Eglises d'Asie

La guerre de succession a commencé pour les héritiers de l’empire Moon

Publié le 05/09/2012




Le Rév. Sun Myung Moon, fondateur et leader de la puissante Eglise de l’Unification, connue sous le nom de secte Moon, est décédé lundi dernier, laissant en héritage l’un des empires financiers les plus controversés de la planète.Sun Myung Moon, admis en soins intensifs à Séoul dans un hôpital appartenant à son organisation depuis le 7 août dernier … 

… est décédé tôt lundi matin 3 septembre, à l’âge de 92 ans, des complications d’une pneumonie, selon un porte-parole de la secte, qui a annoncé sa mort le jour-même : « Il était notre père et le Messie de Dieu. Son corps a été dessiné par Dieu et nous pensions qu’il vivrait cent ans ».

Né en 1920 à Chongju, sur le territoire de l’actuelle Corée du Nord, Sun (Yong) Myung Moon a gardé toute sa vie des contacts privilégiés avec les dirigeants de l’Etat totalitaire. Tout en dénonçant violemment le communisme (qu’il identifiait à Caïn, fils d’Eve et de Satan), le leader religieux n’a cessé d’entretenir des relations « d’amitié et de respect mutuel » avec les dictateurs de Pyongyang, développant également ses propres entreprises en Corée du Nord (hôtellerie de luxe, construction automobile Pyeonghwa Motors, « Institut pour la paix », …).

Le futur « Messie » autoproclamé de l’une des sectes les plus puissantes et les plus contestées du monde, est né dans une famille paysanne, cinquième de huit enfants. Sa doctrine s’inspire de différents courants religieux, du confucianisme aux religions traditionnelles coréennes en passant par les préceptes de l’Eglise presbytérienne où l’emmenaient ses parents et divers courants pentecôtistes. Selon sa propre biographie, Sun Myung Moon aurait eu vers l’âge de 16 ans une vision du Christ qui lui aurait révélé qu’il était le « Messie » des derniers temps.

Moon rapporte avoir ensuite prêché sa doctrine en Corée du Nord et avoir été plusieurs fois arrêté avant de fuir le pays en pleine guerre de Corée (1950-53) puis de fonder en 1954 à Séoul, l’Association de l’Esprit Saint pour l’unification du christianisme mondial (UCI) ou Eglise de l’Unification.

La doctrine de Moon est développée pour l’essentiel dans son ouvrage paru en 1957 Les principes divins, dans lequel il expose les révélations qu’il aurait reçues de Jésus, Confucius, Bouddha, Lao Tseu et Satan. Le leader religieux explique être ainsi le Messie chargé d’établir définitivement le « Royaume des cieux sur Terre », et de réussir là où le Plan de Dieu sur l’homme a échoué à deux reprises (l’une dans le jardin d’Eden, l’autre avec Jésus Christ, mort sur la croix sans descendance).

Selon Moon, le nouvel âge de l’humanité a été inauguré par son propre couple avec Hak-Ja Han, qu’il a épousée en 1960 après avoir répudié sa quatrième femme, et qui lui a donné quatorze d’enfants. Nouvel Adam et nouvele Eve, ils sont considérés comme les « Vrais parents » par les adeptes de la secte, qui à l’imitation du couple fondateur contribueront à leur tour à faire advenir la nouvelle humanité.

La principale activité missionnaire de Moon devient alors la formation de couples qui scelleront l’union des peuples. Il se rend célèbre par l’organisation de gigantesques mariages collectifs « internationaux et interculturels », où les couples choisis par le Messie sont unis sans parfois même se connaître. En 1982, le premier mariage collectif hors de Corée du Sud rassemblera des milliers de personnes aux Etats-Unis et, en 2009, Moon célébrera le mariage et le renouvellement des voeux de plus de 45 000 participants.

Dès les années 1960, la secte s’étend rapidement au Japon et aux Etats-Unis. Dans les années 1970, Moon s’installe aux Etats-Unis où malgré les multiples scandales auxquels il sera mêlé (dont une condamnation en 1982 à un an de prison ferme pour fraude fiscale), il recrute de nouveaux adeptes et étend son empire financier. Aujourd’hui appartiennent entre autres à la secte le quotidien Washington Times, l’Université de Bridgeport, de nombreux hôtels ainsi qu’un réseau agro-alimentaire implanté dans tout le pays.

Par la suite, l’Eglise de l’Unification ne cesse d’étendre ses ramifications dans différents Etats, s’appuyant moins sur le nombre des fidèles – en recul dès la fin des années 1980(1) – que sur son chaebol, conglomérat à la coréenne, le Tongil Group, couvrant des secteurs aussi variés que la construction, l’éducation, les médias, l’alimentaire, la santé ou encore l’ingénierie. Cest en Corée du Sud que Moon investit le plus, créant et dirigeant hôtels, écoles et université (Sun-Moon), stations de ski, équipes de football, restaurants, firmes pharmaceutiques, entreprises agro-alimentaires, usines automobiles, hôpitaux, organisations caritatives…

A la mort de son « Messie » et fondateur, l’Eglise de l’Unification est donc un empire financier convoité, en dépit des séjours en prison de son leader pour prosélytisme, délits sexuels, fraude fiscale et autres scandales. Mais son avenir est aujourd’hui incertain, l’organisation se préparant à une crise de succession ouverte, que préfiguraient déjà ces dernières années les guerres intestines des héritiers de Sun Myung Moon.

En 2010 le Rév. Moon avait pourtant désigné sans ambiguité son septième et plus jeune fils, Hyung-jin, comme son successeur, allant jusqu’à affirmer que « tout autre prétendant » devrait être considéré comme « hérétique et destructeur ». Agé de 33 ans, Hyung-jin Moon avait été nommé à la tête de l’Eglise en 2008 par son père, à la place de son aîné, Hyung-jin, tombé subitement en disgrâce. Le Rév. Moon, qui avait décidé peu auparavant de partager ses pouvoirs entre trois de ses fils, avait confié l’Eglise de l’Unification à Hyung-jin, la gestion de ses entreprises à Kook-jin, son quatrième fils, et enfin les organisations caritatives à Hyun-jin, son troisième fils, aujourd’hui président de l’UCI.

Or, en janvier 2011, Hyun-jin intentait un procès contre sa mère Hak-ja Han, l’accusant d’avoir détourné des fonds de l’une de ses sociétés (17,5 millions d’euros). Son action en justice provoquait à son tour en mai 2011 une procédure judiciaire de son frère Hyung-Jin à son encontre, visant à le destituer de ses fonctions de président de l’UCI.

La raison pour laquelle Hyun-jin, qui était le fils favori et l’héritier présomptif de Moon – lequel lui avait fait épouser la fille de Chong-hwan Kwak, numéro deux de la secte – a été subitement démis de ses fonctions en 2008 au profit de son frère, n’a jamais été révélée officiellement, même si l’on murmure qu’il s’agit d’une « désobéissance » voire d’un « crime de lèse-majesté » envers le chef religieux incontesté.

La mort du leader étant intervenue en pleine bataille judiciaire intrafamiliale, les porte-paroles de la secte ont observé un silence prudent, se refusant pour le moment à tout commentaire concernant le futur héritier de l’empire Moon.

La nouvelle du décès du « Messie » a été accueillie froidement par la majorité de la population de Corée du Sud et aucune personnalité politique ou religieuse n’a encore réagi officiellement. Avec une forte présence chrétienne (20% de protestants et 10 % de catholiques), le pays nourrit de fortes réserves vis-à-vis de la secte dont l’essor est lié dans la mémoire des Sud-Coréens à la période dictatoriale qui a sévi jusque dans les années 1980. La forte collusion du Rév. Moon avec le pouvoir en place lui avait permis de développer son organisation en bénéficiant d’avantages matériels et économiques. C’est également en Corée du Sud que le dirigeant milliardaire avait été le plus poursuivi pour scandales financiers, affaires de mœurs et enrôlement sectaire, laissant une impression désastreuse dans l’esprit de ses compatriotes, nombreux à exprimer depuis que sa mort a été annoncée, leur agacement et leur désapprobation sur les réseaux sociaux.

La dépouille du Rév. Moon, qui a été déposée dans le gigantesque quartier général de l’organisation à Gapyeong, près du mont Cheonseong, sera offerte à la vénération des fidèles dès jeudi 5 septembre. L’Eglise de l’Unification se prépare déjà à accueillir les milliers de personnes qui afflueront pour les funérailles fixées au 15 septembre (soit après 13 jours de deuil, contre les 3 à 5 jours traditionnels en Corée). En raison des liens privilégiés que le défunt entretenait avec les dirigeants de Corée du Nord, une délégation du pays totalitaire est également attendue, bien que les relations entre Séoul et Pyongyang se soient encore détériorées ces derniers mois.