué leur opposition au décret du grand mufti, au sein de l’organisation mondiale Ahl al-bait, basée en Iran, arguant du fait que les muftis wahhabites et salafistes saoudiens « ne représentaient pas l’islam et n’avaient donc aucune légitimité pour édicter de telles fatwas ».