Eglises d'Asie – Divers Horizons
Dans plusieurs pays d’Asie, les gouvernements tentent de bloquer la diffusion sur Internet du film controversé sur l’islam
Publié le 18/09/2012
Depuis les Etats-Unis, la société Google a rejeté la semaine dernière une demande de la Maison Blanche lui demandant de retirer la vidéo contestée de YouTube ,site de partage de vidéos en ligne dont elle est propriétaire, mais a accepté d’en bloquer la diffusion dans certains pays, comme l’Indonésie ou la Malaisie.
En Indonésie, souvent présentée comme « le premier pays musulman du monde » (85 % de ses 240 millions d’habitants se réclament de l’islam), le ministère de l’Information et de la Communication a annoncé le 16 septembre que Google avait bloqué la vidéo en question dès le 13 septembre. Cependant, le film et des extraits de celui-ci continuaient néanmoins d’être visibles le 17 septembre sur YouTube à Djakarta. « Nous apprécions la coopération de Google et nous comprenons que [la société] ait besoin de temps pour bloquer entièrement [la vidéo] », a commenté un porte-parole du ministère.
Entretemps, Masdar Farid Mas’udi, figure respectée de la Nahdlatul Ulama, l’une des deux plus importantes organisations musulmanes du pays, avait appelé les musulmans à garder leur calme et à ne pas se laisser provoquer par le film en question. « Si les événements prennent une tournure violente comme cela a été le cas en Lybie et dans certains pays, alors les mauvaises intentions du réalisateur du film se verront réalisées », a déclaré Mas’udi dans son appel. De fait, les manifestations n’ont pas pris une ampleur démesurée en Indonésie. Après la prière du vendredi, 500 personnes au plus ont manifesté à Djakarta. Le 17 septembre toutefois, la police a dû faire usage de canons à eau pour disperser une foule estimée à un millier de personnes qui menaçaient de s’en prendre à l’ambassade américaine. Un affrontement au cours duquel un policier a été blessé.
En Malaisie, Google a organisé de la même manière le blocage de la vidéo contestée, mais la firme américaine a rencontré un accueil moins amène de la part des autorités gouvernementales. Ainsi que le rapporte Asie-Info, le ministre de l’Information et de la Communication Rais Yatim a déclaré que « le propriétaire de YouTube ne mérit[ait] pas d’être épargné par la colère des musulmans ou d’échapper au bras de la justice ».
Enfin, aux Philippines, pays à forte majorité catholique, le gouvernement a indiqué qu’il ne demanderait pas à Google de bloquer l’accès à la vidéo contestée.
C’est en Asie du Sud que les réactions provoquées par la vidéo ont été les plus fortes. Que ce soit en Inde, au Bangladesh ou au Pakistan, les dirigeants n’ont pu empêcher qu’éclatent de violentes manifestations, malgré le blocage de l’accès à la vidéo controversée, par leurs propres réseaux de censure ou par l’intermédiaire de Google.
En Inde, des heurts ont éclaté ce mardi 18 septembre au Cachemire indien entre plusieurs centaines de manifestants musulmans et les forces de l’ordre. Les affrontements qui se sont notamment produits à Srinagar, la principale ville de cette région à majorité musulmane, ont commencé lorsqu’un groupe d’environ 300 manifestants se dirigeant vers un bureau local des Nations Unies a été stoppé par la police. Les manifestants ont jeté des pierres sur les policiers et brûlé l’un de leurs véhicules tandis que les forces de sécurité ont tiré des salves de gaz lacrymogène pour les maintenir en retrait, a constaté un photographe de l’AFP. Lors d’autres manifestations dans la périphérie de Srinagar, des groupes de jeunes en colère ont scandé des slogans anti-américains et brûlé des drapeaux israéliens et américains ainsi que des effigies du président Barack Obama. Les commerces et bureaux étaient fermés mardi dans cette région himalayenne du nord de l’Inde en réponse à un appel à la grève pour protester contre L’Innocence des musulmans. L’Inde, qui compte environ 150 millions de musulmans, a condamné le film, le qualifiant d’« insultant ».
Au Bangladesh, dimanche dernier, le gouvernement a demandé à Google de retirer la vidéo, puis a donné instruction à son organe de régulation des télécommunications d’agir sans délai. La Premier ministre Sheikh Hasina a condamné le film en ces termes : « Aucun musulman ne peut tolérer de telles insultes. Nous ne les tolérerons pas non plus. » D’importantes forces de police protégeaient l’ambassade américaine, repoussant des manifestants qui ont brûlé le drapeau américain.
Au Pakistan enfin, le 17 septembre, le Premier ministre a ordonné la suspension intégrale de YouTube dans le pays, mesure qui durera tant que des contenus « blasphématoires », qui « ne sauraient être tolérés », s’y trouveront. Plusieurs responsables religieux musulmans ont approuvé la mesure. « C’était ce qu’il fallait faire. De tels sites contribuent à briser l’équilibre intercommunautaire », a déclaré Abdul Khabeer Azad, de la mosquée Badshahi à Lahore. Des manifestations ont cependant eu lieu dans le nord-ouest du pays ; dans la ville de Warai (province de Khyber Pakhtunkhwa), un manifestant est mort et deux personnes ont été blessées lundi lors d’un échange de tirs avec des policiers.
De leur côté, les chrétiens du Pakistan se sont associés à la condamnation du film. A Faisalabad, le 15 septembre, la Commission diocésaine pour le Dialogue interreligieux a publié le communiqué suivant : « Ce film blesse les sentiments religieux des musulmans comme des chrétiens partout dans le monde. Le Vatican, entre autres, a condamné sa diffusion. Celle-ci constitue un coup porté à la paix dans le monde et aux efforts pour parvenir à l’harmonie entre les religions. » Selon le P. Aftab James Paul, directeur de la Commission, l’Eglise espère éviter ainsi que la colère des musulmans pakistanais ne se retourne contre les chrétiens locaux. Dès vendredi dernier, le portail de la cathédrale de Faisalabad portait une large banderole : « Nous condamnons fermement le film blasphématoire réalisé aux Etats-Unis contre le Saint Prophète. » Signé : « Mgr Rufin Anthony [administrateur apostolique de Faisalabad] et la communauté chrétienne du Pakistan ».
Dans la province du Sind, à Hyderabad, la tension était forte. Selon l’agence Fides, dimanche 16 septembre, plusieurs milliers de musulmans sont descendus dans la rue, scandant des slogans antichrétiens, brûlant des croix et cherchant à s’en prendre à des institutions chrétiennes, heureusement protégées par la police. La foule s’est approchée de la cathédrale Saint-François-Xavier, lançant des pierres et brisant des vitraux. Des coups de feu ont été tirés en direction du portail fermé de la cathédrale et la messe de 18h n’a pu avoir lieu. Une religieuse et son chauffeur, catholique, ont été pris à partie par la foule et l’homme blessé par balle à la jambe. « Et pourtant, l’ensemble des responsables et des fidèles des minorités religieuses, y compris l’évêque d’Hyderabad, Mgr Max John Rodrigues, ont participé à une manifestation de solidarité envers les musulmans au centre-ville afin de condamner le film blasphématoire », souligne le P. Samson Shukardin, vicaire général du diocèse et directeur de la Commission diocésaine ‘Justice et Paix’. « Mais, ajoute-t-il, les radicaux identifient l’Amérique aux chrétiens dans leur ensemble et s’en prennent à nous, petite minorité dans le pays. »
Au total, dix-neuf personnes sont mortes dans le monde dans le cadre des violences déclenchées par la diffusion du film, dont l’ambassadeur américain et trois autres membres du corps diplomatique américain en Libye. A Kaboul, en Afghanistan, un attentat-suicide a fait douze morts.