Eglises d'Asie – Divers Horizons
Les populations des Etats du Nord-Est de l’Inde et de la Birmanie oeuvrent au rapprochement de leurs deux pays
Publié le 21/05/2012
… par le North Eastern Social Research Centre (NESRC), un centre jésuite indien, et le Burma Centre Delhi (BCD) (1) au North East Diocesan Social Forum de Guwahati, la plus importante ville de l’Assam.
Bien que l’Assam n’appartienne pas aux Etats du Nord-Est indien (2) qui partagent une frontière commune avec la Birmanie, il reste particulièrement concerné par les aléas politiques et économiques de son proche voisin, chaque événement ayant des répercussions importantes dans cette partie de l’Inde où vivent notamment de nombreux réfugiés birmans.
Présidant ces journées d’études, le P. Walter Fernandes, directeur du NESRC, a engagé les participants à multiplier les initiatives d’entraide mutuelle, afin de « travailler à des solutions pour le bien de tous », faisant part de sa conviction qu’il revenait à l’Assam, en tant que plus grand Etat du Nord-Est, de mener le dialogue entre les deux pays.
Parmi les intervenants de la session, Tint Swe, ex-député de la National League for Democracy (LND), parti d’opposition d’Aung San Suu Kyi, a reproché à l’Inde de réagir trop lentement aux changements survenus en Birmanie. « Les pays d’Occident ont déjà entamé des pourparlers avec le gouvernement birman », a-t-il rappelé, faisant allusion aux récentes déclarations des Etats-Unis et de l’Union Européenne concernant la suspension ou la levée d’une partie des sanctions imposées à Naypyidaw (3).
En exil en Inde depuis vingt ans, Tint Swe a appelé également son pays d’accueil à adoucir sa politique envers les réfugiés birmans (4), et à s’appuyer sur son expérience concernant les minorités ethniques pour aider les populations aborigènes luttant pour leurs droits en Birmanie. Selon l’UNHCR, plus de 100 000 personnes ont fui la dictature de la junte birmane pour trouver refuge dans le Nord-Est de l’Inde, la plus grande partie d’entre eux (entre 60 000 et 80 000) se trouvant au Mizoram. Essentiellement issus de l’ethnie chin, ces réfugiés birmans partagent le même héritage culturel, linguistique et ethnique que les Mizos, habitants du Mizoram, a encore souligné le leader de la LND.
Cette même appartenance ethnique et culturelle des populations vivant de part et d’autres de la frontière indo-birmane a été soulignée par l’ensemble des intervenants du colloque, y compris le directeur de Zo Indigenous Forum, Lalremruata Rema, qui a expliqué aux participants que les Mizos et les Chins descendaient tous du peuple Zo et que ces liens naturels devaient être davantage resserrés, à la faveur notamment de l’ouverture amorcée par les élections partielles. « Les réformes et les élections ont fait naître une lueur d’espoir pour tous ces peuples qui vivent séparés par une frontière. Nous avons la chance de pouvoir apprendre l’un de l’autre, et de nous rapprocher », a conclu le P. Fernandes.
D’autres représentants des ethnies de l’Inde et de la Birmanie se sont également exprimés au cours de la session. Le président de la Naga National League for Democracy en exil, U Saw Sa, a dénoncé pour sa part le traitement infligé aux Nagas en Birmanie, « les tribus les plus négligées, n’ayant aucun des droits accordés aux autres aborigènes ; ni routes carrossables, ni électricité, ni approvisionnement en eau, ni éducation, ni soins de santé ». Acquiescant à l’opinion des différents leaders politiques, militants et autres membres de la société civile présents au colloque, il a conclu qu’« il n’y aurait jamais pour les Nagas, ni pour aucune autre minorité ethnique, de rôle à jouer au gouvernement, tant qu’il n’y aurait pas une véritable démocratie en Birmanie».
Convaincus de l’importance de la participation de la société civile au processus encore fragile de démocratisation de la Birmanie, les intervenants ont insisté sur le combat que tous devaient mener dans leurs Etats respectifs pour faire avancer les droits de l’homme. « L’engagement de la société civile et non pas seulement des politiques, pourrait vraiment aider la Birmanie », a assuré entre autres Alana Golmei du BCD, également en exil en Inde. Elle a rappelé que, malgré la victoire d’Aung San Suu Kyi aux élections, le parti de la dissidente n’avait que 6,4 % des sièges de l’Assemblée. « Ce sera très difficile d’avoir un poids suffisant pour obtenir un amendement de la Constitution de 2008 », a-t-elle indiqué.
D’autres sujets communs de préoccupation ont également été abordés durant la session, dont la traite des êtres humains, les réseaux de trafiquants de drogue et d’armes et la guerre civile qui continue de faire rage dans l’Etat Kachin.
Malgré les récents accords signés entre le président Thein Sein et différentes rébellions ethniques armées, les pourparlers avec les Kachins, qui ont repris les armes en juin 2011 après dix-sept ans de cessez-le-feu, n’aboutissent toujours pas. Douze mouvements indépendantistes, dont l’Armée de l’Etat Shan du Sud, deuxième groupe ethnique du pays, la puissante Union nationale karen (KNU), ou encore l’une des factions du National Socialist Council of Nagaland (NSCN), ont aujourd’hui signé des accords préliminaires avec Naypyidaw.
Mais dans l’Etat Kachin, alors que le président Thein Sein avait officiellement ordonné en décembre dernier à l’armée de mettre fin à son offensive, les ONG et l’Eglise catholique, dont les diocèses de Myitkyina et Banmaw se trouvent sur les lieux des combats, confirment la détérioration de la situation et l’utilisation par les troupes d’artillerie lourde et d’armes chimiques, qui touchent essentiellement les civils. Mgr Francis, évêque du diocèse de Myitkyina, a rapporté à l’agence Fides la violence des combats et le peu de moyens dont disposaient les paroisses, ouvrant les églises pour accueillir les réfugiés, lesquels seraient plus de 75 000 selon les estimations des Nations Unies.
Les participants au colloque de Guwahati, dont l’initiative a été largement couverte par la presse indienne, ont conclu leurs journées d’échange en publiant cinq recommandations, parmi lesquelles figure en bonne place l’étude du processus démocratique en Birmanie au regard de la Look East Policy, programme de coopération avec l’Asie du Sud-Est lancée par l’Inde dans les années 1990. Le texte a proposé également des préconisations concernant la prévention des trafics de drogues (5) et d’armes ainsi que de la traite des êtres humains, prévention basée sur une coopération accrue entre la Birmanie et le Nord-est de l’Inde.