Eglises d'Asie

Les Jarawas des îles Andaman toujours menacés d’extinction par les safaris humains

Publié le 21/06/2012




Malgré les mesures édictées récemment par le gouvernement indien afin de les protéger, les Jarawas (1), aborigènes des îles Andaman-et-Nicobar, sont toujours menacés par un trafic touristique qui met leur survie en danger.

Les îles Andaman-et-Nicobar, Territoire de l’Union indienne, forment un ensemble de plus de 570 îles situé dans le Golfe du Bengale au large de l’Inde et de la Birmanie. Jusqu’à une période récente, elles n’étaient peuplées que de tribus indigènes isolées du monde extérieur. Mais lorsque Port-Blair, la capitale, a cessé d’être une colonie pénitentiaire en 1945, de nombreux ressortissants indiens, encouragés par le gouvernement qui y distribuait des terres, se sont installés dans ces îles où le tourisme est aujourd’hui en plein essor. Cependant, cette intrusion brutale de la modernité semble mener progressivement mais inexorablement les peuples autochtones sur la voie de l’extinction (2)

Parmi eux, ce sont les Jarawas qui suscitent la plus grande inquiétude des ONG de défense des peuples indigènes. Auparavant hostile à toute intrusion étrangère sur son territoire, la tribu ne s’est laissée approcher qu’en 1998. Mais alors que le groupe comptait près de 8 000 individus à l’époque britannique, on en recense aujourd’hui moins de 300. Décimés par des maladies contre lesquelles ils n’étaient pas immunisés (3), les Jarawas sont également devenus dépendants du tabac, de l’alcool et de l’aide alimentaire fournie par les colons en échange de « prestations » pour les touristes.

Les « safaris humains » dans la réserve jarawa, comme le dénonce l’organisation Survival International, sont devenus en effet une attraction touristique aussi lucrative qu’illégale. Dans les années 1990, l’ONG avait déjà empêché par une pétition internationale le gouvernement indien de sédentariser de force les Jarawas, arguant des précédents désastreux sur les autres peuples autochtones de la région. En conséquence, un jugement de la Cour suprême avait en 2002 demandé au gouvernement local de réduire au minimum les interventions extérieures et surtout de fermer la route qui traversait la réserve, l’Andaman Trunk Road (ATR).

Dix ans plus tard, la route, loin d’être fermée, a été élargie et des centaines de cars de touristes l’empruntent chaque jour. Mais c’est un média britannique, The Observer, qui en janvier dernier fit connaître l’ampleur du désastre en publiant un reportage sur l’exploitation des Jarawas accompagné d’une vidéo qui déclencha une vague d’indignation en Inde et dans le monde. On y voyait de jeunes femmes jarawas nues, dansant pour des touristes sous l’injonction d’un policier, en échange de nourriture. Le scandale prist davantage d’ampleur en mars, lorsque le policier de la vidéo, un certain Banjay Baniwal, fut identifié comme l’un des officiers supérieurs responsables de la protection des Jarawas. La « visite privée » qu’il avait organisée pour sa famille et un prêtre hindou, révélait la banalité du trafic auquel se livrait la police, grassement payée par les tours opérateurs et les « prestataires » locaux pour les laisser emmener des touristes dans la jungle à la rencontre de la tribu .

Selon l’Andaman Chronicle newspaper, au fil des ans, les Jarawas sont devenus dépendants au tabac et à l’alcool donnés par les policiers, et il n’est pas rare que des abus, des violences et des viols accompagnent les “prestations”. Le jour de l’enregistrement de la vidéo, les Jarawas se dirigeaient vers leur lieu de pêche lorsqu’ils ont été forcés par des policiers à participer à la démonstration demandée par Banjay Baniwal.

Cinq mois après le scandale de la vidéo, soit le 31 mai dernier, le gouvernement indien a promulgué un amendement à la loi de protection des tribus aborigène, renforçant les sanctions encourues en cas d’infraction. L’Andaman and Nicobar Islands Amendment Regulation 2012 punit désormais de peines de 3 à 7 ans de prison et d’une amende de 10 000 roupies, toute entrée non autorisée dans la réserve jarawa, mais aussi prise de photographies ou vidéos, introduction d’alcool, de matériaux inflammables ou encore de germes biologiques. Le territoire jarawa est également protégé par un périmètre de 5 km à l’intérieur duquel sont interdites toute construction ou activité touristique et commerciale.

« Ce sont d’excellentes nouvelles pour les Jarawas comme pour les autres peuples des îles Andaman », s’est réjoui le directeur de Survival International, Stephen Corry. « La route, les compagnies forestières et les colons leur ont apporté mort et maladies durant trente ans. […] Nous devons maintenant veiller à ce que cette décision soit appliquée ». En effet, bien que l’ONG et d’autres organisations aient appelé régulièrement les touristes à boycotter l’ATR, ceux-ci sont encore très peu sensibilisés aux dangers qu’ils font courir aux Jarawas. Sur le très consulté Travel Blog, on peut encore lire, daté du 11 juin dernier, le conseil donné au voyageur de ne pas manquer, après les plages magnifiques et les barrières de corail des îles Andaman et Nicobar, de « prendre la route qui traverse la réserve jarawa pour voir l’une des tribus [les plus reculées] de l’archipel ».

Les chrétiens, dont la plupart des activités apostoliques et caritatives sont concentrées autour de la capitale Port-Blair, siège de l’évêché catholique des îles d’Andaman-et-Nicobar, sont conscients de la vulnérabilité, voire de la naïveté des populations aborigènes face à ces trafics. Shanti Teresa Lakra, une infirmière catholique qui a travaillé avec les Jarawas, explique que « [la tribu] n’a pas vraiment réalisé ce que la controverse avait provoqué dans le pays » et qu’elle ignore même que les policiers n’ont pas respecté des mesures de protection les concernant.

Un constat partagé par l’ensemble des communautés chrétiennes qui depuis une cinquantaine d’années développent progressivement sur l’archipel, des infrastructures sanitaires, sociales et éducatives auparavant quasi-inexistantes. L’Eglise catholique y gère aujourd’hui un hôpital, huit dispensaires, plusieurs centres d’accueil et de soins ainsi que quelques écoles primaires et établissements secondaires.

Les premières traces de l’Eglise catholique dans les îles Andaman et Nicobar remontent à l’arrivée des franciscains portugais à la fin du XVIIe siècle. En 1947, la mission passa de la juridiction de l’archidiocèse de Rangoun à celle de l’archidiocèse de Ranchi et fut confiée aux Pères du Pilar (4). Après la création des deux premières paroisses en 1965 dans la capitale, Mgr Alex Dias, devint en 1984 le premier évêque du nouveau diocèse de Port-Blair.

Lors du jubilé d’argent de leur diocèse en 2009, les catholiques purent constater la rapide évolution de leur communauté qui compte désormais une quarantaine de prêtres, 14 paroisses, 30 missions, plus de 150 religieux et religieuses de congrégations diverses et près de 40 000 catholiques (sur 90 000 chrétiens) pour une population d’environ 400 000 habitants (les chiffres étant très variables suivant les sources).

Mais pour Mgr Dias, l’essor de la communauté ne peut toutefois masquer les effets du tsunami dévastateur de 2004 dont les stigmates sont encore visibles. Il avoue que la catastrophe du 26 décembre a été la plus dure épreuve de son épiscopat : « Nous commencions à peine à nous réjouir du travail accompli, de tous ces dispensaires, couvents, églises, écoles, centres édifiés, que tout a été balayé en quelques heures. » Le tsunami a durement frappé les îles Andaman-et-Nicobar où l’on estime aujourd’hui qu’il a fait plus de 7 000 morts. Les populations aborigènes semblent quant à elles avoir survécu en se réfugiant dans les hauteurs avant l’arrivée de la vague qu’elles disent avoir pressentie.