Eglises d'Asie – Philippines
Le projet de loi visant à interdire les manifestations et signes religieux dans les bâtiments publics a été retiré
Publié le 26/06/2012
… que sa proposition de loi déclencherait une telle levée de boucliers. « J’ai fait une erreur de jugement, a-t-il déclaré à l’agence Ucanews le 25 juin, les Philippins ne sont pas encore prêts pour ça. »
Raymond ‘Mong’ Palatino avait présenté le 19 juin dernier devant le Congrès philippin un projet de loi, Religious Freedom in Government Offices Act (ou House Bill 6330), visant à faire interdire dans les bâtiments publics et bureaux de l’administration, la pratique courante consistant à y afficher des images ou à y tenir des manifestations religieuses diverses (comme une prière avant une audience au tribunal ou une célébration eucharistique dans la mairie). Selon le jeune législateur, ces démonstrations de foi ostensibles nuisaient à « la neutralité que doit montrer l’Etat vis-à-vis des différentes religions ». Lui-même catholique, le leader du Kabataan Partylist , “parti des jeunes” qu’il représente à la Chambre des représentants (1), s’était appuyé pour défendre son projet sur la Constitution des Philippines, laquelle stipule que « l’Etat ne doit pas favoriser une religion par rapport à une autre ».
Un argument qu’il avait aussi développé dans l’édition du Manila Bulletin du 19 juin : « Cette loi permettra aux responsables des services administratifs publics de suivre strictement les dispositions de la Constitution concernant la liberté de religion, en particulier dans l’exercice de leurs fonctions et la mise à disposition de l’espace public. »
C’est par une condamnation unanime et immédiate que l’Eglise catholique avait accueilli la proposition de Raymond Palatinot. Le P. Carmelo Diola, représentant de la Dilaab Foundation, une organisation catholique, a été l’un des premiers à réagir en qualifiant la loi HB 6330 de « projet à courte vue, discriminatoire et anti-philippin ». Dans sa déclaration publiée le 19 juin, le prêtre catholique a affirmé également que « [cette loi] rejetait la religion et l’Eglise dans la sphère privée, leur retirant ainsi toute légitimité à intervenir dans la vie publique ».
Quant au directeur de l’information pour la Conférence des évêques catholiques des Philippines (CBCP), Mgr Pedro Quitorio, il a souligné ironiquement que « le gouvernement devait probablement avoir des problèmes plus prioritaires que cette loi » tandis que Mgr Deogracias Iniguez, évêque de Kalookan et responsable des affaires publiques à la CBCP, déclarait que « loin d’assurer la liberté de la foi, cette loi allait simplement limiter la pratique religieuse ». Le reste de l’épiscopat avait fait chorus, exposant que « la majorité des employés du service public étant catholiques », il n’y avait pas lieu de « les empêcher d’exprimer leur foi », et que la présence d’un « petit crucifix et la récitation d’une courte prière ne pouvaient qu’engendrer des résultats positifs, rappelant à l’employé d’être bon, juste et honnête dans son travail ».
Parmi ce concert de critiques, Mgr Ricardo Vidal, archevêque émérite de Cebu, a eu la condamnation la plus sévère, priant Raymond Palatino de bien vouloir consulter le peuple qu’il était censé représenter avant de parler en son nom et de le « priver du respect » qui lui était dû. Appelant les chrétiens à « se lever pour défendre leur foi », le prélat a ajouté : « La religion catholique fait partie de ce que nous sommes. Elle donne les valeurs essentielles à partir desquelles l’Etat délimite son champ éthique et spirituel. Sans elle, l’Etat deviendrait une zone de non-droit. »
Dans le Cebu Daily News du 20 juin, l’ancien archevêque a également illustré son propos en évoquant la fête du Santo Nino (Enfant-Jésus) de Tacloban (2) célébrée le même jour dans les Visayas avec la ferveur démonstrative propre aux Philippines. « La vénération du Santo Nino (3) fait partie intégrante de notre culture et aucune civilisation ne peut avancer en oubliant sa culture », a commenté Mgr Vidal avant de rappeler ce qui était arrivé dans les années 1990 au commissaire de police Jose Andaya venu prendre son poste au commissariat de Talisay à Cebu. « La population l’avait encerclé et lui avait interdit d’entrer » parce qu’il avait ordonné de retirer des commissariats de police toutes les représentations religieuses, dont le Santo Nino. « Si vous touchez au Santo Nino, vous touchez à la culture des habitants de Cebu ! », a averti le prélat, soutenu dans sa position par le gouverneur de Cebu, Gwendolyn Garcia, le maire de Cebu City, Michael Rama, et celui de Lapu-Lapu City, Paz Radaza, dont la dévotion au Santo Nino est bien connue, et qui se sont également fermement opposé au projet de loi.
La nouvelle de l’abandon de la proposition par Raymond Palatino a suscité une nouvelle vague de déclarations des évêques philippins, cette fois unanimes à se réjouir que « la liberté religieuse ne soit plus menacée » et à féliciter le jeune député « d’avoir eu la maturité et l’humilité d’accepter les critiques et d’écouter le peuple qu’il représentait ».
En annonçant le retrait de son projet, le leader du Kabataan Partylist a cependant tenu à réitérer qu’il n’avait « jamais cherché à supprimer aucune religion, empêcher quiconque de pratiquer sa foi, ou encore moins interdire Dieu » mais « seulement voulu rappeler que l’espace public était à tout le monde » en ne permettant qu’une religion soit favorisée aux dépens d’une autre.