Eglises d'Asie

Tamil Nadu : bilan de la répression des manifestations anti-nucléaires : un mort et une église vandalisée

Publié le 11/09/2012




Le 10 septembre, en ordonnant la dispersion des manifestants anti-nucléaires autour de la centrale de Kudankulam, les autorités indiennes ont engagé une épreuve de force avec les opposants à ce projet. Dans les affrontements qui ont eu lieu à proximité de la centrale, un pêcheur, catholique, âgé de 44 ans, est tombé sous les balles de la police ; une église catholique a été vandalisée par les forces de l’ordre.

Dans la longue histoire de l’opposition des populations locales, composées principalement de pêcheurs catholiques, au chantier de la centrale nucléaire de Kudankulam (Koodankulam) (1), la cause des riverains et opposants au projet semblaient perdue. Les autorités de régulation du nucléaire avaient en effet délivré l’autorisation de raccordement de la centrale au réseau électrique et, au mois d’août dernier, feu vert avait été donné pour le chargement des barres de combustibles dans l’un des deux réacteurs que compte la centrale. Remobilisées par le drame de Fukushima (la centrale de Kudankulam a été construite en bordure du littoral, sur une côte qui a été touchée par le tsunami de 2004), les populations n’ont toutefois pas renoncé à revendiquer la fermeture de la centrale. Ces derniers jours, elles ont multiplié les actions et c’est dans ce cadre que la répression des forces de l’ordre a fait un mort.

Lundi 10 septembre, à environ une soixantaine de kilomètres de la centrale, des opposants au projet ont bloqué la circulation sur un axe routier ainsi que sur une voie de chemin de fer. Sommés de dégager le terrain, les manifestants ont jeté des pierres en direction des forces de la police. Celles-ci ont répondu en tirant en l’air, rapporte un porte-parole de la police, tuant un manifestant, Antony John, 44 ans, pêcheur de son état. Selon un autre rapport de police, les forces de l’ordre ont agi en état de « légitime défense ». Très rapidement, les autorités de l’Etat du Tamil Nadu ont annoncé qu’une indemnité compensatoire de 500 000 roupies (7 000 euros) allait être débloquée pour la famille de la victime, offre rejetée par les opposants à la centrale nucléaire qui réclament l’ouverture d’une information judiciaire.

Par ailleurs, à proximité immédiate de la centrale, sur la plage où des familles de pêcheurs avaient organisé un sit-in de protestation, la police est également intervenue pour disperser les manifestants. Hommes, femmes et enfants ont été repoussés jusqu’à la mer par la police, certains allant jusqu’à se jeter dans l’océan pour échapper aux forces de l’ordre. « Les manifestants avaient le projet d’envahir le site de la centrale nucléaire et nous avons été contraints d’agir de manière préventive », s’est justifié le directeur de la police depuis Chennai.

Environ 4 000 policiers ont été déployés sur place. Selon les opposants au projet, les forces de l’ordre ont poursuivi leur action en menant une véritable chasse à l’homme jusque dans les villages voisins. Dans le village d’Idinthakarai, distant de quatre kilomètres de la centrale, elles ont investi les lieux, fouillant chaque maison pour y chercher les manifestants. Selon les témoins locaux, les policiers ont brisé des vitres et agi avec violence. « La police est entrée dans l’église [Lourde Matha Church] ; ils se sont saisi de la statue de la Vierge et l’ont jetée au sol. Ils ont ensuite uriné sur la statue en pièces », a témoigné Infant Preeka, un témoin oculaire cité par l’agence Ucanews.

Coordinateur du People’s Movement Against Nuclear Energy (PMANE), S. P. Udayakumar se cache dans un lieu tenu secret, de peur d’être arrêté par la police. Il a assuré à des journalistes locaux que la tactique d’intimidation mise en œuvre par la police n’empêchera pas la poursuite de leur combat. Une plainte a été déposée auprès de la Cour suprême, affirmant que les procédures de sécurité n’ont pas été respectées au sein de la centrale.

La détermination des autorités du Tamil Nadu semble toutefois inentamée. Afin de lutter contre les incessantes coupures de courant, la centrale est nécessaire à l’alimentation en électricité du sud de l’Inde, affirment-elles. Depuis New Delhi, le gouvernement central soutient lui aussi le projet. Réitérant des arguments utilisés de longue date, le ministre de l’Intérieur Sushilkumar Shinde a dénoncé l’action d’ONG étrangères. « Nous savons que certaines ONG étrangères suivent cette affaire de très près. Je ne citerai aucun nom de pays, mais nous les connaissons », a-t-il déclaré le 10 septembre à la presse, faisant écho à des propos semblables tenus l’an dernier par le Premier ministre Manmohan Singh.

L’argument d’un financement des anti-nucléaires au Tamil Nadu par des ONG étrangères renvoie à un épisode de février 2012. A cette date, le gouvernement fédéral avait ordonné le gel des comptes de deux organisations gérées par l’évêque catholique de Tuticorin, Mgr Yvon Ambroise, accusant l’Eglise d’utiliser des fonds accordés depuis l’étranger à des fins de financement du mouvement anti-nucléaire. Très engagé auprès des pêcheurs catholiques opposés à la centrale, Mgr Ambroise avait par la suite appelé les anti-nucléaires à changer de stratégie. La construction de la centrale étant achevée, sa mise en service étant inéluctable, l’évêque appelait à une solution négociée, conscient qu’un durcissement des positions amènerait l’Etat à recourir à la force. En avril dernier, le porte-parole du diocèse de Tuticorin s’interrogeait en ces termes auprès d’Eglises d’Asie : « Les catholiques sont très nombreux parmi les pêcheurs qui manifestent leur opposition à la centrale. Que dira-t-on si la répression s’intensifie et qu’il y a des victimes ? Que l’Eglise les a encouragés ? »