Eglises d'Asie

Vatileaks : le télégramme du nonce à Tokyo à la Curie romaine

Publié le 04/06/2012




Parmi les remous créés par Vatileaks, ces fuites de documents confidentiels adressés au pape (1), figure un rapport du nonce apostolique au Japon en 2011. Analyse.

Daté du 15 août 2011, le rapport a été envoyé par le nonce en poste à Tokyo est Mgr Alberto Bottari del Castello. Italien âgé de 69 ans, Mgr Bottari réside alors au Japon depuis six ans et s’apprête à quitter ce pays pour prendre ses nouvelles fonctions de nonce en Hongrie. Ainsi que le relève le vaticaniste Alessandro Speciale dans une dépêche publiée ce 4 juin par l’agence Ucanews, Mgr Bottari, qui a effectué l’essentiel de sa carrière en Afrique et ne connaît le Japon que depuis son arrivée dans ce pays en 2005, s’interroge, dans ce rapport de fin d’activité, sur les raisons qui font qu’en apparence au moins, les Japonais demeurent rétifs à l’Evangile et sur les raisons qu’il perçoit du conflit opposant l’épiscopat japonais au Chemin néocatéchuménal, dont la présence dans un diocèse du Shikoku soulève des difficultés depuis des années.

Pour Mgr Bottari, qui a abordé l’Extrême-Orient avec l’œil neuf d’un diplomate coutumier d’autres civilisations, une interrogation demeure sans réponse : comment se fait-il que la Corée et le Japon, deux pays appartenant à la même sphère culturelle, présentent des visages si différents en matière de présence chrétienne ? Malgré une histoire quadri-centenaire, les catholiques japonais ne représentent guère plus de 0,5 % de la population de leur pays, le nombre total chrétiens n’étant pas tellement supérieur, tandis qu’en Corée, les chrétiens forment un tiers de la population (10 % de catholiques et 20 % de protestants environ). « Durant ces années passées au Japon, écrit le représentant du Saint-Siège à Tokyo, je me suis souvent posé cette question : ‘Comment se fait-il que cet univers extraordinaire reste si éloigné de l’Evangile ? Pourquoi n’y a-t-il seulement que 500 000 catholiques parmi les 128 millions de Japonais ?’. »

A l’adresse de ses supérieurs à la Secrétairerie d’Etat, le nonce synthétise la réponse qu’il a élaborée au fil des multiples conversations qu’il a eues avec les évêques japonais, des membres du clergé, des missionnaires étrangers et des laïcs japonais. « Le Japon possède une noble culture, une histoire glorieuse [et] une identité nationale forte, intrinsèquement liée à certains symboles (tels que l’empereur) et certaines expressions religieuses (le shintoïsme et le bouddhisme). Dans ce contexte, se convertir au christianisme, c’est rompre avec tout cet univers, c’est apparaître (et aussi ressentir profondément dans sa propre personne) comme étant devenu ‘moins japonais’ », écrit Mgr Bottari, qui poursuit en expliquant que ce sentiment d’appartenance nationale très fortement ancré donne à chaque Japonais une attitude particulière face aux influences venues de l’étranger.

Le nonce écrit ainsi que les Japonais « sont ouverts et curieux », qualités qui leur permettent « d’intégrer ce qui est nouveau à leur propre univers culturel » mais sans que jamais « ils ne souhaitent quitter cet univers qui est le leur ». Au point, estime Mgr Bottari, que « l’on peut penser que chacune des conversions à l’Evangile peut être considérée comme un quasi miracle ».

Dans un tel environnement, le fait que le catholicisme soit associé et perçu comme un phénomène occidental ne contribue pas à l’évangélisation, analyse encore le diplomate, qui ajoute que certaines images véhiculées par les médias n’aident pas la tâche des missionnaires. Il cite notamment des images liées à la violence, la corruption ou bien encore le matérialisme venues d’Occident qui rendent encore un peu plus difficile l’acceptation de la religion chrétienne au Japon dans la mesure où elle est associée à celles-ci.

Le nonce poursuit en expliquant que ce préalable culturel est, selon lui, ce qui permet de comprendre pourquoi les évêques japonais sont en conflit depuis de si nombreuses années avec le Chemin néocatéchuménal, communauté nouvelle d’origine espagnole présente dans le diocèse de Takamatsu, au Shikoku. « De ce que nous pouvons en juger, ils (le Chemin néocatéchuménal) viennent ici et appliquent à la lettre une méthode qui est apparue et a été développée en Europe, sans daigner l’adapter à l’univers local dans lequel ils se trouvent. Parmi ceux qui sont ici au Japon, j’ai retrouvé le même style que j’avais rencontré au Cameroun, lorsque j’y étais comme missionnaire il y a vingt ans : les mêmes chants accompagnés à la guitare, les mêmes expressions, les mêmes catéchèses, des éléments imposés plutôt que proposés », écrit le nonce (2). Pas étonnant dès lors, poursuit-il, que « tensions, incompréhensions et réactions » abondent et que « dans la mesure où ils sont perçus comme n’étant pas très ouverts au dialogue, ils se heurtent à des refus en bloc ».

Mgr Bottari conclut en écrivant que si « les intentions et la bonne volonté » des membres du Chemin néocatéchuménal sont « admirables », ils pèchent par « défaut d’intégration dans la culture locale ». Il ajoute : « A mon humble opinion, c’est ce que les évêques japonais demandent : retirer les habits européens pour présenter le cœur du message d’une manière qui soit purifiée et proche des gens. »