Eglises d'Asie

L’Eglise et les médias philippins réclament justice pour le journaliste catholique récemment assassiné

Publié le 11/05/2012




Mgr Jose Palma, archevêque de Cebu et président de la Conférence des évêques catholiques des Philippines (CBCP), a fermement condamné le 9 mai sur Radio Veritas le meurtre de Nestor Libaton, reporter pour la radio catholique dxHM (‘Ang Radyo Totoo’), et a pressé les autorités de tout mettre en œuvre afin de poursuivre les coupables et rendre justice au journaliste assassiné. 

Agé d’une quarantaine d’années, marié et père de quatre enfants, Nestor Libaton a été abattu sur l’île de Mindanao mardi 8 mai en début d’après-midi par deux personnes non identifiées, alors qu’il revenait à moto d’un reportage avec son confrère Eldon Cruz. Selon les derniers éléments de l’enquête, les tueurs, qui le suivaient à moto, auraient tiré à sept reprises sur le journaliste, lequel aurait été déclaré décédé à son arrivée à l’hôpital.

Nestor Libaton travaillait pour dxHM, radio catholique connue également sous le nom de « Radio de la Vérité » émettant depuis Mati, capitale de la province de Davao-Oriental de l’île de Mindanao. « Cette station qui appartient au réseau de médias soutenu par l’Eglise (…) est très attentive à la « culture de vie » ainsi qu’aux questions liées au développement de Mindanao, et ces dernières semaines, Nestor Libaton avait beaucoup parlé de ces valeurs », a expliqué à l’agence Fides le P. Francis Lucas, secrétaire exécutif de la Commission pour les Communications sociales de la Conférence épiscopale. Un avis partagé par les collègues du journaliste qui pensent que son assassinat pourrait être en lien avec les derniers reportages qu’il avait effectués.

«Nous condamnons cette violence et demandons que justice soit rendue », a encore déclaré le P. Lucas, ajoutant que « de tels gestes entend[aient] intimider et faire taire les voix défendant les valeurs telles que la vérité, la justice et les droits de l’homme, mais que l’Eglise aux Philippines continue[rait] à annoncer l’Evangile et ne se[ait] jamais réduite au silence ».

Ce nouvel assassinat endeuille l’Eglise catholique, qui s’apprête à fêter la Journée mondiale des communications sociales et des médias le 20 mai prochain. Les préparatifs de l’événement commencent dès ce week-end, avec notamment un grand rassemblement et un colloque organisés par l’archidiocèse de Manille. « Nous sommes d’autant plus attristés [par l’assassinat de Nestor Libaton], que la Journée mondiale des communications sociales est un moyen de nous rappeler que nous, chrétiens, avons le devoir de proclamer et de faire connaître la Parole de Jésus », a tenu à souligner Mgr Palma lors de son interview sur Radio Veritas.

Nestor Libaton est le cinquième journaliste assassiné depuis le début de l’année, et le troisième en moins d’un mois. L’ont précédé sur cette liste noire détaillée par la National Union of Journalists of the Philippines (NUJP) : Rommel ‘Jojo’ Palma (de Bombo Radyo, tué le 30 avril 2012), Michael Calanasan (du Laguna Courier, assassiné le 24 avril), Aldion Layao (de Super Radyo, assassiné le 8 avril), Christopher Guarin (du Tatak News Nationwide, tué le 5 janvier). Tous ont été abattus selon le même mode opératoire : une embuscade au cours de laquelle deux hommes à moto ont tiré sur la victime à plusieurs reprises.

Ces derniers mois, les menaces de mort et les exécutions extrajudiciaires de journalistes ont augmenté considérablement aux Philippines, qui figuraient déjà parmi les pays considérés comme les plus dangereux pour l’exercice de la presse. Il y a quelques jours, l’archipel a été placé par le Comité pour la protection des journalistes, basé aux Etats-Unis, au troisième rang des Etats ayant le plus grand nombre de meurtres de journalistes non élucidés.

De nombreuses associations de défense de la liberté de la presse et des droits de l’homme ont vigoureusement interpellé Manille à l’annonce de ce cinquième assassinat. Reporters Sans Frontières (RSF) a fustigé pour sa part « le climat de grande violence dans lequel est contrainte de travailler la presse philippine », dénonçant l’implication de la police dans ces affaires et l’impunité totale dont elle bénéficie. Peu avant le meurtre de Nestor Libaton, l’ONG avait publié une déclaration dans laquelle elle appelait « une fois de plus le président Benigno Aquino III à mettre en place des mesures efficaces pour protéger les professionnels des médias, et à prendre des sanctions exemplaires contre les policiers coupables d’exactions et les réseaux mafieux ».

Selon des informations diffusées par le quotidien en ligne MindaNews ce vendredi 11 mai, Lito Labra, un animateur radio de la tranche matinale de dxWM-Sunrise de Mati, aurait été menacé d’être « exécuté comme Libaton » après la diffusion de son émission du 10 mai dans laquelle il dénonçait l’exploitation illégale des mines de la région par des intérêts mafieux. Le journaliste a confié être victime de menaces depuis des mois et avoir appris qu’un groupe dissident du Front moro de libération islamique (MILF) avait reçu de l’une des compagnies minières de Mati l’ordre de l’assassiner.

Dans le but avoué de faire pression sur les forces de l’ordre chargées de l’enquête, différentes radios de Mindanao – dont la station dxHM à laquelle appartenait Nestor Libaton – réunies au sein de l’association Tingog Mindanao Radio Alliance (TIMRA), ont ce même vendredi 11 mai enjoint la police des Philippines à « faire toute la lumière sur le meurtre de Nestor Libaton » sans que joue une fois encore la culture de l’impunité. L’un des principaux responsables de l’association, le P. Ignacio Rellin, également dirigeant de Notre Dame Broadcasting Corporation (NDBC), a lancé un appel à témoins, priant « toute personne ayant des informations sur l’affaire, d’aider les autorités à identifier les suspects, afin que justice soit rendue à Nestor Libaton ».

Mgr Oscar Cruz, archevêque émérite de Lingayen-Dagupan, s’exprimant sur les ondes de Radio Veritas le 10 mai, a déclaré qu’il n’était pas surpris de l’augmentation des exécutions extrajudiciaires dans le pays, et ce spécialement parmi les médias, depuis que l’administration Aquino avait montré des « signes de faiblesse dans l’application de la loi ». Le prélat, dont l’engagement dans la lutte anti-corruption y compris au sein de l’appareil d’Etat est bien connu, a déclaré que la violence et l’impunité qui sévissaient aux Philippines « ne disparaîtraient que lorsque le gouvernement déciderait de prendre les mesures nécessaires ».