Eglises d'Asie

Dans l’impossibilité de construire un lieu de culte, des chrétiens protestants en appellent au président de la République

Publié le 21/05/2012




Dimanche 6 mai à Djakarta, des chrétiens protestants ont organisé le service religieux dominical en plein air devant le palais présidentiel. Membres de la Huria Kristen Batak Protestan (HKBP, Eglise protestante Batak), une des principales dénominations protestantes du pays, ils entendaient ainsi protester contre les violences exercées à l’encontre d’une de leurs congrégations installée dans la banlieue de Djakarta et en butte à l’hostilité de mouvements islamistes.

La congrégation en question se trouve à Bekasi, une localité de la grande banlieue de la capitale indonésienne. Elle réunie aujourd’hui environ 1 500 fidèles, mais, en 2000, lors de sa fondation, elle ne rassemblait que quelques familles batak, une ethnie présente à Bornéo et à Sumatra-Nord, qui avaient migré à proximité de Djakarta pour y trouver du travail. Prenant le nom d’Eglise de Philadelphie, rattachée à la HKBP, la congrégation se contentait à ses débuts des logements privés pour prier et assurer le culte. Les années passant, le nombre des fidèles augmentant, ses responsables ont souhaité édifier un édifice cultuel qui leur soit propre.

En Indonésie, la construction des lieux de culte est très étroitement encadrée par la loi, un permis de construire ne pouvant être délivré que si, à l’issue de procédures complexes, le voisinage a explicitement donné son accord à cette construction ; la procédure est si lourde que, concrètement, il s’avère très difficile pour les communautés chrétiennes d’édifier de nouveaux lieux de culte, les islamistes n’hésitant pas à agiter le spectre d’une « christianisation » du pays pour mobiliser le voisinage des terrains choisis par les chrétiens pour y construire une église ou un temple.

A Bekasi, les responsables de l’Eglise de Philadelphie ont respecté à la lettre les dispositions de cette législation, mais ils ne sont cependant pas parvenus à leurs fins. En effet, après avoir obtenu l’accord du voisinage, majoritairement musulman, ils ont déposé en 2007 une demande de permis de construire. En décembre 2009, les autorités du district ont émis un décret interdisant tout rassemblement religieux sur l’emplacement choisi par l’Eglise de Philadelphie pour construire son lieu de culte. Immédiatement, les responsables protestants ont attaqué en justice la légalité de ce décret et, en juillet de l’année dernière, la Cour suprême leur a donné raison, statuant sur le droit de la communauté protestante à demander un permis de construire. Ce jugement n’a toutefois pas réglé l’affaire, et depuis, régulièrement, lorsque les chrétiens de l’Eglise de Philadelphie se réunissent sur le terrain où ils voudraient construire leur église, des haut-parleurs installés sur le trottoir d’en face diffusent à plein volume des versets coraniques ou des textes musulmans.

Le 17 mai dernier, jeudi de l’Ascension, la tension est montée d’un cran. Une centaine de chrétiens protestants s’étaient réunis pour célébrer le culte. Ils étaient protégés par un déploiement de près de 400 policiers et membres des forces de l’ordre. Mais, en dépit de cela, une foule hostile d’environ 300 islamistes est intervenue, lançant sur les chrétiens des pierres, des sachets de plastique remplis d’eaux usées et d’urine. Le service religieux a dû être interrompu. Quatre jours plus tard, le dimanche 20 mai, la scène s’est reproduite, une foule hostile jetant sur les chrétiens des œufs pourris et des bouteilles d’huile usée. Des gradés de la police ont été touchés par les projectiles.

Pour le Rév. Palti H. Panjaitan, pasteur de l’Eglise de Philadelphie, face aux agissements des islamistes, notamment du Front des défenseurs de l’islam dont le quartier général se trouve à Bekasi, les chrétiens sont « désemparés ». Il met en garde les autorités du pays contre le risque d’une « escalade » entre les communautés religieuses « si de telles manifestations d’intolérance ne sont pas sanctionnées sans délai ». Devant le palais présidentiel, le Rév. Andreas Anangguru Yewangoe, président de la Communion des Eglises (chrétiennes) d’Indonésie (Gereja Kristen Indonesia, GKI), n’a pas hésité, quant à lui, à mettre en cause le président de la République, Susilo Bambang Yudhoyono, lui reprochant son inaction en ce domaine. Ce que vivent les chrétiens d’Indonésie est « inhumain », a-t-il dénoncé. « Nous en avons assez de faire face à de tels incidents. Si nous voulons que ce pays reste uni, la seule manière d’agir est de garantir l’exercice de la liberté religieuse », a-t-il ajouté.

Quelques semaines plus tôt, le 15 avril dernier, une coalition baptisée « Groupement interreligieux national » et réunissant des institutions telles que la GKI ou l’Institut Wahid, du nom d’Aburrahman Wahid, ancien président de la Nahdlatul Ulama et ex-président de la République (1999-2001), avait lancé un appel au président Yudhoyono. Il était demandé au chef de l’Etat de défendre la devise nationale (‘L’unité dans la diversité’) face aux agissements des groupements extrémistes et aux abus auxquels se livrent les autorités politiques et administratives locales. Trop souvent, était-il souligné, des groupes religieux minoritaires peuvent obtenir gain de cause devant les tribunaux, jusque devant la Cour suprême, mais ces décisions de justice restent lettre morte sur le terrain, les municipalités et les districts laissant les groupuscules extrémistes faire régner leur loi.