Eglises d'Asie – Inde
Violences interethniques en Assam : les chrétiens tentent d’apporter des secours et d’apaiser le conflit
Publié le 26/07/2012
Au moins 41 morts, de centaines de blessés, plus 170 000 réfugiés fuyant les violences et les incendies de leurs villages, un nombre indéterminé de disparus : ce sont les dernières données officielles des affrontements interethniques et religieux qui ensanglantent depuis plusieurs jours cet Etat du Nord-Est de l’Inde.
L’Assam, peuplé d’une multitude d’ethnies (on en dénombre plus d’une cinquantaine) aux traditions culturelles et religieuses très hétérogènes, subit des flambées de violence endémiques qui en font un Etat au statut ‘instable’ nécessitant une autorisation spéciale pour y pénétrer. La région, comme l’ensemble du Nord-Est indien est également en proie à des troubles séparatistes et compte de nombreux groupes armés indépendants.
Les aborigènes bodos, qui réclament depuis des décennies de voir reconnaître leur statut de « premier peuple » de la région, sont encore aujourd’hui le groupe « tribal » le plus important de l’Assam. Majoritairement hindous et animistes, ils comptent cependant une forte communauté chrétienne (environ 10 %). Depuis des décennies, un conflit ancien oppose dans la région les Bodos aux Santals, sur fond de revendications indépendantistes. Mais ces dernières années, le conflit entre l’ethnie bodo et les communautés musulmanes immigrées du Bangladesh (1) est devenue la cause principale des vagues de violences meurtrières en Assam. Touchant essentiellement la question de propriété des terres dont les Bodos s’estiment spoliés par les colons musulmans, les affrontements sont aujourd’hui récurrents et augmentent au fur et à mesure que s’affirment les disparités dans la répartition des terres cultivées et des ressources du sol (bois, thé, pétrole, …).
Selon un prêtre catholique bodo qui s’exprime sous le couvert de l’anonymat, les membres de la communauté aborigène vivent aujourd’hui dans une pauvreté et une marginalisation grandissantes, une situation de « désespoir et de souffrance » qu’il explique par la confiscation progressive de leurs biens par les colons musulmans. « La population autochtone est devenue (aujourd’hui) une minorité et les musulmans se sont mis à occuper leurs terres avec la complicité des autorités locales, poussant les Bodos à la pauvreté et à la marginalisation (…) », explique le prêtre à l’agence AsiaNews. « Environ 70 % des familles tribales n’ont plus de terres alors que 90 % de cette population en vit ( …) et la moitié d’entre eux meurent de faim. (…) Ils ont tout perdu : maisons, terres, fermes, récoltes… tout a été pillé et détruit par les immigrés musulmans. C’est partout comme cela, même dans les zones où les musulmans sont minoritaires ».
A l’origine des derniers affrontements qui ont fait en cinq jours plus de 40 morts, des centaines de blessés et des milliers de sans-abris, se trouve le meurtre dans le district de Kokhrajhar de quatre jeunes Bodos par des hommes armés non identifiés dans la nuit du vendredi 20 juillet. Soupçonnés d’être à l’origine des assassinats, des musulmans ont ensuite été attaqués par des groupes bodos, déclenchant une série de représailles qui se sont étendues rapidement à tout l’Etat. Selon l’agence Press Trust of India (PTI), les quatre jeunes Bodos auraient été tués par vengeance après que deux responsables étudiants musulmans aient été grièvement blessés par balles, des actes imputés immédiatement à la communauté aborigène.
Lundi 23 juillet, le ministre-président de l’Assam, Tarun Gogoi, fortemement critiqué pour son inertie face aux vagues de violence qui secouent régulièrement son Etat, a mis en place dans les districts les plus touchés un couvre-feu accompagné de l’ordre de tirer à vue sans sommation. Des mesures qui loin d’endiguer les attaques n’ont pu les empêcher d’augmenter.
Le gouvernement fédéral, décidant alors d’intervenir comme la Constitution indienne l’y autorise, a déployé dans l’Etat du Nord-Est plus de 2 000 membres des forces de l’ordre. D’autres renforts sont attendus dans les heures qui viennent, surtout dans les districts les plus touchés de Kokrajahr, Chirang, Dhubri et Bongaigaon. New-Delhi a également mobilisé des troupes afin de sécuriser les voies ferrées reliant l’Assam au reste du pays, celles-ci ayant été endommagées par les affrontements et pratiquement interdites à la circulation des trains.
Malgré l’intervention du gouvernement central, les violences continuaient encore ce jeudi 26 juillet. Dans la matinée, étaient déjà recensés un homme tué par balles à Dhubri lors d’un échange de tirs avec la police et quatre blessés graves. « La crise humanitaire en Assam a pris l’ampleur d’un raz de marée », annonce le prêtre catholique bodo qui participe aux opérations de secours des réfugiés affluant, toujours plus nombreux, dans les centres d’hébergement saturés du gouvernement.
Selon les informations transmises par les autorités locales, les réfugiés seraient actuellement évalués à plus de 170 000. Certains d’entre eux tentent de gagner les frontières des Etats indiens voisins à pied, ne pouvant utiliser les réseaux routiers ni prendre le train, les attaques les ayant rendus inutilisables. Pour ceux qui se sont réfugiés dans la quarantaine de camps d’urgence du gouvernement, les centres d’hébergements provisoires ou les écoles, le manque de biens de première nécessité, d’eau, de nourriture et de soins devient préoccupant.
Mgr Thomas Pulloppillil, évêque de Bongaigaon, diocèse qui couvre l’ensemble des districts touchés par les violences, est revenu précipitamment de sa retraite annuelle au Bengale-Occidental en apprenant les derniers événements. Dès son arrivée, rapporte ce 26 juillet la Conférence des évêques catholiques de l’Inde (CBCI) sur son site Internet, Mgr Pulloppillil a immédiatement mis sur pied avec l’aide des deux ONG du diocèse, la Gana Seva Society (BGSS) et la Diocesan Development Society, des équipes de secours et un comité pour la paix et la réconciliation.
Malgré sa représentation très minoritaire (moins de 4 % de la population), l’Eglise en Assam est particulièrement investie dans le travail de réconciliation entre les différentes ethnies aborigènes. Depuis l’impulsion donnée par Mgr Menamparampil, ancien archevêque de Guwahati, elle est devenue progressivement le principal organe médiateur dans les conflits intertribaux et a permis la passation de nombreux accords de paix. Une fois encore, et comme il l’avait déjà fait en 2008 pour des événements similaires, l’évêque de Pulloppillil a exhorté ses fidèles à « prier et à faire tout ce qui était en leur pouvoir pour aider les victimes du conflit et ramener la paix ».