Eglises d'Asie – Indonésie
Une peine de 30 mois de prison ferme pour athéisme relance le débat sur la liberté religieuse
Publié le 20/06/2012
… de ce jugement de première instance. L’affaire, largement couverte par les médias locaux, pose la question de la place de la religion dans l’espace public au moment où les pouvoirs publics assouplissent l’obligation faite à chacun d’indiquer sur sa carte d’identité son appartenance religieuse.
Membre de la minorité ethnique des Minang (1), Alexander Aan avait ouvert un compte Facebook intitulé Ateis Minang (‘Minang athée’) où il avait posté des commentaires tels que « Dieu n’existe pas » ainsi que des caricatures du prophète Mahomet. Plusieurs milliers d’internautes avaient cliqué sur le bouton ‘J’aime’ de sa page Facebook. D’autres personnes, au nom de la défense de l’islam, s’en étaient pris à lui physiquement et l’avaient passé à tabac, action qui avait entraîné son interpellation par la police qui l’avait ensuite inculpé de blasphème, d’incitation à la haine et de propagation de l’athéisme.
Dans ses attendus, le président du tribunal de Sijunjung, à Sumatra-Ouest, a estimé qu’Alexander Aan avait « délibérément agi puisqu’il n’avait pas retiré [les éléments incriminés] de sa page Facebook après que des plaintes eurent été déposées à la police ». Deddi Alparesi, avocat d’Alexander Aan, a souligné quant à lui l’absurdité de la décision du tribunal – même si le juge a abandonné les accusations de blasphème (sanctionnées de cinq ans de prison) et de propagation de l’athéisme –, qui s’est appuyée sur loi de 2008 (sur l’information et les communications électroniques) afin de condamner Alexander Aan pour « incitation à la haine religieuse ». Reprenant des dispositions du Code pénal relatives à la diffamation, la loi du 2008 est de plus en plus critiquée en Indonésie.
Dans le pays, le jugement prononcé le 14 juin a soulevé d’intenses débats. Un éditorialiste du Jakarta Post écrivait le 16 juin : « En dépit de toutes les libertés que nous avons gagnées (ou que nous pensions avoir gagnées) depuis la chute du régime autoritaire [de Suharto], nous sommes de plus en plus timorés (…). Le nouveau message que l’Indonésie donne est : ‘Il n’est plus légalement possible de débattre publiquement de l’existence de Dieu’. » L’éditorial est paru sous le titre : « After ‘reformasi’, timidity ».
Selon Human Rights Watch, la peine infligée à Alexander Aan doit être mise en regard des quelques mois de prison auxquels ont été condamnés l’an dernier des extrémistes musulmans reconnus coupables du lynchage à mort de trois Ahmadis, groupe religieux tenu pour non orthodoxe par les courants majoritaires de l’islam et régulièrement discriminé, voire persécuté par les tenants de l’islam radical. « Ce verdict en dit beaucoup sur la relative impunité dont jouissent les personnes qui commettent des violences au nom de la religion, alors que ceux qui choisissent de ne pas recourir à la violence, quelles que soient les controverses qu’ils suscitent, sont sanctionnés par des peines de 30 mois de prison ferme », a dénoncé Andreas Harsono, de Human Rights Watch.
En Indonésie, se déclarer athée renvoie à une histoire douloureuse. Durant la présidence Sukarno (1945-1965), bien que la religion ne fut pas un thème politique majeur, les rédacteurs de la Constitution inscrivirent dans la loi fondamentale qu’être Indonésien impliquait de reconnaître l’existence d’un Dieu unique. Les choses changèrent avec le président Suharto (1966-1998), qui décréta un « Ordre Nouveau ». Résolument anticommuniste (la répression fit plus de 500 000 morts), le nouveau régime demandait à chaque Indonésien de prouver qu’il n’était pas communiste et, en signe de loyauté envers l’Etat indonésien, qu’il appartenait à l’une des cinq grandes religions reconnues par le pays (islam, hindouisme, bouddhisme, protestantisme, catholicisme), appartenance qui devait être indiquée sur la carte d’identité.
Depuis la chute de Suharto et les réformes démocratiques, des voix se sont élevées pour demander l’abolition de la mention obligatoire de la religion sur les cartes d’identité, mais aucune mesure n’a encore été prise en ce sens. En 2000, afin de faire une meilleure place aux Sino-Indonésiens, le confucianisme a été ajouté aux cinq religions reconnues. En 2006, une loi sur l’état-civil a été votée par la Chambre des représentants, mais sans abolir non plus la mention obligatoire de la religion (2). Depuis, le débat n’a pas progressé, la société civile étant prisonnière des agissements bruyants de la frange extrémiste de l’islam indonésien.
Le 1er mai dernier, le ministère de l’Intérieur a toutefois promulgué une mesure innovante : pour les Indonésiens qui ne se reconnaissent pas dans les six religions officiellement reconnues, existe désormais la possibilité de ne pas inscrire d’appartenance religieuse sur les nouvelles cartes d’identité électroniques. « La déclaration de l’appartenance religieuse sur les cartes d’identité est toujours obligatoire, mais ceux qui adhèrent à une croyance autre que celles des six religions officielles, n’auront pas à remplir cette section », a déclaré le directeur général de l’administration civile au ministère de l’Intérieur. Un blanc apparaîtra dans l’espace correspondant, a-t-il précisé.
Pour les défenseurs des droits civils en Indonésie, la mesure est un pas dans la bonne direction et semble annoncer la fin des discriminations imposées aux groupes religieux minoritaires. Selon la Conférence indonésienne sur la religion et la paix, un organisme indépendant, plus de 400 000 Indonésiens adhèrent à l’une ou l’autre des 245 croyances recensées dans le pays qui ne sont pas rattachées aux six religions officielles. Récemment, la tribu des Baduy, une communauté de 5 à 8 000 membres de la province de Banten, a demandé que sa religion coutumière, connue sous le nom de Sunda Wiwitan, puisse être inscrite sur les documents d’identité.
Selon Yenny Wahid, directrice de l’Institut Wahid, institut respecté qui œuvre à « promouvoir un islam pluriel et pacifique », la réforme mise en place par le ministère de l’Intérieur ne va pas assez loin. Les citoyens indonésiens ne devraient plus être dans l’obligation de déclarer leur appartenance religieuse sur leur carte d’identité. Si l’Etat a besoin de statistiques concernant les religions, celles qui sont collectées lors des recensements de la population suffisent, a-t-elle soulignée.