Eglises d'Asie – Philippines
L’Eglise se félicite que le gouvernement ait reconnu la croissance démographique comme un fait positif pour l’économie
Publié le 03/05/2012
Selon le P. Melvin Castro, secrétaire exécutif de la Commission épiscopale pour la famille et la défense de la vie, « ce n’est rien moins qu’un miracle » que de voir le gouvernement adopter une approche plus conforme aux desseins ‘pro-vie’ défendus par la doctrine sociale de l’Eglise. En opposition ouverte au président Benigno Aquino III, qui tente depuis de nombreux mois de faire passer au Parlement une loi sur « la santé reproductive », des évêques catholiques ont salué le changement de ton de l’équipe au pouvoir. Pour Mgr Camilo Gregorio, évêque de Batanes, « on ne peut que se réjouir que [le gouvernement] perçoive ainsi les choses », même s’il est difficile de comprendre la cohérence du discours d’une administration qui reconnaît aujourd’hui une valeur positive à la croissance de la population après avoir soutenu la nécessité de contrôler cette même croissance. Connu pour avoir souvent croisé le fer avec le gouvernement sur le sujet, Mgr Teodoro Bacani, évêque émérite de Novaliches, s’est dit quant à lui heureux que les dirigeants du pays réalisent enfin qu’une population en croissance était un atout pour l’économie nationale.
C’est en conseil des ministres que le président Aquino a affirmé que la croissance économique était liée à la croissance démographique. Le gouvernement des Philippines, a-t-il déclaré, s’attend à sentir des effets positifs sur la croissance du PIB lorsque les Philippins en âge de travailler représenteront la majorité de la population, soit en 2015 à en croire les projections de l’Office national des statistiques.
Avec une population de 92,33 millions d’habitants en 2010, les Philippines connaissent encore une pyramide des âges en forme de triangle, la population active devant subvenir aux besoins d’une large base constituée de classes d’âge jeunes. Toutefois, contrairement à l’idée commune selon laquelle la population des Philippines connaîtrait une croissance explosive, le taux de croissance a fortement ralenti. Il était de 2,36 % en 2000, il n’est déjà plus que de 1,82 % en 2010. Une importante chute de l’indice de fécondité a accompagné ce ralentissement de la croissance démographique : s’il était de 6 enfants par femme en âge de procréer en 1975, il n’était plus qu’à 3,41 en 2000 et était tombé à 2,96 en 2010. Le ministre des Finances, Cesar Purisima, a estimé que le pays sera « en mesure de toucher les dividendes de la croissance démographique lorsque la population en âge de travailler entrera à plein dans l’économie productive », soulignant que cela ne se fera qu’au prix d’un important effort de formation.
Le changement de ton de l’administration Aquino au regard des bienfaits potentiels de la croissance démographique semble avoir été influencé par une étude publiée en février dernier par la banque HSBC. Selon ce document (1), si les Philippines figurent aujourd’hui au nombre des Etats dits ‘à revenu intermédiaire’ et voient plus d’un quart de leur population vivre sous la ligne de la pauvreté, le pays devrait en 2050 se classer au seizième rang des plus importantes économies dans le monde. A cette date, les Philippines auraient donc dépassé bien des pays de la région, y compris Singapour, dont l’actuel dynamisme économique pourrait tarir du fait d’une dénatalité prononcée.
L’étude de la HSBC a été amplement commentée aux Philippines, et certains économistes en ont contesté les conclusions. Selon Ernesto P. Pernia, professeur à l’Université des Philippines et ancien économiste à la Banque asiatique de développement, une population en croissance ne représente un atout que si la force de travail est correctement formée et répond aux besoins de l’économie. Aux Philippines, a-t-il expliqué, le problème est que la croissance démographique est due en grande partie aux foyers les plus pauvres qui, précisément, n’ont pas les moyens d’offrir une éducation de qualité à leurs enfants. Lesquels trouvent de ce fait des difficultés à s’intégrer au marché du travail, phénomène qui perpétue de génération en génération un « piège à pauvreté ». « Il semble que la HSBC, dans ses conclusions, n’a fait que prendre en considération la taille de la population, ignorant totalement le fait qu’une force de travail, pour être qualifiée d’atout, doit être formée », a-t-il conclu.
D’autres économistes ont au contraire estimé que l’étude était intéressante. Bernardo De Vera, professeur d’économie à l’Université de l’Asie et du Pacifique (UA&P), institution affiliée à l’Opus Dei, a expliqué qu’avant de débattre de la « qualité » d’une force de travail donnée, il fallait déjà que la « quantité » soit au rendez-vous. Si la pauvreté pose une vraie difficulté, c’est un problème dont la solution est plus facile à trouver que celui qui consiste à ne pas avoir de population du tout. Les politiques de contrôle de la croissance démographique aboutissent à des phénomènes de vieillissement accéléré et in fine de diminution de la population active, tendances qu’une bonne part des économies les plus avancées connaissent aujourd’hui et contre lesquelles elles ont beaucoup de mal à lutter, a analysé cet économiste. Par ailleurs, a-t-il ajouté, les ressources pour financer les études et la formation des jeunes générations existent, mais c’est leur allocation qui laisse à désirer ; or, il est possible d’améliorer cette allocation, a-t-il ajouté.
Selon un autre économiste de l’UA&P, le professeur Victor A. Abola, « le progrès des connaissances est plus rapide au sein des groupes importants de population car l’intelligence et le génie ne sont pas réservés aux classes aisées ; ce sont des qualités ‘distribuées’ équitablement et par conséquent, une population nombreuse est aussi synonyme d’un nombre important de personnes qui sont à même d’émerger et de faire la différence ».
Dans un contexte où tous s’accordent à dire que l’éducation et la formation sont les clefs de l’avenir des Philippines mais diffèrent sur le fait de savoir si les Philippines disposent ou non des ressources pour offrir cette formation à sa population, Mgr Camilio Gregorio estime qu’il « est important de continuer à mener campagne, discrètement mais résolument, pour des politiques ‘pro-vie’. Economiquement, de telles politiques sont gagnantes, elles aussi ». Il cite à l’appui la Lettre du 31 janvier 2011 de la Conférence épiscopale des Philippines, intitulée « Choisir la vie, refuser la loi sur la santé reproductive », où l’on peut lire que les politiques de contrôle de la croissance démographique ne sont pas le meilleur moyen de lutter contre la pauvreté, dont les causes se trouvent non dans une hypothétique surpopulation mais « dans des choix philosophiques erronés en matière de développement, des politiques économiques mal conçues, un contexte où règnent l’avidité, la corruption, les inégalités sociales, le manque d’accès à l’éducation, l’indigence des services économiques et sociaux, des infrastructures insuffisantes ».